mardi 31 janvier 2017

Affronter nos démons : notes sur l’éducation et l’aliénation

L’éducation n’est la panacée pour prévenir l’intolérance, la violence, le terrorisme. Le sens commun croit souvent que les personnes éduquées, ayant étudiées à l’université, seraient « immunisées » contre les dérives racistes, sexistes et xénophobes, contrairement aux individus ayant « simplement » un diplôme d'études secondaires. La violence serait en quelque sorte le fruit de l’ignorance.

Outre le préjugé classiste sous-jacent à cette vision (les classes éduquées et diplômées seraient généralement dotées d’un sens moral supérieur aux classes populaires), il y a l’idée que les sciences humaines et la culture générale permettraient de nous ouvrir sur le monde, d’envisager d’autres perspectives et de nourrir le dialogue. Cela est vrai de prime abord, mais largement insuffisant. Alexandre Bissonnette a étudié en anthropologie, puis en sciences politiques. Sa radicalisation n’est pas le fruit de l’ignorance, mais d'un processus de politisation pleinement conscient, nourri par l’insécurité culturelle et des idéologies pernicieuses.

Or, cela veut-il dire que l’éducation, les humanités et la pensée critique ne servent à rien? Bien au contraire. Comme l’a remarqué il y a plus d’un siècle Émile Durkheim, l’intégration et la régulation sociale « protègent » l’individu contre le suicide, qui n’est pas seulement un acte individuel et volontaire, mais un phénomène social. Il en va de même pour l’éducation qui protège la société, de façon générale, contre les flambées de violence. Néanmoins, le système d’éducation – qui comprend non seulement l’école primaire, secondaire et les études supérieures, mais aussi l’espace public des médias de masse et des réseaux sociaux – est lui-même situé dans un contexte social, politique, économique et culturel plus large. Et c’est bien à ce portrait global qu’il faut réfléchir dès à présent pour cerner les limites du discours sur l’inclusion, la tolérance, la compassion, le dialogue et l’éducation. Ces choses n’ont jamais été aussi nécessaires à notre époque, mais elles ne parviendront pas, par elles-mêmes, à régler la situation. La tuerie de masse n’est pas d’abord une déficience psychologique ou une malformation du développement moral, causée par l’intimidation, le manque d’empathie et une peur irrationnelle vis-à-vis l’étranger ; c’est un phénomène social.

Il faudrait écrire un livre qui aurait pour titre : « La tuerie de masse ». Une première piste de réflexion serait d’aller chercher du côté de l’aliénation et des causes sociales qui aliment ce phénomène complexe, où se mélange perte de sens, impuissance, indifférence, sentiment de vide, perte de contrôle sur soi et ses actions. Nous vivons dans une société où un nombre grandissant d’individus ont l’impression étrange de devenir étrangers au monde, à eux-mêmes et aux autres ; le nombre de dépressions, d’épuisements professionnels, de suicides et diverses pathologies sociales attestent que quelque chose ne tourne pas rond, et qu’il ne s’agit pas là d’une simple collection de faits individuels et isolés. Évidemment, les individus apportent différentes réponses pour surmonter cette situation. En fait, la tuerie de masse constitue une réponse aliénée au sentiment d’aliénation, par la tentative vaine d’éliminer la cause fantasmée de ce sentiment d’impuissance. La haine de l’étranger est la fausse réponse au problème social et existentiel de la dépossession, qui s’exprime lorsque le monde devient silencieux, hostile, absurde, qu’il n’est plus le nôtre.

Dans une conversation anodine sur la question de l’immigration, une phrase anodine, à connotation raciste mais dotée d’une réelle profondeur philosophique, avait attiré mon attention : « on ne se sent plus chez nous ». Qu’est-ce que cela veut dire ? « Se sentir chez soi », c’est avoir une prise sur un monde, un monde auquel on peut s’identifier et se reconnaître, sur lequel nous pouvons agir et à travers lequel nous pouvons mener nos vies ; voilà un sentiment qui devient de plus en plus rare. Évidemment, l’arrivée des « étrangers » n’est pas la cause réelle de ce phénomène. Mais la perception d’une « immigration de masse », qui représenterait une menace à notre identité qui devrait être protégée contre les effets dissolvants de l’égalité des sexes et des races, des luttes pour la reconnaissance et du « progrès moral » en général, constitue une passion agissante qui transforme les subjectivités. Le sentiment de « plus être chez soi », signe de l’aliénation, représente l’« abstraction réelle », l’idéologie en acte qui tend à structurer de plus en plus les rapports sociaux. Que l’on veuille où non, la polarisation Occident vs Islam, majorité vs minorités, gens ordinaires contre bien-pensants, constitue un schéma narratif qui renforce ces associations logiques, en structurant l’imaginaire collectif d’une partie non-négligeable de la population.

