La configuration des blocs historiques
Critique indépendantiste de la Convergence nationale (partie 2 de 2)
La
réflexion d’Amir Khadir dans sa lettre ouverte aux indépendantistes a le mérite de jeter la lumière sur la lutte de classes
sous-jacente aux politiques publiques qui servent à convoiter et/ou maîtriser
certains groupes sociaux dans l’antre du pouvoir. Or, il est bien connu que les
classes moyennes et populaires votent souvent contre leurs intérêts, pour une
série de raisons psychologiques, sociales et idéologiques (qui seront analysées
dans un prochain article). C’est pourquoi la conception de l’État comme
« société civile + société politique, c’est-à-dire hégémonie cuirassée de
coercition », est toujours pertinente. En fait, les classes sociales
dominées sont généralement soudées idéologiquement à certaines élites, formant
des unités en devenir que nous pouvons appeler « blocs historiques ».
Dans
une intéressante analyse du chercheur Philippe Hurteau, ce dernier distingue
les élites québécoises propres à chaque parti politique : le secteur
financier et les investissements internationaux (PLQ), le secteur
technocratique et nationaliste (PQ), et les élites régionales (CAQ). Nous
reprenons ces éléments d’analyse en combinant les classes dominantes aux
classes dominées formant les « blocs » de la société québécoise.
Parti libéral du Québec
|
Parti québécois
|
Coalition Avenir Québec
|
|
Classes
dominantes
|
grande
et moyenne bourgeoisie anglophone, patronat
|
bourgeoisie
francophone, élites nationalistes et technocratiques
|
petite
et moyenne bourgeoisie régionale, élites conservatrices
|
Classes
dominées
|
travailleurs
anglophones, communautés culturelles, classes moyennes francophones
fédéralistes
|
milieux
syndicaux et communautaires cooptés, classes moyennes et ouvrières francophones
et souverainistes
|
classes
moyennes conservatrices et déclinantes, travailleurs frustrés,
lumpenprolétariat
|
Ces trois partis élitistes
recoupent en fait deux blocs historiques : le premier est dominé par la
bourgeoisie anglophone urbaine (dont l’expression politique est le PLQ), alors
que le deuxième est dirigé par la petite bourgeoisie francophone régionale, sur
laquelle le PQ et la CAQ tentent d’asseoir leur hégémonie. Ce n’est pas un
hasard si le principal « potentiel de croissance électorale » du PQ
est à droite de l’échiquier politique (classes moyennes conservatrices et
bourgeoisie nationale), comme l’a bien montré Philippe Brisson de la firme de
conseil stratégique STRATEGEUM lors de son discours au congrès de la
Convergence nationale. Un éventuel effondrement du PQ ou de la CAQ amènera une
migration de 30% de l'électorat en faveur de l’autre parti, ce qui explique pourquoi le PQ
continue son virage à droite malgré la frustration de la frange « gauche
et indépendantiste » de son bloc historique.
Le nationalisme de
droite
Un éventuel référendum proposé
par le Parti québécois en échange d’une majorité parlementaire est une
possibilité logique, mais une improbabilité politique, car cela constituerait
un suicide électoral. Le fait que ce parti soit au actuellement pouvoir ne fait
pas grimper le taux d’adhésion au projet souverainiste dans les sondages, bien
au contraire. L’impopularité de l’indépendance est donc interprétée comme
l’absence temporaire des « conditions gagnantes », qu’il faudrait
rétablir par la voie du redressement.
