jeudi 11 septembre 2014

De l’unité citoyenne-populaire


De la gauche citoyenne aux classes subalternes

Pour rassembler, la gauche doit aller au-delà d’elle-même, c’est-à-dire parler un langage qui n’est pas le sien afin d’intégrer ses idées émancipatrices dans un parler populaire. Cela n’implique pas de modérer son discours ou de mettre au rancart des réformes jugées trop radicales ; il s’agit de dire franchement qu’elles sont les contradictions fondamentales de la société que les gens ressentent dans leur vie quotidienne. Michel Chartrand avait cette éloquence du franc-parler qui dérangeait en disant la vérité, qui ne flattait pas les classes populaires dans le sens du poil, mais les invitaient à passer de l’indignation à l’action. Pour ce faire, la gauche doit se déprendre de codes linguistiques, de concepts abstraits qui ne résonnent plus dans l’inconscient collectif, sans pour autant abandonner les valeurs qui lui sont chères. Comment faire pour changer de peau sans se dénaturer ?

Tout d’abord, il faut réfléchir au destinataire du message. Pour Québec solidaire, ses deux principaux interlocuteurs sont les progressistes et les groupes subalternes. Il en va ainsi, car les membres du parti sont principalement issus des mouvements sociaux et du milieu communautaire. Québec solidaire a réussi, dans un contexte où la gauche était en état de mort cérébrale depuis les années 1980 et 1990, à reconstruire l’unité des forces progressistes et des mouvements citoyens dans une seule organisation politique à la fois plurielle et unifiée. Opposé au néolibéralisme du Manifeste des lucides, QS a construit le concept de solidarité par le « socialisme des nous » symbolisé par un cercle multicolore : nous progressistes, féministes, écologistes, pluralistes, indépendantistes, altermondialistes, pacifistes, syndicalistes, membres de la communauté LGBTQ, etc. Nous qualifierons de « forces citoyennes » les personnes éduquées, conscientisées, ouvertes sur le monde et la diversité, sensibles à l’environnement, militant pour une société meilleure, etc.

Les forces citoyennes sont principalement concentrées dans les quartiers centraux de Montréal, bien qu’elles se retrouvent à différents degrés sur l’ensemble du territoire québécois. Sur le plan socio-économique, ce groupe est principalement composé de personnes étudiantes, précaires, d’employées des milieux communautaire, syndical, journalistique, artistique, médiatique et académique, d’entrepreneurs sociaux, de chargés de projet et d’autres personnes qui peuvent être associées à la catégorie générale des « créatifs culturels ». Il s’agit en quelque sorte de la nouvelle « petite-bourgeoisie » montante, analogue à celle qui donna naissance à la Révolution tranquille lorsqu’elle prit le pouvoir à la suite du règne duplessiste. Sur le plan générationnel, il s’agit principalement des personnes nées dans les années 1980 et 1990 (génération Y), bien que les forces citoyennes se retrouvent également dans différents groupes d’âge, notamment les baby-boomers qui ont toujours gardé leur cœur et leur tête à gauche.

La principale différence avec le contexte effervescent de la Révolution tranquille, c’est que la pyramide des âges est inversée, de sorte que le poids démographique de la nouvelle génération est largement inférieur à celle des baby-boomers. De plus, la stagnation économique, la crise fiscale de l’État, la crise de la représentation politique, l’explosion des inégalités sociales, la surexploitation des ressources naturelles et les changements climatiques font en sorte que nous ne sommes plus dans un processus ascendant de modernisation ou de « rattrapage » ; nous n’avons pas insuffisamment, mais trop de développement. Or, il y a une contradiction générationnelle au sens où les institutions nécessaires pour amener les profonds changements que la société doit entreprendre le plus tôt possible pour relever les défis du XXIe siècle sont entravées par l’inertie d’une majorité populaire et vieillissante qui n’est visiblement pas conquise par la « vision » des nouvelles générations.

Si la gauche peut accuser les puissants intérêts privés et la convergence médiatique qui obstrue mécaniquement l’émergence des nouvelles idées, elle doit également comprendre qu’elle ne s’adresse pour l’instant qu’à elle-même. Elle se bat certes pour la majorité sociale, une majeure partie de la population étant salariée, mais la plupart des individus se trouvent au sein de « positions de classes contradictoires », c’est-à-dire qu’ils sont employés et partagent certains intérêts des couches populaires, tout en étant gestionnaires ou en position d’autorité en intégrant certains intérêts ou valeurs des groupes capitalistes. Autrement dit, la classe ouvrière est loin d’être unifiée, la désindustrialisation ayant fait place à une économie de services flexible et molécularisée (postfordisme). La solidarité de classe ne se trouve plus d’abord au sein de l’usine ou dans la contradiction capital/travail, mais dans une série de luttes opposant le capitalisme et l’environnement ou le milieu de vie, le système et le monde vécu. Le paradigme n’est plus celui de l’« exploitation », mais de la « dépossession » des biens communs (éducation, espace urbain, ressources naturelles, territoire, etc.). Les nouveaux mouvements sociaux contestataires, qu’ils soient étudiants, féministes, écologistes, citoyens, autochtones, etc., s’inscrivent justement dans cette dynamique.

Par ailleurs, l’échec des projets collectifs comme le communisme et la social-démocratie, ou encore l’indépendance nationale pour le contexte québécois, accélère la désillusion face aux grands récits de la modernité et la perte d’intérêt pour l’universel. Les luttes globales pour la redistribution de la gauche traditionnelle ou l’auto-détermination nationale du mouvement souverainiste font place à des luttes particularistes pour la reconnaissance. Ces « politiques de l’identité » se manifestent via le mouvement féministe, les théories queer, le post-structuralisme, les post-colonial studies, etc. Cette seconde vague, qui débuta dans les années 1980 et prit toute son ampleur dans le sillage du mouvement altermondialiste, est souvent associée à un anti-capitalisme de tendance libertaire. Mais ce discours s’adresse surtout aux franges citoyennes, académiques et militantes, et non aux classes moyennes et populaires desquelles elles se distinguent fortement sur le plan culturel.

Lorsqu’elle ne se confine pas à elle-même, la gauche citoyenne parle aux classes subalternes. Celles-ci se distinguent des classes moyennes et populaires au sens où elles sont majoritairement composées de « minorités », des groupes les plus opprimés. L’analyse intersectionnelle s’intéresse justement à l’articulation complexe des différentes formes de discrimination, que ce soit en termes de sexe, genre, race, ethnicité, âge, capacité physique, etc. Lorsqu’elle ne s’adresse pas à ces figures singulières, la gauche citoyenne emprunte le discours communautaire de la « lutte contre la pauvreté », prenant la défense des assistés sociaux, des démunis, des laissés-pour-compte, des « sans-parts », broyés par la violence de l’austérité, du discours néolibéral et conservateur qui stigmatise les plus vulnérables et les personnes considérées comme « anormales ».