***

Sommes-nous tous racistes ? Bien sûr que non. Est-ce qu’il y a de mauvais racistes fanatiques d’un côté, et la majorité innocente de l’autre ? Ce n’est pas aussi simple non plus. Le racisme n’est pas une chose, un état d’âme, une croyance, mais un rapport social, qui nous enveloppe malgré nous, oppresseurs et opprimés, privilégiés et groupes défavorisés. Sommes-nous tous victimes ? Oui et non. Nous en payons tous collectivement le prix, bien que les personnes en bas de la hiérarchie en payent le prix plus que les autres. Il ne s’agit pas de se victimiser outre mesure, de se flageller, de se culpabiliser comme affirment certains détracteurs de l’auto-critique. De toute façon, cette forme abstraite de repentir est un chemin qui ne mène nulle part. Mais il serait puérile de s’afficher comme victime de la bien-pensance alors que nos actes, nos paroles et nos gestes contribuent parfois, voire même souvent dans certains cas, à renforcer un rapport social bien réel.

L’oppresseur qui se transforme en victime est la plus vieille stratégie de rationalisation du groupe dominant, qui survient lorsqu’un groupe social remet en question un système de privilèges, une forme générale de traitement inéquitable, (in)conscient et pourtant systémique, une certaine logique de domination symbolique et pratique. L’argument de la victimisation de la majorité coupable n’est qu’un mécanisme idéologique qui mime le réflexe de l’autruche. Comment faire alors ? Apprendre à parler collectivement de racisme, avec soi-même, nos proches, et le monde en général, car aborder cette question épineuse ne va pas de soi ; elle amène son lot de dérapages, d’émotions parfois négatives, et d’autres formes expressives qui se manifestent parfois pour renforcer ou surmonter le déni. Or, l’importance de la situation exige de nous du courage pour affronter nos propres démons, dans le calme, la réflexion, et l’expression de sentiments parfois douloureux, comme dans toute thérapie individuelle et collective. Une société mature est une société qui a la capacité d’examiner, au-delà de ses évidences qui prennent le visage des « belles valeurs », les tréfonds ce ses pratiques, ses normes et ses imaginaires qui reproduisent parfois de vieux schémas dont il faudrait transformer. Il n’est jamais évident de parler de racisme, sujet explosif par excellence, que nous avons pourtant toujours abordé indirectement, car il concerne non seulement notre relation à l’autre, mais le rapport à nous-même en tant que collectivité.

Revenons à la question principale, la plus troublante, celle que certaines personnes appellent « avoir du sang sur les mains ». Cette phrase choc, à la limite polémique, ne doit pas cacher sa vérité, car c’est bien de responsabilité personnelle et collective dont il s’agit. Qu’elle est « notre » part de sensibilité ? Alexandre Bissonnette est évidemment à blâmer, cela est évident, voire trivial et mystificateur. Si ce jeune homme est l’auteur ou la cause directe de son action, celle-ci prend toujours place dans un arrière-plan complexe. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici d’accuser qui que ce soit de « meurtrier indirect », de chercher à tout prix un bouc-émissaire, de faire porter l’odieux de la catastrophe sur une seule grande figure mythique, comme Donald Trump. Ce serait trop facile, en occultant les causes réelles du désastre, dont Trump fait évidemment partie. Il y a bien un ensemble de circonstances historiques qui viennent « activer » un sentiment latent, des dispositions, une « idéologie » nocive, laquelle n’est pas à son tour « naturelle », simplement donnée, mais construite socialement. Accuser Trump et les radio-poubelles ne nous dispense pas de réfléchir sérieusement à la situation, qui se formule par cette simple question : qu’avons-nous fait ?

Généralement, c’est le mode de l’inauthenticité, celui du « On » pour employer l’expression de Heidegger, qui prend le dessus dans la conversation. C’est la faute de l’autre, de telle ou telle personne, ou mieux, c’est la faute de personne, à part l’auteur du crime bien sûr. « On » s’en lave toujours les mains. À qui la faute ? Trump, Le Pen, Bock Côté, Jeff Fillion ; non évidemment, c’est la fausse à Bissonnette, et seulement lui. En raisonnant de la sorte, nous nous déresponsabilisons personnellement et collectivement de ce qui s’est produit. Le « nous » et le « je » font place au « On », qui exclut la personne qui parle. Le « On », c’est tout le monde et personne à la fois, ou seulement quelques uns, mais seulement les autres, « ils », « eux autre », jamais « moi », jamais « nous ».