Dans un discours bien lucide (au
sens péjoratif de conservateur), Joseph Facal a montré son scepticisme
vis-à-vis l’espoir d’un pacte électoral et tenté d’expliquer les deux raisons
du blocage souverainiste. La première est essentiellement réactionnaire et
stupide : bien que la riposte fédérale, la morosité économique, la faible
popularité du PQ et l’absence de crise constitutionnelle n’aident pas la cause
nationale, celle-ci serait d’abord alourdie par le fait qu’elle soit devenue le
véhicule d’un projet de société (thèse de Mathieu Bock-Côté et l’IRC), et
qu’une coupure historique aurait sapé la transmission générationnelle des
valeurs solennelles de labeur, sacrifice, solidarité désintéressée, mémoire
collective, patriotisme identitaire, etc. Une critique triviale de
l’immédiateté, de l’individualisme des jeunes et de leur manque de respect
envers la grandeur de la Nation ne permet malheureusement pas de dégager une
réelle compréhension de l’impasse souverainiste.
Cependant,
le discours de Facal fut davantage lucide (au sens mélioratif de clairvoyant)
sur le plan de la contradiction fondamentale du Parti québécois. Celui-ci a
pour double objectif de réaliser la souveraineté et de gouverner. Dans les
années 1970, René Lévesque considérait qu’il fallait savoir bien gérer une
province afin de montrer au peuple québécois et au parent canadien que l’État
du Québec était capable d’être autonome avant de devenir indépendant. Cette
stratégie autonomiste et étapiste fonctionna bien durant la période fordiste et
progressiste de la Révolution tranquille, mais se transforma en impératif de
redressement (déficit zéro) en temps de crise.
Dans
cette conjoncture, le Parti québécois au pouvoir se retrouve face à une
contradiction insoluble. D’une part, plus le parti souverainiste gouverne, plus
il prend des décisions impopulaires qui diminuent l’adhésion au projet
d’indépendance. Il cherche pourtant à améliorer son image par une saine gestion
(austérité), qui contribue malheureusement à la stagnation économique (cette
thèse keynésienne n’est pas défendue par Facal, même s’il devrait accepter le
K.O. technique contre l’économiste Paul Krugman). D’autre part, si le Parti
québécois gouverne bien et permet d’exercer pleinement les compétences de
l’État en allant cherchant de nouveaux pouvoirs au gouvernement fédéral, alors
la souveraineté pourrait être considérée comme au mieux souhaitable, mais non
nécessaire. Le peuple québécois se contenterait alors de sa condition en
retombant dans le confort et l’indifférence.
Ainsi se résume la contradiction du
Parti québécois : s’il doit bien gouverner pour faire la souveraineté,
l’exercice du pouvoir mine par le fait même le désir d’indépendance du peuple
québécois. Ce paradoxe retrouve sa pleine expression dans la stratégie de la
« gouvernance souverainiste » visant à faire la souveraineté par
l’art de bien gouverner. Pourtant, les lucides et les nationalistes
conservateurs n’ont pas d’autre solution que de rappeler l’Idée vivante de la Nation,
c’est-à-dire les fondements de l’identité à travers la défense de la langue, la
commémoration, la culture majoritaire, etc. La seule voie serait de remettre
« le Québec en mouvement » (croissance économique), en le rendant
conscient et fier de son identité. Facal ne surmonte pas la contradiction qu’il
dégage, mais s’y enferme à nouveaux frais ; il accentue les traits du
déclin par une volonté de redressement moral prenant le double visage de
l’austérité économique et du conservatisme culturel. Si l’idéologie néolibérale
et libertarienne s’attaque au premier volet, le nationalisme de droite de l’IRC
fournit l’armature hégémonique permettant de colmater la contradiction de la
question nationale. C’est pourquoi l’impasse du souverainisme débouche
naturellement sur le nationalisme identitaire.
Les partis populaires
L’intuition principale de cette
réflexion sur le devenir historique du Québec est que la panne du « modèle
québécois » ne peut être surmontée par le centre politique, car celui-ci
correspond précisément à la soudure fragile du bloc historique de la Révolution
tranquille (néo-corporatisme conjurant État-providence/syndicats/patronat). Il
n’existe donc que deux seules voies de sortie à l’impasse du projet
souverainiste de la conciliation nationale et de la transcendance de la
division de classes : le nationalisme conservateur (pour les élites) ou
l’indépendance transformatrice (pour le peuple). La lutte de classes traverse
la question nationale et lui donne sa pleine expression : ou bien la
barbarie capitaliste et identitaire, ou bien le socialisme et l’indépendance.
