Où s’en va Québec solidaire?


Proposition de précision du mandat de l’Assemblée constituante

Lors de son congrès du 3-4-5 mai 2013, Québec solidaire aura une chance historique de préciser sa position sur son projet de pays. Nul doute encore que Québec solidaire soit souverainiste : « nous considérons comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays, mais aussi parce qu’elle est nécessaire à la préservation et au développement d’une nation unique par son histoire et sa culture en constante évolution, autour d’une langue commune qu’est le français. » Bien que certains continuent de rétorquer que la réelle priorité de Québec solidaire demeure la gauche et que son projet ne passe pas nécessairement par l’indépendance, ceux-ci oublient deux éléments fondamentaux du programme :

1) « Si certains changements proposés par Québec solidaire peuvent et devraient d’ores et déjà se faire dans le cadre constitutionnel actuel, l’intégralité de son projet de société ne pourra se réaliser que si le Québec dispose de l’ensemble des pouvoirs aux plans politique, économique et culturel. »

2) « Le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui seraient nécessaires aux changements profonds proposés par Québec solidaire. Le peuple québécois a donc à choisir entre la soumission à la règle de la majorité canadienne impliquant subordination et uniformité politique, et l’exercice plein et entier de la souveraineté politique. La question nationale est ainsi réduite à sa plus simple expression: être une nation minoritaire dans l’État canadien ou une nation qui décide de toutes ses orientations dans un Québec indépendant. »

Une ou des propositions?

L’Assemblée constituante constitue le cœur de la stratégie solidaire, mais sa formulation actuelle demeure floue à de nombreux égards : « [L’Assemblée constituante] aura la responsabilité et les moyens de mener un vaste processus de démocratie participative visant à consulter la population du Québec sur son avenir politique et constitutionnel, de même que sur les valeurs et les institutions politiques qui y sont rattachées. En fonction des résultats de la démarche - qui devront être connus de la population et dont l’Assemblée constituante aura l’obligation de tenir compte - cette dernière élaborera un projet de constitution. Les propositions issues de l’Assemblée constituante, y compris celle sur le statut politique du Québec, seront soumises au choix de la population par référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Dans cet extrait, il n’est pas certain si une ou plusieurs propositions issues de l’Assemblée constituante seront soumises au référendum. L’hypothèse de la double question (l’une portant sur la constitution, l’autre sur le statut politique du Québec) est notamment soutenue par Amir Khadir dans une capsule vidéo de la campagne Pays de projets, mais aucun élément du programme ne mentionne cette double question ! Il s’agit davantage d’une interprétation particulière relative à une formulation vague du programme.

Par ailleurs, la séparation des deux questions au référendum est incohérente. En premier lieu, il serait possible que la population vote pour l’indépendance et contre la constitution, ce qui aurait l’avantage de décréter la souveraineté du Québec, mais l’inconvénient de jeter un doute sur la stratégie participative qui aura permis d’élaborer démocratiquement la constitution. Faudrait-il alors faire une nouvelle Assemblée constituante, ou encore réécrire une nouvelle constitution par des experts et la resoumettre par référendum avec le risque qu’elle ne soit pas adoptée encore une fois, ou encore l’imposer simplement par l’Assemblée nationale?

En second lieu, il serait possible que le peuple vote pour la constitution mais contre l’indépendance, ce qui nous mettrait dans l’embarras. La constitution pourrait être bien intéressante, mais elle n’aurait pas l’autorité suprême que lui confèrerait la souveraineté du Québec. Elle resterait donc subordonnée à la constitution canadienne, le projet de pays devenant alors un vain mot. Le programme de Québec solidaire resterait inapplicable en bonne partie, et des institutions républicaines hypothétiques ne pourraient être effectives dans le cadre fédéral canadien.

C’est pourquoi la meilleure hypothèse consiste à préciser que l’Assemblée constituante débouchera sur une seule proposition portant sur l’avenir constitutionnel et politique du Québec ; exit la double question. Il serait donc préférable de reformuler la plateforme électorale à partir de la proposition originale adoptée lors du congrès de 2009 : « En fonction des résultats de sa démarche, qui devront être connus de la population et dont l'assemblée constituante aura l'obligation de tenir compte, cette dernière élaborera un projet de constitution. Le projet de constitution, qui contiendra une proposition sur le statut politique du Québec sera soumis à la population québécoise par voie de référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Une déclaration de souveraineté ?