Revenons à l’aliénation. Dans son livre pénétrant sur le sujet, la philosophe Rahel Jaeggi souligne que l’aliénation survient lorsque l’humain sent qu’il devient étranger à soi-même et ses propres actions. Celles-ci apparaissent comme des choses éloignées, séparées de sa volonté, alors qu’il les a lui-même produites. Il vient à éprouver une certaine distance, une indifférence ou une méfiance, contre quelque chose qui lui vient de l’extérieur et semble s’opposer à lui, alors qu’il s’agit en fait d’une certaine relation déformée à soi-même. Dans cette situation, nous ne parvenons plus à nous « retrouver » dans notre travail, notre famille, notre société, nos institutions, lesquelles acquièrent une existence autonome, une indépendance par rapport à nos actes, ce qui se traduit par un sentiment d’impuissance face aux choses et au monde qui nous devient hostile.

En fait, ce n’est pas seulement Alexandre Bissonnette qui représente l’archétype de l’aliénation aujourd’hui, dans sa forme la plus pure et destructrice ; c’est aussi et toujours la société qui ne parvient plus à se reconnaître elle-même comme la source de ses discours et de ses actions, lorsque ses membres se désengagent de ce qui leur revient, lorsque les politiciens, chroniqueurs, intellectuels et autres personnes ayant une influence morale sur l’espace public refusent d’admettre leur part de la responsabilité, si infime, indirecte soit-elle, dans un processus d’ensemble qui revient à nous dominer nous tous. Paradoxalement, ceux qui se réclament du « nous » s’en détachent subitement, le protège de la critique alors que ce « nous » est en partie responsable de la situation, non d’un acte singulier de violence odieuse, mais d’un contexte nocif qui sèment les graines de la haine.

Contrairement au « On », le « nous » inclut la personne qui parle, et c’est ce qui lui donne toute sa responsabilité. Il ne s’agit pas d’accuser symboliquement un « nous » responsable de tous les maux, car ce « nous » est toujours et déjà les membres de la société, les sujets vivants, singuliers et concrets, qui habitent un monde partagé. Et bien qu’on puisse s’en dissocier individuellement, de façon abstraite et séparée, c’est encore le « On » qui parle, car le « je » est toujours et déjà lié à un monde qu’il n’a pas lui-même choisi, mais qu’il doit s’engager à transformer pour le rendre habitable pour soi-même et les autres.

C’est cette tâche collective de remise en question radicale, d’examen de conscience, de réflexion devant le miroir du « moi aussi, qu’elle est ma part de responsabilité dans ce qui s’est produit ? », du « que dois-je faire maintenant pour éviter que ça se reproduise ? », qui seule peut nous sauver. Le processus réel de l’éducation ne peut être autre chose que le fait d’apprendre de ses erreurs, ses ignorances et ses illusions, par une transformation pratique des contradictions et des conditions d’existence qui reproduisent ces illusions. Cela doit commencer par renoncer au « ils ont fait ça », et il nous faudra ruminer ces quelques questions : qu’est-ce je fais pour éviter ça ? Qu’avons-nous fait ? Que devons-nous faire ? Par là découlera la question pratique, éthique et existentielle par excellence : que dois-je faire ? Cela implique de nous retrouver dans nos propres actions, comme le souligne encore Jaeggi dans sa critique de l’aliénation.

« What we ourselves have created turns back on us and affects us as something alien ; « we ourselves » become and anonymous « no one » who can neither take responsability for nor be made responsible for the world we ourselves have created : « it was no one ». At the same time, however, relations appear reified, as if they could not be any other way. For this reason the « They » - « rule by nobody », as Arendt calls it – could be read as a description of precisely that structure we are attempting to find in connection with the topic of alienation : the « They » as a social power that has taken on an independent existence and is responsible for the fact that individuals cannot re-find themselves in their own actions. »[1]


[1] Rahel Jaeggi, Alienation, New York, Columbia University Press, 2014, p. 20-21.
Photo : Alienation - Ioana Harjoghe Ciubucciu

vendredi 27 janvier 2017

Trump, les aliens et l’aliénation

Le problème le plus fondamental aujourd’hui n’est pas celui des aliens, des « étrangers », mais celui de l’aliénation, c’est-à-dire la dynamique par laquelle nous devenons étrangers aux autres, à nous-mêmes et au monde. La xénophobie, que nous qualifions de façon superficielle comme la peur irrationnelle des étrangers, représente à la fois l’expression directe de ce sentiment d’aliénation, et la tentative individuelle et collective pour surmonter cet état d’impuissance. La négation de l’étranger vise en fait à retrouver du pouvoir sur nous-mêmes. C’est la solution imaginaire d’un problème bien réel, qui ne sera pas résolu par la simple condamnation morale de l’expression d’une misère matérielle, sociale, culturelle et existentielle. La critique concrète de l’aliénation consiste à déjouer le piège facile d’une lutte pour l’approbation ou la désapprobation, du débat idéologique entre inclusifs et identitaires, qui alimente la course aux armements de la polarisation de masse. La critique radicale consiste à saisir, sous les formes de conscience et les combats d’idées à la surface de l’espace public, les racines ou les sources de l’identité, c’est-à-dire les conditions d’existence qui contribuent à la reproduction de la fausse conscience. Cela implique donc une critique des formes de vie, c’est-à-dire des pratiques sociales, des façons de vivre, de sentir, de penser et d’agir, non pas pour les démolir, mais pour saisir, au sein de leurs contradictions pratiques, des voies pour bâtir des formes de vie bonnes ou réussies.