Le statu quo n’est donc pas un
simple choix politique, mais le produit de l’inertie historique d’un
gigantesque morceau d’institutions, de normes, de structures économiques,
d’idéologies et d’images culturelles sédimentées qui commence maintenant à se
fissurer. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas encore analyser les blocs
sociaux des principaux véhicules politiques qui désirent sortir de l’impasse en
évitant le marasme du front nationaliste conservateur (PQ+CAQ) : Québec
solidaire et Option nationale. Pour résumer, nous pouvons affirmer que le
premier repose sur l’émancipation des couches populaires et le travail des
classes progressistes, tandis que le second cherche à réactualiser un
nationalisme populaire revenant aux sources du projet souverainiste des années
1970. La scène politique québécoise est donc divisée en cinq formations
distinctes : trois partis élitistes (PLQ, PQ, CAQ) et deux partis
populaires (QS, ON).
Québec
solidaire
|
Option
nationale
|
|
Classes
dominantes
|
petite
bourgeoisie progressiste
|
petite
bourgeoisie souverainiste
|
Classes
dominées
|
classes
ouvrières, précariat, milieux syndicaux et communautaires, classes moyennes
progressistes
|
classes
moyennes souverainistes, classes ouvrières francophones
|
Si nous prenons l’analyse de
classes dans une perspective territoriale, le bloc historique de QS+ON repose
sur la petite bourgeoisie éclairée et les classes populaires francophones des
centres urbains, et potentiellement certaines populations régionales. Mais les
deux partis peuvent exercer une hégémonie différente sur certains secteurs de
la population : Québec solidaire peut rallier les classes anglophones et multiculturelles
urbaines, tandis qu’Option nationale pourrait davantage rejoindre les classes
moyennes régionales. Ce travail complémentaire ne signifie pas qu’il y aurait
éventuellement une fusion des deux partis, car il faut savoir distinguer entre les
partis individuels concrets et le « parti idéologique » qui réunit
l’ensemble des organisations citoyennes, politiques et culturelles reliées à la
formation d’un nouveau bloc historique.
D’une certaine manière, Québec
solidaire représente le point de gravité, le foyer convergent de cette nouvelle
constellation économique, sociale, culturelle, morale et politique. De son
côté, Option nationale est une entité « hybride » surdéterminée par l'idéologie souverainiste et son chef, même si le parti comprend deux tendances fortement mélangées : A) les nationalistes progressistes sympathiques à la
social-démocratie, au printemps québécois et à des rapports amicaux avec Québec
solidaire et les mouvements sociaux ; B) les nationalistes de centre
ou de droite, qui ne veulent pas que le programme du parti soit alourdi par des
« trucs compliqués » comme un projet de société et un processus
démocratique d’accession à l’indépendance. Ce camp ne fait pas réellement partie
de la nouvelle configuration du bloc historique, tandis que les
indépendantistes « éclairés » seront plus enclins à basculer vers
Québec solidaire lorsque le PQ et ON seront en crise.
Bien que la durée de vie d’Option
nationale soit indéterminée, ce parti continuera d’exister aussi longtemps que le
Parti québécois ne se sera pas entré de nouveau en crise, ou que Québec
solidaire n’aura pas réussi à assurer son hégémonie sur ce parti et les jeunes
indépendantistes. Si le premier scénario risque fortement de se produire lors
des prochaines élections générales (il n’est pas illusoire de prévoir
l’effondrement du Parti québécois dans le cas d’une élection imminente d’un
gouvernement libéral ou caquiste), nous explorerons la deuxième option en
articulant la Convergence nationale au bilan critique du dernier congrès de
Québec solidaire.