L’idéal type du « travailleur blanc, mâle et automobiliste » n’apparaît pas dans ce schéma d’analyse critique, sinon comme un individu privilégié ou potentiellement oppresseur. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de réhabiliter un conservatisme rampant ou de tabler sur la critique de la « gauche libérale » à la Jean-Claude Michéa. Il importe de préserver les profondes avancées théoriques de l’analyse intersectionnelle et de tenir compte sérieusement des multiples formes d’oppression ; mais il est tout aussi important de remarquer tout ce que cette perspective exclut de son cadre théorique, et de regarder comment il est possible d’intégrer, au lieu d’opposer, les projets politiques à caractère universaliste aux diverses luttes contre des formes particulières de discrimination. Cette intégration des considérations citoyennes et populaires est essentielle sur le plan stratégique, car la gauche n’arrivera pas à élargir son influence en se rivant sur les particularismes, les forces éclairées et les groupes les plus opprimés, qui représentent pour l’instant le cœur de son projet d’émancipation. Si les forces vives du changement doivent être attentives aux formes subtiles de domination pour éviter d’en reproduire inconsciemment, elles doivent également éviter de perdre de vue une grande partie de la population qui ne se reconnaît pas d’emblée dans la catégorie de « minorité » ou de « pauvre », mais qui serait potentiellement sympathique à une réelle transformation sociale.

Cette conception s’inspire des plus récents travaux de la philosophe et sociologue Nancy Fraser[1], qui cherche à dépasser la « liaison dangereuse » entre gauche radicale et néolibéralisme par un discours critique qui associe une conception de la justice comme redistribution, reconnaissance et participation, tout en évitant les clivages stériles entre vieille gauche et nouvelles pensées critiques. Pour le dire autrement, nous n’avons pas à choisir entre socialisme et théorie queer, souveraineté nationale ou libération des peuples autochtones. L’important est de penser l’articulation de ces moments de la théorie critique, ainsi que les modalités pratiques d’une réelle intégration pour élaborer un projet émancipateur réellement populaire, c’est-à-dire allant au-delà de la phase « citoyenne » de la gauche actuelle.

Qu’est-ce qu’un peuple ?

Le terme « populaire » est évidemment une catégorie controversée. Elle désigne négativement un « peuple » qui n’est pas opposé à des minorités (religieuses ou autres), mais à une « élite ». Cette élite est composée de la caste des politiciens professionnels et de la grande bourgeoisie francophone, canadienne et internationale (structurellement intégrée au grand capital). Cette élite profite de sa position privilégiée dans le système politique et économique, que ce soit par la collusion, la corruption, des salaires gargantuesques votés par des conseils d’administration complaisants pour féliciter la « performance » du PDG de leur organisation privée ou publique. Cette élite se sert abondamment à même les fonds publics, les baisses d’impôts des grandes entreprises, les subventions aux industries extractives, la spéculation financière et immobilière, les paradis fiscaux, etc. Cette « caste »[2] favorise un capitalisme sauvage prenant la forme de l’austérité et de la destruction du territoire. « Il se forme une alliance de classes autour de l'extraction, entre les industriels de l'extraction et du transport, les financiers et l'élite politique, ces trois-là tirant leur prestige, leur richesse et leur pouvoir de cette économie. S'y rallient aussi les travailleurs de l'extraction, malgré la méfiance qu’ils ont à l’égard de leurs employeurs. Cette alliance n’est pas qu’une question d’intérêts économiques, c’est, plus largement, une vision du monde, de la nature, de l’histoire et de sa place comme société dans l’histoire qui devient entièrement teintée par une culture et une idéologie extractivistes. »[3]

Les forces citoyennes font évidemment partie du « peuple », car celui-ci correspond à la majorité sociale qui s’oppose au 1% de la caste dirigeante. Mais les créatifs culturels représentent une faible minorité sur le plan numérique, malgré son leadership moral et intellectuel qui se manifeste à travers différents projets concrets et espaces publics de proximité. Les « classes moyennes », majoritairement situées dans les banlieues et les régions non-urbaines, représentent en quelque sorte la force d’inertie de ce bloc social, actuellement attaché aux classes dominantes par l’idéologie individualiste et conservatrice qui nuit pourtant à ses intérêts matériels. De leur côté, les classes populaires sont en quelque sorte ces couches précaires et largement invisibles, situées quelque part entre une classe moyenne déclassée, des vestiges de la classe ouvrière et d’autres personnes plus ou moins conscientes qui ne s’identifient pas pour autant aux forces citoyennes ou aux groupes subalternes. C’est une catégorie intermédiaire et floue, qui inclut le devenir de la classe moyenne qui se disloque progressivement entre une couche privilégiée et une majorité endettée qui jouit d’un confort matériel relatif et soutenu artificiellement par le faible taux de chômage, le crédit et les derniers morceaux de l’État-providence.

Avec ce portrait sociologique primaire, il devient clair que l’objectif de la gauche est de former une unité entre les forces citoyennes et populaires contre l’élite dirigeante, la caste des financiers, banquiers et politiciens corrompus. Le discours conservateur, qu’il soit nationaliste ou libertarien, oppose la « clique du Plateau » aux régions, le Montréal cosmopolite et « bobo » aux « gens ordinaires ». Cette idéologie vise précisément à renforcer l’antagonisme entre les initiatives citoyennes et les groupes populaires, les acteurs du changement et la majorité sociale, pour éviter qu’elles ne se parlent directement et forgent une alliance contre les classes dominantes et les forces réactionnaires. Le but cette clique d’« intellectuels conservateurs », ou plutôt de ces chroniqueurs populistes qui assument pleinement leur rôle d’idéologues publics (Mario Dumont, Éric Duhaime, Mathieu Bock-Côté et compagnie), est d’empêcher par tous les moyens l’émergence du bloc historique qui pourra amener une réelle transformation de la société québécoise.

Il existe à l’heure actuelle deux sociétés dans le Québec : 1) l’une est issue de la Révolution tranquille, est encastrée dans la culture de consommation, et représente la majorité sur le plan démographique ; 2) l’autre est minoritaire mais influente sur le plan culturel, elle s’est déjà manifestée durant le printemps québécois et à travers d’autres initiatives visant à reconstruire l’espace public, l’économie et le bien commun sur les débris de la modernisation capitaliste, en annonçant un Nouveau monde qui hésite à naître. Mais ces « deux Québecs » sont pour l’instant opposés par la peur, un fossé culturel, les préjugés, et un moralisme qui sévit des deux côtés.

Pour dépasser cette opposition figée entre la culture première de la Révolution tranquille et la culture seconde de la nouvelle révolution à venir, il faut impérativement appuyer la seconde sur l’héritage de la première, l’ancrer dans une « culture populaire » actuellement mélangée par des éléments anciens et nouveaux, car en matière d’élaboration de « visions du monde », il n’y a pas de création ex nihilo. Toute réforme intellectuelle et morale, qui précède toujours la révolution politique et économique, doit savoir dénicher le nouveau dans les tréfonds d'un autrefois. La tâche historique de la gauche est de dépasser son identité politique actuelle, qui n’est pas essentielle mais relative à une phase déterminée de son processus de développement, pour embrasser une nouvelle forme symbolique, culturelle et pratique, qui permettra de faire bloc avec le peuple qu’elle cherche à rassembler.