L’aliénation ne sera pas surmontée par l’expulsion des étrangers ou des xénophobes de la sphère publique, ni par la réconciliation factice d’un cessez-le-feu qui occulterait la contradiction centrale de notre époque. Il faut d’abord analyser le concept d’aliénation et débusquer ses multiples manifestations : perte de sens, indifférence, impuissance, apathie, conformisme régressif, division du moi, dépression. Il s’agit de comprendre l’aliénation, en saisissant ses causes, ses mécanismes, ses effets insidieux, ses impacts visibles et cachés sur les relations sociales et la formation de la personnalité. Évidemment, l’interprétation adéquate de la situation doit mener à l’action, afin de transformer les conditions sociales, morales, intellectuelles, techniques, économiques et politiques qui reproduisent cette dynamique d’aliénation. L’aliénation n’est pas réductible au capitalisme, au racisme, au colonialisme ou au patriarcat ; c’est le système total des dominations partielles qui contribuent à la perpétuation de la souffrance humaine. L’émancipation réelle ne peut être autre chose que le dépassement pratique de l’aliénation dans toutes ses dimensions.



Source d’inspiration : Rahel Jaeggi, Alienation, New York, Columbia University Press, 2014.

vendredi 20 janvier 2017

Hommage à Françoise David

La plus grande qualité de Françoise David, qui la fera entrer dans le panthéon des plus grandes femmes politiques de l’histoire du Québec, c’est la vertu. Bien que la pensée conservatrice et les adversaires de la gauche réduisent systématiquement la vertu à l’idéalisme, la bien-pensance ou le discours moralisateur de l’idéologie dominante, il faut rétablir la dignité de cette catégorie pratique qui manque cruellement au monde politique à notre époque. Qu’est-ce que la vertu ? Ce n’est pas d’abord une idée morale déconnectée de la réalité, mais un trait de caractère, une manière de juger et d’agir de façon appropriée dans le monde. La vertu est la force d’âme, une manière de conduire son existence, de se lier aux autres et de participer à l’amélioration de la société. Il s’agit d’une sensibilité particulière face aux événements, aux attitudes d’autrui, à l’histoire et aux hasards de la vie. Les quatre vertus cardinales sont le courage, la prudence, la tempérance et la justice ; surmonter les dangers, décider correctement en fonction des circonstances, manier l’art de la modération pour éviter les excès, et rendre à chaque personne son dû de façon équitable.

En me remémorant les réunions auxquelles j’ai eu la chance de participer au sein de Comité de coordination nationale de Québec solidaire, j’ai pu observer dans les gestes, les actes et les paroles de Françoise David la manifestation constante de ces multiples vertus. Elle est une femme à la fois très terre-à-terre et sensible, dotée d’une grande intelligence politique et habitée d’un réel amour du monde. À travers les échanges d’idées et de perspectives qui se transforment parfois en conflits, elle parvenait presque toujours à trouver la ligne de crête de la décision juste, avec une perspicacité capable de cerner l’essentiel parmi les particularités et les contradictions du contexte. Loin d’être fondée sur un moralisme abstrait, la sagesse pratique se définit par un pragmatisme accompagné d’une certaine idée du Bien. C’est ce que Aristote appelle la phronesis, la sagacité, la faculté de juger des affaires humaines toujours complexes, qui requiert une certaine dose d’expérience procurée par l’âge et surtout une longue histoire d’engagement. Si l’éthique de la vertu consiste à se référer à un certain modèle de l’homme ou de la femme vertueuse pour savoir comment agir dans une situation particulière, je crois que Françoise David représente à mes yeux l’exemple même de la vertu politique.