La voie Leduc
Lors du neuvième congrès de
Québec solidaire qui eut lieu entre le 3 au 5 mai 2013, ce parti fut confronté
à quatre questions majeures : les finances, les ententes électorales, la
mise à jour de la plateforme électorale et l’élection d’un nouveau
porte-parole. Si le premier point ne nous intéresse pas ici (bien que la
nouvelle loi sur le financement des partis politiques pourrait avoir un impact
important sur la centralisation et la bureaucratisation de Québec solidaire),
l’essentiel du débat ne fut pas programmatique, mais orienté vers la stratégie
électorale. Trois décisions clés permettent de dégager deux grandes voies, deux
tendances divergentes, deux « couleurs » qu’aurait pu emprunter le
parti s’il avait choisi une certaine combinaison de positions. Les trois points
pivots sont : A) la réouverture du débat sur l’Assemblée
constituante ; B) l’ouverture aux ententes électorales ; C) le choix du
porte-parole.
La première voie qu’aurait pu
emprunter Québec solidaire dans un scénario contrefactuel aurait été d’ouvrir
le débat sur l’Assemblée constituante, d’ouvrir la porte aux ententes
électorales avec Option nationale (le Parti québécois aurait été exclu dans
tous les cas), et d’élire Alexandre Leduc à titre de porte-parole. La première
décision concernait le fait que la Commission thématique sur la souveraineté,
la Commission politique, ainsi qu’une association locale proposaient
l’ouverture d’une discussion sur la clarification du mandat de l’Assemblée constituante,
suggestion qui a été bloquée par le Comité de coordination nationale en
obligeant les protagonistes de cette option à modifier l’ordre du jour du
congrès le 3 mai 2013.

« En réaction
à la décision de Québec solidaire de fermer la porte à toute entente électorale
ponctuelle favorisant l’élection de députés souverainistes, le chef d’Option
nationale, Jean-Martin Aussant, a dit regretter que Québec solidaire considère
la souveraineté comme accessoire, surtout suite à une intervention de Françoise
David elle-même qui s’est opposée à ce que la souveraineté prenne de
l’importance dans le programme de son parti. » http://www.optionnationale.org/actualites?start=4
Rétrospectivement, le rejet de la réouverture du débat sur l'Assemblée constituante ne manifeste pas un signe de faiblesse, car la position actuelle de Québec solidaire est devenue en quelque sorte la « norme » de la Convergence nationale. Le parti n'aura qu'affirmé sa position en renforçant sa confiance dans sa capacité de mener une lutte électorale sur ses propres bases, en espérant rallier les gens en faveur d'une alternative politique complète et réelle, sans diluer son projet de transformation sociale.
Par ailleurs, l’élection
d’Alexandre Leduc aurait probablement favorisé l’immigration de militant.es indépendantistes et progressistes
déçus par Option nationale, qui ont
décidé ou attendent encore de « sauter la clôture ». Par exemple, l'ex-candidat d'Option nationale David Girard quitta ce parti pour rejoindre Québec solidaire de manière assumée et déterminée. Alexandre Leduc
était en faveur de l’ajout du terme République dans la plateforme électorale et
appuyait ouvertement la précision du mandat de l’Assemblée constituante, ce qui
a probablement joué en sa défaveur. Il n’en demeure pas moins qu’il était fermé
aux ententes électorales, et qu’il aurait plutôt essayé de convaincre les
« onistes » indécis en renforçant la posture indépendantiste de
Québec solidaire. Il est difficile de savoir si les membres qui ont voté pour
Leduc étaient également en faveur d’une certaine collaboration avec ON, mais plusieurs appuyaient sûrement le projet de ce porte-parole concernant la promotion de la souveraineté et la volonté de rejoindre un plus grand bassin de
la population.