Cette identité nouvelle ne peut naître d’une convergence synchronique, c’est-à-dire d’un rassemblement de particularismes sur une plateforme sans projet politique unitaire. Le « narcissisme du multiple », qui prit naissance en réaction au « dogmatisme de l’unité », doit lui-même être nié par l’articulation dialectique du particulier et de l’universel, qui ne peut émerger qu’à travers la formation d’une conception diachronique, une conscience historique. Autrement dit, il est plus explosif d’élaborer un projet politique à partir d’une étude attentive des classes populaires, d’une lecture renouvelée de la Révolution tranquille et d’une reprise critique de l’héritage intellectuel québécois (Fernand Dumont, Hubert Aquin, Gaston Miron, Marcel Rioux, Pierre Vadeboncoeur, etc.), qu’en essayant de former une plateforme électorale par une collection des revendications de la société civile, ou l’unité des multiples tendances de gauche actuelles qui ne sont pas capables d’aller au-delà d’elles-mêmes.

Autrement dit, l’objectif n’est pas de savoir comment élire un gouvernement solidaire, car celui-ci aura d’abord besoin d’un sujet politique, d’un peuple, pour l’amener au pouvoir. Le processus de formation de cette unité populaire doit devenir le centre d’attention de la gauche, et non sa propre stratégie partisane pour la conquête de l’État. Comme disait Rousseau : « un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique. Avant donc d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l’autre est le vrai fondement de la société. »[4]

Ce peuple, une fois formé, constitue un corps politique qui incarne alors la souveraineté populaire. Si les forces citoyennes représentent en quelque sorte le « peuple actif », tandis que les classes populaires représentent la dimension passive, elles ne sont au fond que les deux faces d’une même médaille, les deux aspects d’un même processus historique. Autrement dit, si les citoyens et les gens ordinaires se distinguent « formellement », dans l’entendement ou à des stades déterminés de la dynamique sociale, ils constituent tout de même une « unité réelle » qui est la source du pouvoir constituant. « Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité, et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens, comme participant à l'autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l'État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision. »[5]

Le problème de la polarisation

Toute cette analyse va à contre-courant de la tendance dominante qui pense la majorité sociale comme une loi de distribution normale (la fameuse courbe de Gauss en forme de cloche), comme si les gens ordinaires étaient au centre, les forces citoyennes à gauche et les riches à droite. La stratégie politique basée sur cette vision erronée de la réalité sociale consiste à créer une grande alliance de classes, une constellation gauche/droite basée sur la concertation entre syndicat et patronat, les classes populaires et la bourgeoisie, qui trouvent leur unité dans un grand projet national et/ou social-démocrate. Malheureusement, cette stratégie qui avait une signification dans le contexte spécifique de la Révolution tranquille n’a plus de sens aujourd’hui, car sur le temps long il s’agit plutôt d’une exception historique basée sur la vague des Trente Glorieuses. En effet, le compromis fordiste et l’État-providence permettait de partager les fruits de la croissance entre les entreprises et les classes moyennes, la grande bourgeoisie francophone était quasi-inexistante, et la petite-bourgeoisie montante (technocrates, politiciens, journalistes et intellectuels) étaient alors acquis aux idéaux du néo-nationalisme réformiste et avaient un souci relatif des classes moyennes et populaires. Aujourd’hui, la grande bourgeoisie québécoise, canadienne et internationale est complètement unifiée avec la caste des politiciens carriéristes, qui n’ont plus aucun scrupule à ignorer les lois et à bafouer les intérêts du peuple, si ce n’est qu’en brandissant le hochet  de la saine gestion des finances publiques et des « vraies affaires ».

La gauche ne pourra plus miser sur un large consensus social à la manière du nationalisme réformiste du début de la Révolution tranquille, car le rapport capital/travail est complètement renversé et le lien de confiance entre les citoyens et ses institutions est définitivement rompu. Si les forces progressistes ont réussi à s’allier au sein d’un même parti politique, l’heure est venue à l’élargissement au-delà du cadre partisan et militant. Le mot d’ordre doit être : « non pas unir la gauche, ni rassembler les forces souverainistes, mais fédérer le peuple ». Il faut donc couper l’herbe sous le pied de la droite et du populisme conservateur en développant un « populisme de gauche » anti-système et émancipateur. Il s’agit de s’adresser aux gens ordinaires, non seulement dans le discours, mais dans l’action, afin de former un bloc historique contre l’élite dirigeante. Cet antagonisme est celui qui pourra repositionner le sentiment d’affirmation nationale et populaire, non contre les minorités, les bobos, les jeunes fainéants, les artistes et les BS, mais contre les réels parasites de la société, la caste corrompue de la classe politique et des bandits à cravate.

Ce discours teinté par la « lutte des classes » peut sembler un peu trop agressif, mais il permet de canaliser les frustrations des classes moyennes et populaires vers les réels profiteurs du système, alors qu’elles sont actuellement gagnées par le discours de la droite et d’une extrême droite larvaire (des radio-poubelles). En fait, c’est la droite qui manipule fort habilement la lutte des classes, en opposant un « peuple » au « système », qu’elle identifie à la petite-bougeoisie bien-pensante, l’élite médiatique, le complot islamo-gauchiste, etc. Ce discours est terriblement efficace pour dénigrer systématiquement l’identité de la gauche et cimenter l’identité des classes populaires à la droite qui prétend défendre les « vrais travailleurs » et le « monde ordinaire ». Cette polarisation, qui fut exacerbée durant le printemps québécois et surtout à travers le débat sur la Charte des valeurs, consiste à accentuer les contradictions au sein du peuple, et amène de profondes divisions au sein de différents mouvements : féministe, souverainiste, etc.

Or, la réponse à cette « wedge politics » n’est pas de miser sur le bon consensus du modèle québécois (qui n’existe visiblement plus), mais de déplacer cet antagonisme vers l’extérieur du peuple, vers un bouc émissaire qui est objectivement responsable des inégalités, des tensions, de la destruction du bien commun : l’élite dirigeante. L’unité d’un « Nous » se forme toujours par opposition à un « eux », mais il serait pernicieux d’abandonner toute élaboration d’un « nous populaire » par réflexe progressiste, en laissant le champ libre à une droite conservatrice qui forme un « nous populiste » par opposition à la gauche.

Il ne s’agit pas de polariser inutilement, mais de constater que le discours consensuel ou le centre politique ne devient plus une option viable dans un monde sans croissance assiégé par les multinationales, l’industrie pétrolière et l’austérité. Sans être alarmiste, le contexte socioéconomique dans lequel devra se dérouler la nouvelle révolution québécoise sera précisément l’inverse de celui qui donna lieu à la Révolution tranquille ; non pas une phase d’expansion économique et de modernisation, mais une « crise systémique » alimentée par l’impératif de croissance illimitée et une modernisation destructrice qui mine les conditions d’existence de la vie humaine et des écosystèmes. Nous devons prendre sérieusement en compte l’avertissement de Walter Benjamin : « Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Mais peut-être les choses se présentent-elles tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte, par lequel l’humanité qui voyage dans ce train, tire sur le frein d’urgence. »

Québec solidaire ferait ainsi une grave erreur d’essayer de se recentrer et de modérer son discours pour gagner le centre politique, car son image citoyenne lui collerait toujours à la peau et elle ne représenterait plus une alternative politique au système actuel, alors que la CAQ essaie encore de projeter ce rêve conforme à l’identité des masses populaires. Le populisme est à la mode, qu’on le veuille ou non, et il faut savoir en tirer parti pour relancer un projet d’émancipation rassembleur. Il ne faut pas donc pas se présenter comme un « parti apte à gouverner » (stratégie du bon gouvernement), mais comme l’unité populaire qui pourra enfin permettre au peuple de se gouverner lui-même.