De plus, j’irais même jusqu’à dire que cette femme a incarné, tout au long de son histoire d’engagement citoyen et politique, les trois vertus théologales sous une forme moderne et sécularisée : foi, espérance et charité. La charité incarne l’amour du prochain, la compassion et la générosité, qui ne se limite pas à la philanthropie ou aux actions ponctuelles, mais peut se traduire par une exigence forte de justice sociale. De son côté, l’espérance désigne une confiance en la capacité du bien à triompher du mal qui afflige le monde. Elle est la contrepartie positive de l’indignation morale devant le spectacle des injustices, celle qui nous donne la motivation à agir pour changer l’ordre des choses, attitude illustrée son livre De colère et d’espoir. Enfin, la foi dans une société post-traditionnelle ne se manifeste pas d’abord par une disposition à croire aux vérités révélées, mais par le fait d’être habité par une énergie morale qui rayonne autour de soi. La foi désigne moins une croyance qu’une expérience, un rapport sensible, attentif et actif qui lie notre existence au devenir d’autrui et du monde. Loin de se réfugier dans la contemplation ou la pure intériorité, la foi est sortie de soi et élan vers l’action, qui pousse la personne à participer à la co-création du monde. C’est cette « énergie spirituelle », cet Amor Mundi si rare dans le domaine politique marqué par la quête de la gloire, le narcissisme et la domination, qui constitue à mon sens la contribution inégalée de Françoise David à l’avancement de la société québécoise, laquelle nous permet encore d’espérer en la possibilité d’un progrès historique.

La politique ne se définit pas d’abord comme l’art du pouvoir, mais comme la manifestation de l’action dans le monde, visant à changer ensemble nos conditions d’existence, afin de rendre vivantes et réelles les idées de liberté, d’égalité et de solidarité.

mercredi 11 janvier 2017

Le véganisme comme pratique ascétique critique

S’il y a un retour de l’ascétisme aujourd’hui, c’est bien sous la forme du véganisme. Bien que l’ascétisme revêtit jadis des formes religieuses, son contenu moral et symbolique traverse les époques et les cultures, des sociétés traditionnelles à la modernité tardive. Du grec ancien askêsis qui signifie « exercice », il s’agit avant tout d’une discipline volontaire du corps et de l’esprit, visant à atteindre un certain degré de perfection, notamment par l’abnégation ou le renoncement à une pratique jugée immorale ou impure. Cet exercice spirituel de purification, qui peut avoir des effets bénéfiques sur le corps et la santé, tout comme des conséquences pathologiques en cas d’excès, doit être compris à notre époque comme une quête de sens au sein d’un monde orienté vers l’efficacité maximale. La production industrielle de viande, qui amène des contre-finalités sur le plan éthique, social et environnemental, est directement responsable de la montée d’une pratique qui vise à changer le système par une conversion personnelle, un nouveau mode de vie. Le véganisme cherche à remplacer la domination de la rationalité instrumentale sur l’animal par le contrôle de soi, c’est-à-dire à substituer les relations de pouvoir sur les êtres vivants par le « souci de soi ». L’ascétisme est précisément cet exercice d’auto-limitation comme maîtrise de soi, comme dit Foucault : « Et le bon souverain est précisément celui qui exerce son pouvoir comme il faut, c’est-à-dire en exerçant en même temps son pouvoir sur lui-même. Et c’est le pouvoir sur soi qui va réguler le pouvoir sur les autres »[1].

Si le véganisme apparaît d’abord comme une stratégie individuelle de changement social, nul ne peut nier qu’il s’agit maintenant d’un phénomène social, dont la généralisation indique une métamorphose des mœurs, non seulement au niveau d’une moralisation de l’alimentation, mais également d’une politisation du système de consommation et de production de la nourriture qui repose sur l’exploitation généralisée. Loin de moi l’idée de condamner, à l’instar de Nietzsche, l’idéal ascétique qui serait contraire à la « vie », car l’existence humaine ne peut pas reposer indéfiniment sur la négation du non-humain. Mais il semble tout de même y avoir une certaine résurgence de la religiosité, sous une forme séculière, laquelle incarnerait aujourd’hui la « grande santé », une nouvelle idée de la vie bonne ou heureuse. S’agit-il d’une forme fausse ou réifiée de l’alimentation parfaite comme symbole d’une vie réussie ? À l’inverse, je crois que le véganisme est une négation pratique de l’alimentation aliénée, c’est-à-dire du système social qui reproduit mécaniquement l’être sensible transformé en chose à consommer. En ce sens, il s’agit bien d’une quête de résonance dans son assiette. Si Kierkegaard était toujours vivant, il y verrait sans doute une synthèse du stade esthétique, éthique et religieux comme voie de perfectionnement de l’existence alimentaire. Je mange donc je suis, manduco ergo sum. Cela peut bien sembler étrange, mais Nietzsche serait sans doute d’accord ; lorsque Zarathoustra rencontre le mendiant volontaire, ce dernier lui répond : « Si nous ne retournons en arrière et ne devenons comme les vaches, nous ne pouvons pas entrer dans le royaume des cieux. Car il y a une chose que nous devrions apprendre d’elles : c’est de ruminer. »[2]