Cependant, rien ne garantit pour l’instant que l’Assemblée constituante débouchera sur une déclaration de souveraineté. Le talon d’Achille du programme de Québec solidaire apparaît clairement dans ce passage : « Tout au long de la démarche d’Assemblée constituante, Québec solidaire défendra son option sur la question nationale québécoise et fera la promotion de ses valeurs écologistes, égalitaires, féministes, démocratiques, pluralistes et pacifistes, sans toutefois présumer de l’issue des débats. » Cette parenthèse lourde de sens s’est notamment manifestée dans l’espace public par la sortie bien connue d’Amir Khadir, où il affirma « l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement ». Il ne s’agit pas d’une erreur du porte-parole, mais d’une ambiguïté centrale issue du programme.

Ainsi, le statut politique de la constitution pourrait se limiter à l’affirmation d’une autonomie élargie du Québec au sein du Canada. Or, cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle « le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond ». Pour résoudre ce problème, il est proposé que la plateforme électorale soit modifiée comme suit : « Québec solidaire reconnaît au peuple du Québec le droit de choisir ses institutions et son statut politique. À cet effet, il enclenchera dès son accession au pouvoir une démarche d’assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain. » 

Première objection

La première objection à cette proposition consiste à dire qu’elle restreint a priori la portée de l’Assemblée constituante, qui doit demeurer inclusive et démocratique. Donner le mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain consisterait à « imposer », en quelque sorte, le résultat de ce qui devrait émerger naturellement du processus délibératif. Le débat constitutionnel resterait ouvert, au prix d’une fermeture sur la question de l’avenir politique du Québec, qui serait décidée à l’avance.

Cependant, le fait de donner comme mandat à l'Assemblée constituante de rédiger une constitution d'un Québec souverain ne présente pas de problème démocratique, car sa fonction première est de rédiger une constitution et de représenter une stratégie d'accession à l'indépendance. Autrement dit, on ne discute pas pour le simple plaisir de discuter, mais pour mobiliser la population dans un processus participatif de libération nationale. De plus, cette proposition n'exclut pas qu'un deuxième projet, comme la constitution d'un Québec autonome au sein du Canada, ne pourrait pas aussi être rédigée. L'important est de garantir que l'option souverainiste ne soit pas exclue du résultat de l'Assemblée constituante, ce qui est un strict minimum.

Deuxième objection

Derrière l’objection « démocratique » se cache une objection « stratégique » : les fédéralistes et les indécis se sentiraient exclus par avance, et jetteraient un discrédit à cette Assemblée constituante qui serait largement noyautée par les souverainistes purs et durs. Or, la composition de cette assemblée permettrait de mitiger cet effet, car elle « sera élue au suffrage universel, composée d’un nombre égal de femmes et d’hommes et représentative des tendances et des différents milieux socioéconomiques et de la diversité culturelle présents dans la société québécoise ». Bien que la proportion exacte de souverainistes, autonomistes et fédéralistes ne soit pas déterminée d’avance, nous pouvons envisager que l’assemblée ne sera pas monolithique et que plusieurs voix divergentes voudront se faire entendre.

Par ailleurs, même dans le cas où il n’y aurait pas de mandat explicite de rédiger la constitution d’un Québec souverain, la seule possibilité de la souveraineté et la nature même de l’Assemblée constituante engendrera d’importants débats au sein de la société civile. Le Canada, certaines élites économiques et politiques et une foule de chroniqueurs déverseront leur fiel contre ce processus de souveraineté populaire, car il présentera une menace réelle contre le statu quo. Une Assemblée constituante représente déjà une rupture dans l’ordre constitutionnel canadien, et sa mise en place soulèvera les passions dans l’ensemble du Québec et ailleurs. Si on ne peut éviter la contestation au sein de la société civile, le processus délibératif orienté vers le consensus permettra d’aboutir à la rédaction d’une constitution, qui sera adoptée ou rejetée par la volonté populaire lors du référendum.