Le discours de la lutte des classes est à l’ordre du jour, mais il doit être déplacé parce que le peuple ne s’identifie pas à la « gauche », qui est pour l’instant associée avec raison avec la défense de l’État, les forces citoyennes, la culture urbaine et les mouvements sociaux auxquels les classes populaires ne s’identifient pas. Il faut sortir du clivage stérile entre la gauche citoyenne et la droite conservatrice, par une nouvelle opposition entre « ceux d’en haut » (la caste dirigeante, l’élite économique et politique) et « ceux d’en bas » (le peuple, les classes moyennes, populaires et précaires). Cette stratégie discursive est celle de l’alternative Podemos en Espagne, où Pablo Iglesias, professeur en sciences politiques et spécialiste en communication, a réussi à l’introduire avec succès dans une crise d’austérité. Dans une entrevue à Mediapart, un journaliste demande au leader du mouvement comment il a réussi à tirer son épingle du jeu comparativement aux autres pays européens où l’extrême droite triomphe de la crise.

« Des reconfigurations de la gauche sont à l'œuvre en Espagne, sous l'effet de la crise. Quel regard portez-vous sur la situation française, où la gauche semble plus que jamais mal en point ?

L'axe fondamental pour appréhender la situation politique n'est plus l'axe gauche-droite. Je suis de gauche, mais l'échiquier politique a changé. Le déclic en Espagne a été le mouvement du « 15-M » (en référence au 15 mai 2011, date du surgissement des « Indignés »). L'alternative se définit désormais entre la démocratie et l'oligarchie, entre ceux d'en haut et ceux d'en bas, entre une caste de privilégiés qui a accès aux ressources du pouvoir et une majorité sociale. L'enjeu, pour nous, c'est de convertir cette majorité sociale en majorité politique et électorale. Nous voulons dire des choses simples : on est contre la corruption, contre l'absence d'un vrai contrôle démocratique sur l'économie, pour que les riches paient des impôts. On pense qu'il est possible de construire une majorité sur ces sujets, pour changer les règles du jeu. C'est ce qu'il se passe depuis 15 ans en Amérique latine : la contestation du libéralisme ne s'est pas tant faite sur une base idéologique que sur des thématiques nationales-populaires. Ce schéma peut aussi fonctionner en Europe. Le pouvoir n'a pas peur de l'unité des gauches, mais de l'unité populaire. »[6]

Selon Pablo Iglesias, ce qui différencie Podemos de ses concurrents comme Izquierda Unida (cousin espagnol de Québec solidaire), « ce n'est pas tant le programme. Nous voulons un audit de la dette, la défense de la souveraineté, la défense des droits sociaux pendant la crise, un contrôle démocratique de l'instrument monétaire… Ce qui nous différencie, c'est le protagoniste populaire et citoyen. Nous ne sommes pas un parti politique, même si nous avons dû nous enregistrer comme parti, pour des raisons légales, en amont des élections. Nous parions sur le fait que les gens « normaux » fassent de la politique. »[7]

L’hybridation des identités politiques

Contre la désinformation du système médiatique, la gauche préconise souvent, à juste titre, l’éducation populaire, la sensibilisation de proximité et d’autres techniques permettant de défaire les préjugés et les craintes liées à une mauvaise perception des identités politiques. Néanmoins, l’unité populaire ne pourrait pas se limiter à la multiplication des activités politiques traditionnelles comme les communiqués de presse, la distribution de tracts dans les espaces publics, l’organisation d’assemblées citoyennes, ou un patient travail de porte-à-porte dans le cadre de campagnes électorales, aussi importantes soient-elles. L’unité globale n’émerge pas spontanément de l’addition de petites initiatives.

Il est certes louable d’expliquer longuement un programme politique au téléphone ou dans une assemblée de cuisine, mais il est surtout nécessaire de dégager des grands principes ; non des valeurs abstraites comme l’égalité et la solidarité, mais des noyaux structurants qui parlent aux gens directement. Il sera question de la structure logique du projet politique dans le prochain texte. L’important est que la gauche se dessaisisse de son obsession pour la citoyenneté et les particularismes, non pas pour les cacher honteusement ou stratégiquement afin de manipuler les classes populaires, mais pour les rendre sensible à l’individu « ordinaire » pour qu’il découvre qu’il est lui aussi un acteur de changement, le sujet de l’Histoire.

Sur le plan médiatique, cela pourrait prendre la forme de capsules vidéo avec des personnes issues des classes populaires, des régions ou des banlieues, racontant dans leurs propres mots l’impact des politiques publiques, de la spéculation ou des changements climatiques sur leur réalité vécue ; cela créerait une « dissonance cognitive » où le spectateur s’attendait à entendre un discours conservateur, alors que les idées « progressistes » sont généralement défendues par des jeunes universitaires ou des représentants de la société civile comme Steven Guilbeault. Ce processus de « désidentification » est subversif, car il remet en question le partage sensible des identités classiques, les rôles assignés du bon citoyen et du mauvais conservateur qui figent trop souvent le débat. Cela ne doit pas se limiter à une capsule vidéo, mais devenir une réelle entreprise de déconstruction systématique de l’identité citoyenne et militante pour l’hybrider à celle des classes moyennes et populaires.

Un même discours, au contenu factuel identique, n’a pas la même signification en fonction de celui qui porte le message. En reprenant le schéma de la communication de Jakobson, la fonction « poétique » du message est non seulement le produit d’un contact humain (fonction phatique), ou du contexte politique (fonction référentielle), mais de la relation dynamique entre le destinataire (fonction conative) et le destinateur (fonction expressive). Cet effet est d’autant plus grand par la subversion des rôles, où le récepteur (le peuple) devient lui-même le locuteur (le citoyen). La gauche ne parle plus « au nom du peuple », c’est le peuple lui-même qui parle la langue de d’émancipation sociale et nationale. Cette hybridation de l’identité citoyenne et populaire est un élément essentiel pour la construction d’une nouvelle unité politique. Elle permet d’entendre un nouveau discours de la bouche des classes moyennes et de voir des citoyens se réapproprier les savoir-faire de leurs grands-parents et la débrouillardise de leurs parents.

Cette dynamique existe déjà à l’heure actuelle dans différentes niches du Québec, dans les régions et d’autres interstices où il y a une certaine osmose entre les forces citoyennes et les classes populaires. Alors qu’à Rosemont ou sur le Plateau-Mont-Royal nous avons affaire à une forte concentration de jeunes étudiants, de créatifs culturels et de bobos qui contrastent nettement avec la concentration aussi forte de classes moyennes dans les banlieues de la grande métropole, certains villages du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et d’autres coins insoupçonnés du Québec voient apparaître l’émergence de nouveaux projets, de néo-ruraux et d’autres expérimentations locales comme des coopératives de solidarité. Malgré qu’il s’agisse souvent d’initiatives citoyennes issues des franges étudiantes qui reviennent habiter dans leur coin de pays, l’antagonisme est beaucoup moins prononcé entre l’identité citoyenne et populaire, les influences étant beaucoup plus perméables et mutuellement complémentaires.