[1] Michel Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté », Dits et Écrits. Tome IV, texte n°356, 1984. Disponible à l’adresse suivante : http://1libertaire.free.fr/MFoucault212.html
[2] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1903. Le Mendiant volontaire. Disponible à l’adresse suivante : https://fr.wikisource.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra/Quatri%C3%A8me_partie/Le_mendiant_volontaire

lundi 2 janvier 2017

Rétrospective sur les trois premières décennies du XXIe siècle

Selon Eric Hobsbawm, le « court vingtième siècle » se présente comme un « Âge des extrêmes » allant de 1914 à 1991[1]. C’est l’affrontement des superpuissances: deux grandes guerres mondiales, révolution russe et montée du fascisme, essor de l’Empire américain et rivalité avec le modèle socialiste qui s’effondre avec la dislocation de l’URSS. L’aube du XXIe siècle commence donc dans les années 1990, marquées par l’ère de la mondialisation, le triomphe du libéralisme et l’entrée dans la société en réseaux. C’est « l’heure des communications » (dixit Jean Leloup) avec l’arrivée du World Wide Web et la démocratisation massive d’Internet.

La deuxième décennie débute avec l’attentat du 11 septembre 2001, lequel annonce la crise de l’impérialisme américain, l’omniprésence de la « question terroriste », les conflits au Moyen-Orient et la surveillance de masse. Comment se décline les années 2000 du point de vue social, politique, technique et historique ? Sur la gauche, c’est la décennie de l’altermondialisme et de la gauche latino-américaine (Chavez, Lula, Correa, Morales) ; sur la droite, c’est la montée du conservatisme et de l’extrême droite, avec la popularisation de l’idée du « choc des civilisations » et la résurgence de la « question identitaire ».

Sur le plan sociotechnique, c’est le paradigme de la « mobilité » symbolisé par l’arrivée du iPod (2001) puis du iPhone (2007), qui se combine au paradigme « collaboratif » du web 2.0 qui intègre technologie, interaction sociale et création de contenu. Dans l’imaginaire collectif, la coupure est nette : les années 1990 étaient dominées par Microsoft, Bill Gates et le règne des informaticiens. Après l’explosion de la bulle Internet en 2001, ce fut le triomphe de Apple et Steve Jobs, alliant design et connectivité. C’est bien au tournant de l’année 2007 que s’opère une véritable « révolution numérique » par l’arrivée des médias sociaux comme Facebook et Twitter. Cette « dynamisation » du web par la « démocratie numérique de masse » constitue l’infrastructure technologique de l’espace public contemporain, qui a « absorbé » les relations sociales et les médias traditionnels. Il n’y a pas si longtemps, il y a exactement dix ans, nous sommes entrés dans un régime de « connexion totale » façonné par les réseaux sociaux et les téléphones intelligents.

Or, cette globalisation intégrale sur le plan techno-social coïncide avec la crise financière mondiale de 2007-2008. C’est à ce moment que débute la troisième décennie du XXIe siècle, qui marque l’échec de la mondialisation néolibérale et du capitalisme financier dérégulé. Sur le plan économique, c’est la trappe austérité-stagnation et l’impossible retour de la croissance. Il y a eu bien sûr le boom des BRIC (Brésil, Russe, Inde, Chine), mais l’émergence de ces puissances manifeste plus une reconfiguration de l’ordre géopolitique mondial qu’un réel espoir d’une relance économique durable. En Europe, c’est la crise de la dette publique dans la zone euro qui affecte la Grèce, puis l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, et Chypre. Aux Etats-Unis, la catastrophe financière est évitée de justesse, mais des millions de logements sont saisis année après année. L’économie piétine, le système est en panne, et de nombreuses sociétés traversent une nouvelle zone de turbulences.

Pour preuve : un nouveau cycle de révoltes, de luttes populaires et de mobilisations inédites depuis 2011 : Printemps arabe, mouvement des Indignados, Occupy Wall Street, grève générale étudiante de 2012, etc. Mais la multiplication des mobilisations de masse et des crises sociales n’amène pas les changements politiques souhaités. En Amérique latine, la mort de Hugo Chavez et la destitution de Dilma Rousseff marquent la fin de la « gauche de gouvernement ». Le mouvement altermondialiste s’essouffle, et les forces progressistes ne parviennent pas à formuler une alternative suffisamment forte pour remplacer la logique néolibérale et renverser les puissances financières. C’est la fin d’un cycle, mais pas le début d’un nouveau, comme en témoigne le décès de Fidel Castro en 2016 ; le socialisme, comme le vingtième siècle, sont bel et bien morts et enterrés.