Troisième objection

Finalement, une objection « électoraliste » consiste à dire que si le parti affiche une posture indépendantiste plus affirmée, alors il risque de perdre des électeurs auprès des minorités culturelles et anglophones, de la gauche non-souverainiste, des indécis(e)s sur la question nationale, et d’autres groupes méfiants du nationalisme traditionnel. La réponse la plus simple consiste à reprendre l’argument de Pierre Bourgault dans son célèbre discours de 1971, « Sécurité, solidarité et respectabilité » :

« L’indépendance que nous tentons de faire, ce n’est pas la sécurité; le statu quo, c’est la sécurité. La démocratie tel que nous tentons de la vivre, ce n’est pas la sécurité; c’est dur, c’est agaçant, c’est harassant par moments, mais c’est ça aussi un parti qui se veut libre. Je pense que nous avons le devoir de ne rien cacher à la population de ce que nous croyons nécessaire et vrai. Combien de fois reculons-nous devant l’exposé de notre programme parce que nous nous disons que tel ou tel article peut effrayer les gens. À nous de convaincre les gens que cela est nécessaire et vrai. À quoi nous servirait-il d’avoir les meilleures solutions si toujours nous les retenons pour nous-mêmes de crainte d’effrayer quelques électeurs ici ou là. À quoi nous sert-il d’avoir le meilleur parti si nous n’osons pas, partout à travers le Québec, nous présenter tels que nous sommes, sans toujours cacher des idées ou des hommes dans les garde-robes. »

Dans cet esprit, la critique que Québec solidaire porte à l’endroit d’Option nationale, à savoir que ce dernier opte pour la liberté sur la question nationale mais la sécurité sur la question sociale, peut être renversée comme suit : Québec solidaire opte pour la liberté en matière de justice sociale, mais choisit la sécurité quand il vient le temps de parler d’indépendance. Pourquoi cette dissociation de personnalité, alors qu’il serait possible de devenir le parti plus dynamique à la fois sur le terrain de l’émancipation sociale et de la lutte pour la libération nationale ?

Finalement, l’objection électoraliste se retourne contre elle-même : les quelques électeurs perdus chez les fédéralistes et les indécis seraient largement compensés par les nombreux souverainistes déçus par le Parti québécois. Le score électoral le plus fort de Québec solidaire reste dans la région majoritairement francophone du centre et de l’est de l’île de Montréal (Gouin, Plateau-Mont-Royal, Sainte-Marie-Saint-Jacques, Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion, Rosemont), et il serait regrettable de garder une vision « montréalocentriste » de l’indépendance au détriment des régions, où le Parti québécois continue de marquer des points faute d’une opposition convaincante et d’une posture souverainiste affirmée.

Une suggestion républicaine

Par ailleurs, la nouvelle mouture de la plateforme électorale pourrait être modifiée comme suit : « Tout au long de cette démarche, Québec solidaire défendra son projet de pays, la République du Québec, tout en garantissant l’indépendance de l’Assemblée constituante ». Ce petit ajout permettrait de préciser le sens du projet de pays, tout en faisant un clin d’œil à Option nationale qui a rejeté la perspective républicaine lors de son congrès, en raison d’un imbroglio et d’un souci de ne pas imposer la forme institutionnelle du Québec au processus constitutionnel.

Québec solidaire possède un double avantage face à son son rival, qui n’a pas réussi à faire adopter la vision républicaine même si elle demeure très populaire auprès des souverainistes. Tout d’abord, il est précisé que le gouvernement solidaire pourra défendre sa position sans miner l’autonomie de l’Assemblée constituante, qui sera seule à décider de la forme définitive de la constitution. Par ailleurs, bien que plusieurs ignorent pour l’instant que la gauche indépendantiste défende la République, celle-ci fait déjà partie du programme du parti : « Québec solidaire défend un ensemble de grands principes républicains permettant l'expression de la souveraineté populaire. Il les mettra de l'avant lors de la rédaction de la constitution du Québec. Ces principes constitutionnels aborderont tant les chartes des droits sociaux et individuels que les modalités d'organisation des institutions politiques, le type de laïcité que nous voulons, la démocratie citoyenne et participative, le modèle d'intégration privilégié, l'importance des biens publics et la décentralisation des pouvoirs. La république que nous défendons sera le dépositaire de l'intérêt général et reposera sur une démocratie qui rejette toute forme de concentration du pouvoir vidant de sa substance la souveraineté populaire. »