Ce « brassage géographique » des identités est une autre dimension essentielle à la construction d’une unité nationale et populaire sur l’ensemble du territoire québécois. Il faut à tout prix éviter le phénomène de ségrégation spatiale qui forme une forteresse solidaire au cœur de Montréal, entourée d’une mer conservatrice d’automobilistes qui ne partagent pas la culture du bio et du vélo. Pour le meilleur et pour le pire, il faut que la gauche « pense comme un char », c’est-à-dire se mette dans la peau d’un individu moyen qui circule quotidiennement en voiture et habite dans une maison éloignée de son lieu de travail. Cette « condition de l’homme postmoderne », qui tend à se transformer en une « société de travailleurs sans travail » pour paraphraser Hannah Arendt, confine la majorité de la population dans un avenir sombre. C’est pourquoi le peuple a cruellement besoin d’une lumière venant d’un « autre monde qui existe déjà dans celui-ci », des nouvelles générations et des expérimentations sociales qui jaillissent un peu partout sur la planète à l’heure actuelle.

La jeunesse étudiante, conquise aux acquis de la gauche, qui a souvent eu l’occasion de voyager en Europe, en Amérique latine ou ailleurs dans le monde, connaît trop peu le territoire québécois, sa population et ses richesses. À l’inverse, une majorité d’habitants des régions et des banlieues n’ont pas la chance ou le goût de voyager pour découvrir de nouvelles idées et d’autres cultures, si ce n’est en Floride ou avec des forfaits vacances tout inclus. Le sens de l’unité citoyenne et populaire est de réunir ceux qui voyagent, mais ne connaissent pas leur pays, et ceux qui ne voyagent pas, mais habitent le pays.

À cette conscience géographique s’ajoute celle d’une conscience générationnelle, basée sur la culture seconde de la nouvelle génération qui prit sa distance avec la culture de consommation de leurs parents, telle qu’illustrée par le livre de Samuel Archibald intitulé le Sel de la Terre : confessions d’un enfant de la classe moyenne. Cette nouvelle culture doit prendre conscience d’elle-même non pour rejeter moralement en bloc celle de ses parents, mais pour préserver ce qu’elle a de beau, sa saveur, son humanité. Il ne s’agit pas de refouler la critique d’un mode de vie non durable et de pratiques sociales qui méritent d’être changées, mais de sortir de la contestation adolescente et de la critique culturelle pour passer à l’élaboration d’une pensée pratique qui inclut non seulement les enfants d’aujourd’hui et de demain, mais l’héritage de nos parents et de nos ancêtres. Cette réconciliation spatiale, sociale et historique est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour que la pyramide des âges ne soit plus un frein, mais un tremplin pour le changement social.



[1] Nancy Fraser, Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néolibérale, La Découverte, Paris, 2012
[2] Le terme « caste » désigne une classe sociale fermée qui cherche à maintenir ses privilèges.
[3] Éric Pineault, La panacée. L'histoire du panax quiquefolius et le mirage de l'économie extractive, Revue Liberté, no.300, été 2013, p.31 http://www.revueliberte.ca/content/la-panacee
[4] Rousseau, Du Contrat social, chap. I, v
[5] Rousseau, Du contrat social, chap. I, vi
[7] http://www.mediapart.fr/journal/international/200614/pablo-iglesias-podemos-nous-ne-voulons-pas-etre-une-colonie-allemande?page_article=2
[8] Gilles Gagné, Le socialisme des « nous », Recherches sociographiques, vol. 24, no. 1, 1983, p.95-122

dimanche 7 septembre 2014

Quelques thèmes sur la question régionale


 Prolégomènes à l’étude de l’espace québécois

La gauche québécoise, dans sa phase actuelle de reconstruction historique, est essentiellement montréalaise. Elle s’érige solidement au cœur de la métropole, dans les quartiers centraux comme Rosemont-La Petite-Partie, Le Plateau-Mont-Royal, Ville-Marie, Le Sud-Ouest, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et Villeray. Elle existe certainement dans l’ensemble des régions du Québec, mais elle demeure largement minoritaire, voire négligeable dans l’espace public. Autrement dit, la gauche ne représente pas encore une force politique à l’extérieur d’un périmètre de 50 km2.

De manière schématique, voici une analyse de François Cardinal qui dresse « le portrait électoral de la grande région de Montréal. Il observe trois grandes solitudes : d'abord le coeur orange, détenu par Québec solidaire. Il s'agit d'un noyau majoritairement représenté par une population « bo-bo et grano ». Ensuite, il y a les îles rouges qui rassemblent le reste de Montréal et de Laval. Ce territoire est représenté par une population majoritairement anglophone et allophone. Enfin, il y a la couronne bleue qui comprend des électeurs qui votent pour le Parti québécois et la Coalition avenir Québec. C'est là où l'on trouve les voitures et les maisons unifamiliales. »[1]

Pourquoi existe-t-il un tel fossé entre le « centre » et la « périphérie », la « ville » et les « régions » ? Cela tient-il à des facteurs économiques, institutionnels, culturels ou idéologiques ? La gauche est-elle condamnée à rester un phénomène essentiellement urbain, les régions continuant à être arrimées à la défense du statu quo ? Comment dépasser l’écart grandissant entre les nouvelles pratiques sociales et les habitudes du sens commun ?

Nous employons l’expression « question régionale » pour désigner l’ensemble des problèmes liés à l’articulation idéologique et stratégique de la question nationale et sociale par le biais du rapport géopolitique entre le centre et la périphérie. La question régionale permet d’inscrire le problème de l’unité populaire dans une perspective spatiale, en dégageant les divergences et alliances potentielles entre divers groupes sociaux distribués inégalement sur le territoire québécois. Cette approche permet de compléter l’analyse de classes d’inspiration marxiste par une réflexion plus générale sur le devenir de la culture populaire, qui est elle-même étroitement liée à l’espace perçu, conçu et vécu.

L’analyse qui suit se présente sous la forme de prolégomènes, c’est-à-dire comme une longue introduction à un ouvrage éventuel, ou un ensemble de notions préliminaires à une science à venir. La question régionale constitue un chantier théorique (philosophique, historique, sociologique et politique) qui vise à aiguiser la compréhension des dynamiques sociales et spatiales à l’œuvre dans le Québec du XXIe siècle. Elle vise à repenser le projet de libération nationale et d’émancipation sociale à l’aune d’un matérialisme spatial qui prend sérieusement en compte les plus récentes transformations historiques. Pour le meilleur et pour le pire, le visage de la société québécoise, de la culture nationale et de l’espace dans laquelle elle prend forme aujourd’hui ne ressemble plus à la formation sociohistorique qui a engendré la Révolution tranquille.

Les cinq dimensions du matérialisme spatial

Avant d’entrer plus profondément dans l’analyse sociologique, commençons par un exemple de la vie quotidienne qui permet d’exprimer la distance qui sépare différents groupes sociaux, comme les intellectuels urbains et les classes moyennes des banlieues. En revenant d’un séjour d’étude de six mois en France, le choc culturel ne s’est pas d’abord exprimé par l’usage singulier de la langue, les mentalités ou les mœurs qui distinguent si souvent les Québécois des Français. La pleine conscience de la différence culturelle s’est surtout manifestée par le rapport concret à l’espace habité ; j’ai été moins frappé par la différence entre le 11e arrondissement de Paris et mon quartier Rosemont que par le fossé qui sépare Montréal et la municipalité de Mirabel, où réside ma mère.