Après l’effondrement du bloc soviétique, nous assistons trente ans plus tard à la décomposition du capitalisme (néo)libéral. Or, ce double échec du socialisme et du capitalisme pave la voie du populisme autoritaire comme pseudo-alternative au système. Si les deux premières décennies du XXIe siècle sont marquées par un mouvement progressif d’intégration des nations dans de grands ensembles et traités de libre-échange, notamment au niveau européen, la troisième décennie s’achève dans une crise globale qui mène tout droit à la désintégration généralisée et au repli national. Tandis que la conscience écologique et l’interconnexion croissante semblaient fournir les bases matérielles de l’idéal « citoyen du monde », l’explosion des inégalités sociales, l’insécurité économique et la « fabrique de l’homme endetté »[2] appellent la restauration de la souveraineté étatico-nationale pour préserver l’ordre social. Pour reprendre une image de Karl Polanyi, le mouvement de marchandisation qui expose la société au délitement amène un besoin de « ré-encastrer » l’économie dans la société, bien que cette « protection sociale » puisse prendre une forme démocratique ou autoritaire.

Malheureusement, c’est bien à la destruction de la démocratie que nous assistons actuellement. Première explication : l’échec du néolibéralisme et des élites libérales amène une résurgence ambivalente des nationalismes. Sous leur forme « progressiste », les mouvements indépendantistes écossais et catalan témoignent d’un besoin de reconquérir une plus grande autonomie politique tout en restant intégrés dans le cadre européen, avec un projet de société qui articule justice sociale et respect des minorités culturelles. Or, l’échec du référendum écossais et le référendum catalan avorté à l’automne 2014 soulignent l’incapacité du « nationalisme progressiste » à fonder un nouvel ordre politique. Cela laisse la porte ouverte pour le « visage sombre » d’une affirmation nationale basée sur le ressentiment.

2015 : année de désenchantement et de fureurs. 7 Janvier 2015 : attentat contre Charlie Hebdo, un symbole de la « liberté d’expression » attaqué par l'exaltation djihadiste. 25 janvier 2015 : la coalition de la gauche radicale Syriza prend le pouvoir en Grèce, avec l’intention de renégocier la dette publique grecque à l’intérieur du cadre européen. Juillet 2015 : après la victoire du « NON » au référendum sur les mesures d’austérité, le premier ministre Alexis Tsipras capitule sous la pression de la Troïka et la menace du « Grexit ». Cette défaite met en relief la « cage de fer » de l’Union européenne, et l’incapacité de la gauche à créer une rupture pour sortir de la crise. 13 novembre 2015 : attentat le plus meurtrier en France depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des fusillades au cœur de Paris qui tuent sauvagement 130 personnes et font 413 blessés. Résultat : proclamation de l’état d’urgence pour affronter la menace terroriste, qui alimente un sentiment de paranoïa et les discours islamophobes.

Pendant ce temps : la crise migratoire traverse l’Europe, conséquence directe des guerres civiles lybienne et syrienne. Résultat : plus d’un million de réfugiés entrent illégalement dans l’espace Schengen durant la seule année de 2015. Crise humanitaire en plein cœur de l’Europe, construction de camps permanents ou temporaires, de murs et de clôtures barbelées. Renforcement des contrôles militaires, montée en force des partis d’extrême droite partout sur le Vieux Continent. Nouveaux attentats terroristes à Bruxelles, Nice et Berlin en 2016. La « question terroriste » convergence avec la « crise des migrants » et le retour des frontières. La cerise sur le gâteau : la victoire surprise du Brexit en juillet 2016, puis l’élection de Trump en novembre 2016. C’est ce que nous pouvons nommer un « télescopage de l’histoire ».

Que cela signifie-t-il ? Tout d’abord, récapitulons les trois premières décennies du XXIe siècle : 1) années 1990, promesse de la mondialisation et des télécommunications ; 2) années 2000, révolution numérique et espoir d’un autre monde possible ; 3) années 2010 : panne globale et angoisse générale. La dernière décennie (2007-2017) a été celle d’un processus combiné de désenchantement et de décomposition, d’une promesse brisée et d’une incapacité de réformer le système. L’élection de Trump vient en quelque sorte confirmer l’échec du projet initial du XXIe siècle : la prospérité de la mondialisation n’a pas été au rendez-vous pour la majorité de la population, et l’espace public interconnecté par les médias sociaux n’a pas amené la « formation rationnelle de la volonté générale » qui sous-tend l’idéal de la délibération démocratique. L’unité globale sous le signe du commerce mondial a fourni les bases d’une démondialisation et d’un repli national comme voie de sortie, tandis que la « connexion totale » à l’ère de l’accélération sociale et du terrorisme larvaire contribue à la polarisation des opinions. Trump incarne et symbolise à la fois la convergence de ces processus historiques, et c’est pourquoi son arrivée au pouvoir clôt la dernière décennie, voire le premier grand cycle du XXIe siècle : l’« Âge de la mondialisation ».