La voie Fontecilla
La deuxième voie qu’a finalement
adoptée Québec solidaire est celle de ne pas rouvrir le débat sur l’Assemblée
constituante, de refuser toute entente électorale, et d’élire Andrés
Fontecilla comme porte-parole. Il faut noter que l’écart entre les deux candidats potentiels était
très mince, de même que le vote sur les ententes électorales et la question de
l’Assemblée constituante. Les deux tendances coexistent donc toujours au sein du parti,
avec une légère prédominance de la voie Fontecilla. Ces deux courants ne sont
pas opposés mais complémentaires, et se distinguent par une petite différence
d’accent, la première ayant pour point focal la gauche et le militantisme, la
seconde la souveraineté et l’électoralisme.
Par exemple, Andrés n’a pas
hésité à parler de dépassement du capitalisme et d’anti-impérialisme dans son
discours, et invite chaque membre du parti à devenir un.e porte-parole. L’élargissement du débat
politique par la multiplication des analyses de conjoncture, ainsi que l’articulation
plus étroite avec les mouvements sociaux témoignent de l’origine communautaire
du porte-parole, du « parti de la rue » qu’il cherche à incarner.
Cela contraste avec le caractère plus traditionnel d’Alexandre Leduc, dont la
conception du recrutement reflète son origine syndicaliste et exprime davantage
le « parti des urnes ». Si Alexandre a de bonnes chances de devenir
le député d’Hochelaga-Maisonneuve aux prochaines élections, Andrés dynamisera sûrement le
militantisme et la politisation du parti par sa fonction de porte-parole extra-parlementaire.
Évidemment, une telle posture
braquera Option nationale et la « grande famille » souverainiste, car
Québec solidaire a décidé de se présenter comme la seule alternative politique
aux partis néolibéraux, et comme étant apte à prendre le pouvoir. En ce sens,
il aurait été incohérent d’ouvrir la voie à des ententes électorales menant à
la réélection majoritaire du Parti québécois, qui ne ferait que répéter la
marginalisation de la gauche et l’idéologie du « vote stratégique ».
Qu’il n’en déplaise aux adeptes de la Convergence nationale, Québec solidaire
choisit la convergence populaire des mouvements sociaux (écologistes,
féministes, syndicalistes, étudiants, etc.), des secteurs progressistes et des
classes dominées en quête d’une émancipation sociale et nationale.
L’indépendance de
gauche

À l’inverse, l’articulation de la
question nationale et du projet de société fut un thème récurrent des discours
de la première journée du congrès de la Convergence nationale. Jacques
Létourneau, Daniel Boyer, François Saillant et Nicole Boudreau (anciens Partenaires
de la souveraineté) n’ont cessé de rappeler l’importance de l’implication
réelle des citoyen.nes et des secteurs progressistes
du peuple québécois, l’indépendance ne pouvant pas ne pas mener à un changement
de société. De son côté, Gabriel Nadeau-Dubois fit un discours
anti-impérialiste et indépendantiste enflammé, qui reprit à rebrousse-poil les
lieux communs et le faux consensus de la Convergence nationale, tout en
s’attirant de chaleureux applaudissements émanant des souvenirs récents du
printemps québécois. Une ovation de la moitié de la salle accompagnée du
silence de l’autre moitié montre la divergence réelle, au sein même de la
famille souverainiste, entre une vision traditionnelle de la politique centrée
sur la majorité parlementaire, et une conception qui replace la lutte pour
l’indépendance dans la rue par la quête d’émancipation économique, sociale et
culturelle.

Le vrai visage de
la Convergence nationale
Si le désir pieux d’une
convergence électorale fut mis en échec malgré toute la bonne foi des bases
militantes des trois partis, il n’en demeure pas moins que la création de
l’éventuel Congrès national du Québec tentera de conserver l’idéologie
souverainiste dans une fortification de la société civile. Celle-ci continuera
de revendiquer le consensus et l’unité des forces souverainistes par-delà l’axe
gauche/droite, sous couvert d’une concertation a-partisane qui vise pourtant à
dicter aux partis ce qu’ils doivent faire pour conquérir le pouvoir de
l’Assemblée nationale. Bien que l’objectif avoué de la Convergence nationale
soit d’élaborer les bases communes d’une hypothétique entente électorale, son
but inavoué est de bâtir son hégémonie sur l’ensemble du mouvement
souverainiste par le biais d’une « mobilisation citoyenne » pilotée
par une structure centralisée.