L’expérience de la société s’éprouve à l’intérieur d’un espace complexe de visibilité où nous rencontrons autrui, que ce soit par le biais de lieux physiques ou de la sphère médiatique. L’espace public, qu’il soit concret ou abstrait, réel ou virtuel, est ce qui relie notre existence au monde extérieur, notre vie privée à l’ensemble des rapports sociaux qui constituent notre identité personnelle et collective. La conscience sociale, politique et culturelle se manifeste notamment par nos activités quotidiennes, qui prennent part dans différents lieux significatifs comme la maison, le travail, le café, le cinéma, et la circulation entre ces espaces segmentés s’effectue toujours sous un certain mode (marche, vélo, automobile, autobus) qui donne une tonalité affective à l’environnement naturel et social. Le rapport concret à l’espace peut être analysé par cinq principales dimensions.

La première différence marquante entre Paris et Montréal renvoie à la densité, la première ville étant environ cinq fois plus dense (21 347 hab./km) que la seconde (4 518 hab./km). Le degré de concentration de la population sur un territoire influence notre perception des distances, nos modes de transports, notre rythme de déplacement, bref notre mobilité au sein de la société. Cette première dimension, l’espace formel, représente le contenant géométrique et abstrait dans lequel s’inscrit tout phénomène naturel. Par comparaison, la densité du quartier Rosemont (9308 hab./km2) est 100 fois plus élevée que celle de Mirabel (95 hab./km2).

La deuxième dimension, l’espace matériel, inclut les écosystèmes, le milieu physique, les infrastructures comme les routes et les ponts, le cadre bâti, etc. Cet espace matériel rassemble les conditions d’existence de la vie humaine (terre, ressources naturelles, eau, énergie, logement). Il structure notre rapport technique au monde extérieur et représente une interface entre la nature et le système de production. Il s’agit en quelque sorte d’un système socio-technique qui regroupe divers éléments objectifs qui permettent de caractériser la matérialité d’un lieu ou d’une ville : réseaux de transports, architecture, monuments, espaces publics, parcs, etc.

La troisième dimension, l’espace habité, correspond au monde vécu, aux activités et déplacements qui structurent la vie quotidienne. Le fait de se déplacer tous les jours en voiture, en vélo ou en métro, d’être handicapé ou en bonne forme physique, d’habiter dans une métropole ou une petite municipalité de région, d’être coincé dans le trafic ou de pouvoir respirer l’air frais d’un parc, de vivre à proximité du travail ou de faire régulièrement des aller-retour entre deux villes éloignées, tout cela détermine les rapports complexe entre notre corps et le monde, notre représentation symbolique de la société dans laquelle nous nous mouvons. L’espace habité est une sorte d’interface sensible entre la culture et la nature, le langage et l’environnement. Il a pour synonyme le milieu, l’être familier qui nous entoure et définit en quelque sorte une extension de notre individualité dans l’espace social, ou encore un prolongement du monde extérieur dans notre vie intérieure.

La quatrième dimension, l’espace économique, renvoie au système complexe de production, d’échange et de consommation, à la division technique et géographique du travail social, à l’ensemble des activités humaines qui servent à créer et satisfaire des besoins ou des désirs. La théorie marxiste a particulièrement insisté sur le rôle de cette infrastructure dans la détermination des institutions et modes de pensées. Ainsi, « ce n’est donc pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est, inversement, leur être social qui détermine leur conscience. »[2] Or, les rapports sociaux ne sont pas uniquement déterminés par l’économie, car celle-ci est toujours et déjà liée à un espace qui structure les rapports de production, qu’il s’agisse de l’« espace des lieux » ou de l’« espace des flux » selon l’expression du sociologue Manuel Castells. L’espace des flux acquiert une prépondérance accrue à l’époque de la société informationnelle, même si la financiarisation du capitalisme, la globalisation néolibérale et la circulation accrue des échanges virtuels n’efface pas pour autant les lieux concrets où habitent les individus.

« Les gens vivent donc encore en des lieux. Cependant, comme dans nos sociétés les fonctions et le pouvoir s’organisent dans l’espace des flux, la domination structurelle de sa logique modifie fondamentalement le sens et la dynamique de ces lieux. Ancrée en des lieux, l’expérience vécue se retrouve coupée du pouvoir, et le sens toujours plus séparé du savoir (…) La tendance dominante débouche sur un espace de flux en réseaux, hors de l’histoire, qui entend bien imposer sa logique à des lieux éparpillés et segmentés, de moins en moins raccordés les uns aux autres, de moins en moins capables de partager des codes culturels. »[3]

La quatrième dimension, celle de l’espace politique, correspond à l’ensemble des institutions, frontières administratives, normes et dispositifs de contrôle qui visent à quadriller l’espace social selon une logique territoriale. Le pouvoir politique est évidemment toujours plus décentré, que ce soit de manière verticale (la souveraineté nationale étant écartelée par les institutions supranationales et infranationales), ou de manière horizontale (où l’État perd le monopole de l’action publique au profit de partenariats souples avec des entreprises privées et organisations de la société civile). Mais il n’en demeure pas moins que l’espace politique structure ou diffracte les processus socio-économiques qu’ils tente de maîtriser afin de veiller à ses prérogatives, soit le maintien de l’ordre social par la distribution de la richesse et des programmes sociaux et/ou la propagande, la sécurité et la répression policière.

Enfin, la cinquième dimension renvoie à l’espace culturel, c’est-à-dire l’ensemble des représentations symboliques, l’imaginaire collectif, les multiples mœurs, modes de vie, de sentir et de penser, les innombrables pratiques et croyances largement répandues qui sont préservées, accumulées et transformées par le lent mouvement de l’histoire. Cet espace peut être analysé de diverses manières, comme un mode de reproduction culturel-symbolique de la société (Michel Freitag), une dialectique de la culture première et la culture seconde (Fernand Dumont), ou encore « un réservoir d’évidences ou de convictions demeurées intactes, de modèles d’interprétations culturellement transmis et organisés dans le langage » (Habermas). Si l’espace culturel renvoie au temps long des processus historiques, il peut néanmoins subir des mutations rapides en fonction du jeu des dimensions matérielles, économiques et politiques, renouant ainsi avec les principales caractéristiques du matérialisme historique.

Il faut néanmoins éviter le piège mécaniciste qui réduit l’espace culturel à un simple épiphénomène du mode de production, ou conçoit l’articulation des cinq dimensions de manière hiérarchique. Cette interprétation réductionniste repose sur une conception linéaire de la causalité qui ignore les dynamiques sociales multi-niveaux et l’influence des forces idéelles sur le monde matériel. Par exemple, la culture structure à la fois le monde vécu, la sphère économique et institutionnelle, et par là même les activités humaines qui configurent le rapport entre la société et l’environnement. L’histoire modèle les conditions objectives de la société et son inscription corporelle, et donc les conditions d’existence de la vie humaine et des écosystèmes.