De quoi aura l’air la prochaine décennie ? Nous la baptisons l’« Âge des monstres » en reprenant cette phrase prophétique de Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Bref aperçu. Consolidation des « sociétés de contrôle » avec l’accélération du développement technologique : arrivée de l’intelligence artificielle, robots, nanotechnologies, économie collaborative, Internet des objets, Big Data, surveillance de masse, dictature des Géants du web. Une économie de rentiers contrôlée par quelques grandes plateformes numériques (Google, Apple, Facebook, Amazon, Uber, Airbnb…) qui suppriment massivement les emplois par les algorithmes, les véhicules autonomes, l’économie de services automatisée, etc. Comme l’affirme le dicton : « on n’arrête pas le progrès ». Progrès technique, il faut souligner.

Sur le plan éthico-politique par contre, nous assistons à un mouvement inverse de régression morale, alimentée par l’insécurité économique, sociale et culturelle qui fournit déjà les bases du néo-fascisme qui est en train d’éclore sous nos yeux. L’instabilité généralisée engendrée par la crise du système multipliera les expulsions de toutes sortes et le nombre de réfugiés (politiques, économiques, climatiques), ce qui contribuera en retour à nourrir la peur, l’anxiété et la fermeture des frontières : prolongation de l’état d’exception, renforcement de la surveillance de masse et extension de la société de contrôle. Le chômage de masse et la précarité de l’existence appellent un besoin d’affirmation de la puissance militaire et de la fierté nationale contre les menaces intérieures et extérieures, réelles ou fantasmées, dont « les étrangers ». De quoi Trump est-il le nom ? Make American Great Again : une volonté de régénérescence dégénérée, le rêve américain devenu cauchemar clownesque.

« Ce cauchemar qui n’en finit pas »[3] est devenu notre réalité quotidienne. Que pouvons-nous espérer ? Certains dirons qu’il ne faut pas sombrer dans la « politique du pire » et éviter le piège du « catastrophisme ». Or, ces expressions définissent déjà notre situation, marquée par un mélange de guerre civile, d’assassinats ou d’expulsion d’ambassadeurs russes, de dictatures et d’escalade des tensions qui pointent vers une guerre généralisée. Après la « panne globale » de la dernière décennie, l’Âge des monstres sera celui de la « crise totale », pour le meilleur et probablement pour le pire. Comme le souligne Frédéric Lordon : « un système qui ne possède plus aucune force de rappel, plus aucune régulation interne, plus aucune capacité de piloter une réelle transition politique à froid ne mérite que de disparaître. Il va. Le propre d’un système aussi rigidifié, aussi hermétique à son dehors, et incapable d’enregistrer ce qui se passe dans la société, c’est qu’il ne connait pas d’autre « ajustement » que la rupture, et qu’il suffit de très peu de temps pour le faire passer de l’empire écrasant qui barre tout l’horizon à la ruine complète qui le rouvre entièrement »[4].

Courons-nous vers la ruine ? Nous y sommes déjà, si nous portons réellement attention à la figure du « réfugié » qui incarne à la fois l’état d’exception, la vie nue et la condition virtuelle de l’humanité. Les réfugiés, hommes, femmes et enfants, ne sont pas quelques centaines, mais légions ; phénomène massif, ces « marées humaines » risquent leur vie pour fuir la catastrophe et les ruines d’un monde détruit, en quête d’un lieu où l’existence sera enfin possible. Est-ce la fin de l’histoire ? Disons plutôt la fin d’une histoire, celle du XXe siècle, et de la promesse de la prospérité universelle par le progrès technico-économique. Que nous reste-t-il ? L’ouverture de l’horizon dans le champ de ruines, l’invention de nouveaux grands récits, l’institution d’un ordre nouveau où pourra prendre place l’organisation rationnelle et démocratique de la rareté.

Il n’y aura pas de transition à froid, mais une transition à chaud dans un système en décomposition. Bâtir par-delà les ruines, forger les ponts, et affronter la « tempête du pire » comme climat de notre époque. Si les trois premières décennies du XXIe siècle (1990-2017) ont pris forme sous le signe de l’Ambition, la prochaine décennie, qui aura pour tâche historique de faire accoucher un monde qui refuse encore de naître, exige de nous le retour de l’Audace. Selon Spinoza, l’Ambition est un désir immodéré de gloire, tandis que l’Audace désigne un désir qui excite quelqu’un à faire quelque action en courant un danger que ses pareils craignent d’affronter[5].


[1] Eric Hobsbawm, Age of Extremes : The Short Twentieth Century 1914-1991, Michael Joseph, London, 1994.
[2] Maurizio Lazzarato, La Fabrique de l’homme endetté. Essai sur la condition néolibérale, Éditions Amsterdam, Paris, 2011.
[3] Pierre Dardot, Christian Laval, Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie, La Découverte, Paris, 2016.
[4] Frédéric Lordon, Politique post-vérité ou journalisme post-politique ?, Le blog du Monde diplo, 22 novembre 2016.
[5] Spinoza, Éthique, Partie III, §XL, §XLIV.