Au lieu de rester un mouvement
subalterne aux partis politiques, un espace de concertation pour
indépendantistes désorientés, une rencontre œcuménique sans poids électoral
réel, le futur Congrès national du Québec rassemblera des membres de l’IRC, du
Bloc québécois, du NMQ, de l’ancien CSQ et les commissaires des États généraux
sur la souveraineté, allant des intellectuels progressistes comme le philosophe
Danic Parenteau aux technocrates et nationalistes bourgeois comme Renaud
Lapierre. Cette nouvelle structure aura pour fonction d’arracher la doxa
souverainiste au Parti québécois et Option nationale, en déterminant la bonne
lecture de l’Évangile (revendications et stratégies communes aux différentes
confessions politiques) qui permettra le salut national par les urnes. L’organisation
civile du souverainisme ne sera donc plus subordonnée aux têtes dirigeantes des
partis, mais deviendra le nouvel organe central de la morale nationale, le « parti
idéologique » qui établira son hégémonie sur les différents véhicules
politiques de son projet de convergence.
Le Congrès national du Québec
aura également pour fonction de jeter le discrédit sur Québec solidaire, secte
protestante qui n’aura pas suivi la voie orthodoxe du souverainisme. Elle sera portée
responsable de tous les maux par l’argument de la division du vote, alors que
cette formation aura en fait échappé et renoncé consciemment au mythe de la
famille souverainiste. La Convergence nationale représente en quelque sorte
d’une tentative de Contre-Réforme, une réponse de la tendance
« universelle » (catholique) à la Réforme solidaire. Celle-ci n’a pas
encore reçu son expression théorique, à la manière des 95 thèses de Luther, mais
celle-ci ne devrait pas tarder. C’est le propre de la philosophie de la praxis que de reconnaître son rôle historique dans le devenir même de l’agir politique. La praxis est la pratique qui se reconnaît
elle-même par la théorie qui découle de son action.
Bien que Convergence nationale se
targue de faire de la « grande politique » en exhortant le rassemblement citoyen
dans l’unité nationale, elle ne fait que de la « petite politique » afin d'éviter vainement un schisme bien réel qui annonce la fin d’une période
historique caractérisée par le règne de l’idéologie souverainiste. La grande
politique consiste plutôt à éclairer le sens des ruptures, des déclins et des
naissances, en élaborant une réforme « intellectuelle et morale »,
une « nouvelle culture » qui permettra non pas la souveraineté formelle,
mais l’émancipation réelle du peuple québécois. Cette réforme passera par la
construction d’un nationalisme contre-hégémonique, dirigé contre la doctrine dominante
du capitalisme réellement existant (le néolibéralisme) ainsi que son succédané
idéologique (le nationalisme identitaire), afin de guider l’action
révolutionnaire vers une véritable indépendance populaire. N’en déplaise à
Danic Parenteau qui voyait dans la Convergence nationale un lieu de grande
politique ; il s’agit plutôt d’une image du monde renversé.
« Grande politique (haute
politique) – petite politique (politique au jour le jour, politique
parlementaire, de couloir, d’intrigue). La grande politique comprend les
questions liées à la fondation des nouveaux États, à la lutte pour la
destruction, la défense, la conservation de structures organiques
économico-sociales déterminées. La petite politique, les questions partielles
et quotidiennes qui se posent à l’intérieur d’une structure déjà établie à
cause des luttes pour la prééminence entre les diverses fractions d’une même
classe politique. […] C’est le propre d’un dilettante que de poser les
questions de telle façon que n’importe quel élément de petite politique se
transforme nécessairement en une question de grande politique, de
réorganisation radicale de l’État. » Antonio Gramsci, cahier 13, §5