La fracture géographique de la société québécoise

Pour agir politiquement afin de transformer les rapports sociaux, il est crucial de développer une conscience spatiale dans laquelle nous pouvons éclairer à nouveaux frais les antagonismes et les divisions culturelles qui assaillent la société à une période historique déterminée. Dans un précédent article portant sur le Big Shift et la question canadienne, il était question de nouvelles identités collectives et l’émergence d’un antagonisme géographique opposant les strivers et les creatives. Ces catégories sociales floues représentent des marqueurs idéologiques, des idéaux-types sur lesquels s’appuient les conservateurs pour élaborer leur discours et leur stratégie politique. Les premiers désignent les classes moyennes qui travaillent durement pour obtenir une réussite sociale et une sécurité matérielle, tandis que les seconds s’intéressent davantage aux activités culturelles, écologiques et citoyennes. La division sociale entre classes moyennes et créatifs culturels s’exprime par une différenciation spatiale marquée, où chaque groupe se concentre par la recherche des lieux qui lui ressemblent. L’instrumentalisation de cette ségrégation culturelle par les conservateurs permet de former un nouveau bloc social-historique entre l’Ouest canadien et les banlieues de Toronto au détriment des anciennes « élites laurentiennes », isolées dans le centre-ville des grandes villes de l’Est. Or, ce phénomène n’est pas propre au Canada anglais, car la même grande division se retrouve au cœur de la société québécoise.

Ainsi, nous pouvons observer une fracture très visible sur le plan électoral si nous comparons des quartiers centraux comme le Plateau-Mont-Royal et Rosemont (bastion de Projet Montréal et Québec solidaire) avec les autres municipalités de la grande région de Montréal (qui votent majoritairement à droite). Cette division s’exprime même sur le plan culturel, identitaire et linguistique, les tenants du nationalisme conservateur insistant sur un fossé croissant prenant pour symbole le « franglais ». Il faut citer ici une analyse de Mathieu Bock-Côté et considérer celle-ci en faisant abstraction de sa posture moraliste et simplificatrice, afin de dégager les représentations collectives largement répandues qui méritent d’être prises en compte dans l’analyse de la question régionale.

« Le franglais a toujours existé au Québec. Mais alors qu’il s’agissait d’une marque de pauvreté culturelle et économique, il est désormais revendiqué, fièrement assumé, comme un signe de sophistication identitaire. Le franglais est en train de devenir le raffinement des colonisés et gagne sa place dans la chanson, comme en témoigne le succès tout à fait symptomatique d’un groupe comme Dead Obies. Les colonisés: on aurait préféré garder ce terme au musée de l’aliénation québécoise. Il redevient toutefois pertinent. Il ne désigne plus des Elvis Gratton à l’ancienne.  Mais des gens comme il faut, qui se prennent plus souvent pour la crème de la jeunesse mondialisée, et qui ont décidé de parler français et anglais dans la même phrase pour nous le faire savoir. En franglisant, ils croient envoyer un signal: nous sommes cosmopolites.

Peut-être est-ce le fait de la séparation culturelle entre Montréal et le Québec. La première se pose comme société distincte contre le second. La démographie joue aussi son rôle: à Montréal, les immigrants s’intègrent moins au français que les Québécois au franglais. C’est le dialecte de la métropole. Avant-hier, de passage à Rosemont, j’avais l’impression de me retrouver en même temps à Montréal et au Québec. C’est un sentiment de plus en plus rare sur l’île, je le crains. Ce joual guindé trouve évidemment ses défenseurs. On nous chante la liberté créatrice des artistes, en oubliant que la création artistique n’est pas strictement individuelle. Elle s’alimente d’une culture, et elle l’alimente en retour. Mais c’est le point d’aboutissement d’un individualisme extrême qui frise l’autisme culturel: on invente finalement sa propre langue comme si chacun pouvait accoucher d’un idiome à usage personnel. »[4]

Cette séparation entre Montréal et les régions constitue un pôle de gravité structurant les rivalités, les frustrations populaires et les chauvinismes qui affectent l’ensemble de la société québécoise. Il ne s’agit pas ici d’accuser le snobisme de la métropole culturelle (symbolisé par la clique du Plateau) ou le conservatisme des régions (représenté par les radio-poubelles), mais de prendre au sérieux ce « racisme géographique », cet ensemble de préjugés sociaux relatifs au lieu de résidence, qui empêche l’émergence d’une réelle unité nationale ou d’une conscience sociale partagée. L’espace médiatique en décrépitude, les tensions économiques et politiques entre la métropole et la périphérie, la concentration inégale des centres culturels et des poches de pauvreté, bref le développement inégal et combiné du Québec alimente non seulement la fragmentation territoriale de la société, mais aussi l’éclatement des identités collectives qui ne trouvent plus un terrain commun sur lequel pourrait être fondé un projet politique.

Gramsci et le problème méridional

Pour repenser la question régionale et dégager des pistes d’action susceptibles de résoudre ce problème politique, il serait utile de mobiliser les penseurs critiques ayant réfléchis à ce genre de questions pratiques dans leur contexte national. Ce type de contradiction géographique et sociale fut analysé par le philosophe et homme politique Antonio Gramsci dans son dernier grand texte publié avant son arrestation et les Cahiers de prison. Dans Quelques thèmes sur la question méridionale, il analyse la lutte des classes de son époque à l’aune du contexte italien et du problème de la division entre le Nord industrialisé et le Sud agricole (Mezzogiorno). L’objectif consiste à développer une « alliance de classes » entre le prolétariat du Nord et les masses paysannes du Sud, contre les classes dominantes que sont la grande bourgeoisie et les propriétaires terriens.

« La bourgeoisie septentrionale a soumis l'Italie du Sud et les îles, et les a ravalées au rang de colonies d'exploitation ; le prolétariat du Nord, en s'émancipant lui-même de l'esclavage capitaliste, émancipera les masses paysannes méridionales asservies à la Banque et à l'industrialisme parasitaire du Nord. Ce n'est pas par un partage des terres incultes ou mal cultivées que l'on arrivera à la régénération économique et politique des paysans, mais par la solidarité avec le prolétariat industriel, lequel a besoin, de son côté, de la solidarité des paysans, et a intérêt à ce que le capitalisme ne renaisse pas, économiquement, de la propriété terrienne, et à ce que l'Italie du Midi et les îles ne deviennent pas une base militaire pour la contre-révolution capitaliste. »[5]

Or, cette solidarité des classes subalternes est minée par une division territoriale alimentée par la propagande conservatrice qui oppose le Nord et le Sud. « Le premier problème à résoudre, pour les communistes turinois, consistait à modifier la ligne politique et l'idéologie générale du prolétariat lui-même, en tant qu'élément national intégré à l'ensemble de la vie de l'État et subissant inconsciemment l'influence de l'école, de la presse, de la tradition bourgeoises. On sait quelle idéologie les propagandistes de la bourgeoisie ont répandue par capillarité dans les masses du Nord : le Midi est le boulet de plomb qui empêche l'Italie de faire de plus rapides progrès dans son développement matériel, les méridionaux sont biologiquement des êtres inférieurs, des semi-barbares, voire des barbares complets, c'est leur nature ; si le Midi est arriéré, la faute n'en incombe ni au système capitaliste, ni à n'importe quelle autre cause historique, mais à la Nature qui a créé les méridionaux paresseux, incapables, criminels, barbares, tempérant parfois cette marâtre condition par l'explosion purement individuelle de grands génies, pareils à de solitaires palmiers se dressant dans un stérile et aride désert. »