Un nouvel élan indépendantiste

Québec solidaire, qui se retrouve actuellement derrière Option nationale dans l’esprit des partisans de l’indépendance, se retrouverait alors en première place. En prenant l’analogie de la Formule 1, le parti de gauche indépendantiste (voiture blanche) aura alors dépassé le parti nationaliste (voiture bleue) par un phénomène d’aspiration.

De plus, Option nationale ne cesse de répéter qu’il place « la cause avant la partisannerie », et qu’il entreprendra des rapprochements sérieux avec tout parti aussi clair que lui sur la souveraineté. Bien qu’il souhaite rapatrier les lois, impôts et traités à l’Assemblée nationale, ceci ne pourra se faire avant l’adoption de la constitution par référendum. Dans le point 1.4. de son programme, Option nationale souligne qu’il : « fera en sorte qu’une Constitution du Québec soit écrite avec la plus grande participation possible de la population du Québec, accompagnée d’experts en la matière, et qu’elle soit ultimement entérinée par le biais d’un référendum. Cette Constitution contiendra notamment une déclaration de souveraineté du Québec ».

Si la nouvelle plateforme de Québec solidaire est adoptée comme suit lors du congrès du 3-4-5 mai 2013, la gauche indépendantiste aura clarifié sa stratégie de mobilisation populaire, l’Assemblée constituante, en devenant ainsi le principal véhicule de la libération nationale du Québec. Option nationale ne pourra plus se distinguer substantiellement sur la question de l’indépendance, et son existence sera remise en question. Ce parti aura alors le choix 1) de continuer en faisant comme si rien ne s’était passé ; 2) rejoindre le Parti québécois, « irréformable sur le fond » mais permettant de préserver une prétendue coalition gauche-droite ; 3) ou accepter la proposition suivante en venant bâtir la principale alternative politique à l’alternance et au statu quo :

« Québec solidaire reconnaît au peuple du Québec le droit de choisir ses institutions et son statut politique. A cet effet, il enclenchera dès son accession au pouvoir une démarche d’assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain. Tout au long de cette démarche, Québec solidaire défendra son projet de pays, la République du Québec, tout en garantissant l’indépendance de l’Assemblée constituante. Cette Assemblée :
A. sera élue au suffrage universel, composée d’un nombre égal de femmes et d’hommes et représentative des tendances et des différents milieux socioéconomiques et de la diversité culturelle présents dans la société québécoise;
B.mènera un vaste processus de démocratie participative pour consulter la population du Québec sur :
i.               les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune ;
ii.              le statut politique du Québec ;
iii.            la définition de ses institutions ;
iv.            les pouvoirs, les responsabilités et les ressources qui leur sont délégués ;
C. En fonction des résultats de sa démarche, qui devront être connus de la population et dont l'assemblée constituante aura l'obligation de tenir compte, cette dernière élaborera un projet de constitution. Le projet de constitution, qui contiendra une proposition sur le statut politique du Québec sera soumis à la population québécoise par voie de référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Chères solidaires, chers solidaires, si vous avez à cœur l’indépendance du Québec, si vous croyez que la souveraineté n’est pas qu’un moyen de réaliser un projet de société, mais l’objectif premier d’une lutte de libération nationale qui doit être liée à un projet d’émancipation sociale, alors adoptez cette proposition dans votre prochaine assemblée générale locale en vue du prochain congrès. Québec solidaire doit dépasser le souverainisme officiel et renouer avec ses racines indépendantistes, opter pour la liberté au sens de Bourgault, donner une « égale considération morale » à la gauche et à l’indépendance, en faisant de cette Assemblée constituante renouvelée un élément structurant de son programme et de sa campagne politique. 

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