Cette rivalité entre le centre (Montréal) et la périphérie (les régions) structure en filigrane une bonne partie du discours médiatique de l’espace public québécois. Néanmoins, il faut encore étudier la composition sociale du « bloc régional » qui est loin d’être homogène. Regardons comment Gramsci analyse le Mezzogiorno de son temps : « La société méridionale est un grand bloc agraire constitué de trois couches sociales : la grande masse paysanne amorphe et inorganisée, les intellectuels de la petite et de la moyenne bourgeoisie rurale, les grands propriétaires fonciers et les grands intellectuels. Les paysans méridionaux sont en effervescence perpétuelle, mais, en tant que masse, ils sont incapables de donner une expression organique à leurs aspirations et à leurs besoins. La couche moyenne des intellectuels reçoit de la base paysanne les impulsions nécessaires à son activité politique et idéologique. Les grands propriétaires sur le plan politique, et les grands intellectuels sur le plan idéologique, sont ceux qui centralisent et dominent en dernière analyse tout cet ensemble de manifestations. »[6]

Évidemment, il ne faut pas plaquer mécaniquement l’analyse de classes de la société italienne des années 1920 sur la société québécoise du XXIe siècle. Le « prolétaire urbain montréalais » typique est moins un ouvrier industriel ou un travailleur manuel qu’un étudiant, un chômeur, un travailleur à temps partiel dans une économie des services, un créatif culturel précaire, bref un travailleur intellectuel qui se retrouve davantage dans la catégorie du « précariat »[7]. D’autre part, le résident moyen des régions n’est pas un paysan ; ni urbain ni agriculteur, il est souvent un employé du secteur public ou privé, un petit entrepreneur ou une personne retraitée, attaché au milieu où il est né, possédant une maison unifamiliale située dans une petite ville ou une banlieue. Bref, l’habitant est un paysan déraciné, mais qui ne se reconnaît pas non plus dans la société urbaine et cosmopolite, d’où le malaise identitaire qui se laisse facilement reprendre par la société de consommation et l’idéologie dominante des grands médias. Les habitants sont alors largement influencés par les « intellectuels conservateurs » comme Mathieu Bock-Côté et Éric Duhaime, qui articulent nationalisme identitaire et conservatisme fiscal dans un espace public centralisé, sans remettre en question le pouvoir des classes dominantes[8]. Ici, le terme « intellectuel » ne désigne pas forcément les grands penseurs ou les universitaires engagés, mais toute personnalité influente (journalistes, chroniqueurs, écrivains, personnalités médiatiques, etc.) qui élabore, transforme et diffuse des visions du monde cohérentes et partagées, bref des idéologies.

« Nous avons dit que le paysan méridional est lié au grand propriétaire terrien par l'intermédiaire de l'intellectuel. C'est là le type d'organisation le plus répandu dans tout le Midi continental et en Sicile. Il réalise un monstrueux bloc agraire qui, dans son ensemble, fait fonction d'intermédiaire et de contrôleur au service du capitalisme septentrional et des grandes banques. Son unique but est de maintenir le statu quo. On ne trouve en lui aucune lumière intellectuelle, aucun programme, aucun élan vers des améliorations et des progrès. […] Au-dessus du bloc agraire fonctionne dans le Midi un bloc intellectuel qui a pratiquement servi jusqu'ici à empêcher que les fissures du bloc agraire ne deviennent trop dangereuses et ne finissent par entraîner un effondrement. Les représentants de ce bloc intellectuel sont Giustino Fortunato et Benedetto Croce, qui, de ce fait, peuvent être considérés comme les réactionnaires les plus actifs de la Péninsule. »[9]

Les tâches historiques de la gauche québécoise

L’alliance stratégique entre le précariat urbain et les habitants des régions ne pourra donc avoir lieu sans la décomposition du bloc conservateur qui cimente les classes moyennes aux classes dominantes par l’intermédiaire de l’idéologie diffusée par les tribunes des médias de masse. « Le prolétariat détruira le bloc agraire méridional dans la mesure où il réussira, à travers son Parti, à organiser en formations autonomes et indépendantes des masses toujours plus importantes de paysans pauvres, mais il ne réussira plus ou moins efficacement dans cette tâche, qui lui est essentielle, que dans la mesure où il sera capable de désagréger le bloc intellectuel qui est l'armature, souple mais très résistante, du bloc agraire. »[10] Malheureusement, le parti de gauche Québec solidaire ne réussit pas pour l’instant à rassembler et à organiser les habitants des régions, sa zone d’influence se limitant principalement dans le centre-ville de Montréal qui représente le seul endroit où il réussit à aller chercher une masse critique.

Quelles sont les raisons de cet échec, et comment pourrait-on dépasser l’opposition idéologique entre les créatifs et les classes populaires ? Il serait illusoire d’attribuer le malheur de la gauche uniquement à l’hégémonie néolibérale et à la concentration médiatique qui la renforce, car les classes dominantes ne feront pas de cadeau aux forces progressistes et au peuple pour qu’il reprenne en main son autonomie et sa destinée. S’il faut défaire le carcan conservateur qui empêche les habitants de s’allier aux forces sociales et politiques qui lui sont réellement favorables, la gauche doit réfléchir sérieusement à son discours, s’adresser directement aux classes moyennes à partir de leur perspective, clarifier son projet de société, et repenser l’organisation pratique qui pourra forger une alliance pour libérer le peuple québécois de ses entraves. La gauche a donc besoin d’une grande réforme intellectuelle et morale qui lui permettra de fonder sa stratégie sur une nouvelle conception : 1) du sujet politique de la révolution (unité citoyenne-populaire) ; 2) de son projet politique (révolution solidaire) ; 3) de la méthode qui pourra dépasser la forme politique du parti (municipalisme participatif).

Trilogie à suivre.




[2] Karl Marx, Préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, Éditions sociales, 1947, p.4
[3] Manuel Castells, La société en réseaux (T. 1 de L’ère de l’information), Fayard, 1998
[4] Mathieu Bock-Côté, Le franglais : le raffinement des colonisés, Le Journal de Montréal, 13 juillet 2014
[5] Antonio Gramsci, Quelques thèmes de la question méridionale, octobre 1926
[6] Antonio Gramsci, Quelques thèmes de la question méridionale, octobre 1926
[7] Voir les Nouveaux cahiers du socialisme, Du prolétariat au précariat. Le travail dans l’ombre du capitalisme contemporain, no.7, 2012. http://www.cahiersdusocialisme.org/2012/02/13/du-proletariat-au-precariat/
[8] Jonathan Durand Folco, Les deux visages de Janus : nationalisme identitaire et idéologie libertarienne, avril 2013 http://ekopolitica.blogspot.ca/2013/04/les-deux-visages-de-janus-nationalisme.html
[9] Antonio Gramsci, Quelques thèmes de la question méridionale, octobre 1926
[10] Antonio Gramsci, Quelques thèmes de la question méridionale, octobre 1926

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