Critique indépendantiste de la Convergence nationale


Le congrès de la Convergence nationale, organisé par le Nouveau Mouvement pour le Québec (NMQ) entre le 24 et 26 mai 2013, rassembla quelques centaines de militant.es indépendantistes de diverses organisations politiques. Son but affiché était de mettre le « pays avant les partis », c’est-à-dire de défaire le monopole des partis politiques sur la question de la souveraineté afin de la redonner à la « société civile ». Or, derrière cette tentative apparemment sympathique de réappropriation citoyenne de la lutte pour l’indépendance, se cache un remaniement important de la coalition souverainiste visant à endiguer la plus importante crise politique et idéologique de ce mouvement social. La fonction de la Convergence nationale est double : 1) bâtir une convergence électorale pour obtenir une majorité parlementaire en mettant Québec solidaire et Option nationale à la remorque du Parti québécois déclinant ; 2) consolider l’idéologie souverainiste à l’intérieur de la société civile afin d’éviter, en vain, l’effondrement éventuel de son « bloc historique ».

Le visage caché de la société civile

Tout d’abord, bien qu’il ait été question de « mobilisation citoyenne » et de « société civile », il faut clarifier ces notions porteuses d’ambiguïtés. D’une part, les participant.es de cet événement n’étaient pas de simples citoyen.nes, mais des militant.es indépendantistes et membres de partis politiques désirant dialoguer entre eux. Bien que la formule du congrès laissait présager que la parole allait être laissée aux simples participant.es, leur voix fut essentiellement entendue à l’intérieur de cinq ateliers visant à avaliser ou modifier minimalement des propositions préparées d’avance, puis débattues rapidement lors de deux plénières visant à légitimer une trajectoire déjà tracée par le NMQ.

La Convergence nationale était avant tout une discussion « a-partisane » de personnes issues d’une grande famille commune, c’est-à-dire une rencontre œcuménique visant à réunir différentes confessions pour reconstruire l’Église souverainiste par-delà les divergences doctrinaires officielles. Mais l’omniprésence des thèmes comme les revendications partisanes communes, les ententes électorales et les stratégies référendaires marginalisaient les questions proprement citoyennes et la lutte pour la libération nationale au profit du mantra de la convergence parlementaire. La « citoyenneté » correspondait davantage aux bases militantes des partis, mécontentes des chicanes entre leurs têtes dirigeantes. Ce phénomène rappelle les manigances sympathiques d’enfants qui tentent de réconcilier leurs parents en voie de séparation ou de divorce.

Par ailleurs, le concept de société civile renvoie à une tension fondamentale avec la société politique. La société civile suppose une distinction formelle par rapport aux partis politiques qui visent la conquête du pouvoir d’État. Or, bien qu’elle puisse sembler neutre ou indépendante des autorités publiques et de la sphère économique, elle est le siège de luttes idéologiques, de rapports de pouvoir, de tentatives d’absorptions et d’exclusions de différents discours, d’affrontements intellectuels, bref le lieu par excellence de l’hégémonie. Selon Gramsci, « l'État est seulement une tranchée avancée derrière laquelle se trouve une chaîne solide de fortifications et de casemates », c’est-à-dire un réseau d’organisations civiles, politiques, syndicales, patronales, médiatiques et culturelles visant la « direction morale et intellectuelle » du peuple, le leadership éthique, idéologique et politique à l’extérieur des lieux officiels du pouvoir.

C’est pourquoi le but ultime de la Convergence nationale n’était pas de faire passer la cause souverainiste et la sphère citoyenne avant les partis ou l’État, en mettant ceux-ci au service du peuple québécois. Il s’agissait au contraire de demander aux citoyen.nes et militant.es de bonne foi de travailler ensemble afin que les partis puissent se réunir à l’Assemblée nationale. La société civile n’est pas un terrain séparé des sphères politiques et marchandes, mais le lieu de connexion, l’interface ou l’articulation de la superstructure qui permet de lier les institutions et les idéologies aux forces sociales et processus économiques dominants.

Entre structure et action citoyenne

Le débat sur les propositions de l’atelier 2 (comment remobiliser les citoyen.nes et les organisations) fit ressortir deux conceptions divergentes de l’activité politique : une vision traditionnelle basée sur la nécessité de structures formelles devant centraliser la mobilisation citoyenne, puis une vision dynamique inspirée par les principes de démocratie directe du mouvement Occupons et le printemps québécois. La première vision était évidemment l’option par défaut, car les organisateurs de l’événement sont essentiellement issus de milieux politiques où les impératifs d’efficacité, de réalisme et de pouvoir s’imposent davantage qu’à l’intérieur des structures souples, horizontales et égalitaires des nouveaux mouvements sociaux.

Par ailleurs, la principale proposition adoptée fut de suggérer au Conseil de la souveraineté (CSQ) d’élargir sa structure décisionnelle (conseil d’administration) de manière à inclure les citoyen.nes, organisations de la société civile et groupes indépendantistes, tout en excluant formellement la présence de représentant.es des partis politiques de cette instance. Il s’agit donc d’une transformation substantielle du rôle de cette organisation, qui passerait d’une table de concertation entre partis politiques à une structure de concertation de la société civile. Celle-ci se concrétiserait par un changement d’image (nouveau logo) et de nom (Congrès national québécois). Si le CSQ accepte cette modification, alors les États généraux sur la souveraineté du 6 avril 2012 et le congrès de la Convergence nationale auront réussi à s’agglutiner dans une même structure visant à faire converger les trois partis politiques et la mobilisation souverainiste.

Néanmoins, plusieurs personnes furent déçues de réaliser que l’objectif de l’atelier 2 n’était pas de faire une tempête d’idées, un plan d’action ou une discussion stratégique sur la mobilisation citoyenne, mais de parler d’une nouvelle structure qui aurait pour fonction de permettre des ententes électorales. Bien que douze nouvelles propositions furent adoptées par les participant.es de l’atelier, seulement trois ont été retenues par les experts-responsables pour le débat en plénière : A) organiser une journée de réflexion citoyenne ; b) financer l’Institut de recherche sur le Québec ; C) créer une université populaire sous le format d’une web-télé réunissant le réseau Cap sur l’indépendance et la Société Saint-Jean-Baptiste. Nous sommes donc à des années-lumières de l’auto-organisation des mouvements sociaux et de l’action citoyenne ; il s’agit davantage de coordonner les organisations intellectuelles qui donneront une vision cohérente de l’unité des forces souverainistes, dont Mathieu Bock-Côté représente la figure de proue.

« Si le créneau de ces revues d’idées encourage la production d’un capital intellectuel particulier associé à la figure du libre penseur, Mathieu Bock-Côté tient toutefois à se présenter sur scène avec des titres scientifiques autodésignés. L’Institut de recherche sur le Québec (IRQ), un petit think tank dirigé par Jacques Beauchemin (directeur de thèse de MBC), Éric Bédard (Argument) et Joseph Facal (ex-ministre lucide), a pour fonction de vernir scientifiquement les sorties de MBC (directeur de recherche à l’IRQ) ainsi que les « études » de leurs jeunes recrues qui sont lancées dans l’espace public pour être ensuite commentées par les envoyeurs eux-mêmes. Cette mécanique d’autolégitimation sert de près la constitution d’un auteur collectif d’obédience nationaliste conservatrice qui dissémine la même thèse, mais en variant le porteur du message et le registre langagier et performatif de l’interlocuteur du moment. » http://www.ababord.org/spip.php?article1031

La convergence électorale

En laissant de côté la fonction de l’éventuel Congrès national québécois sur lequel nous reviendrons plus tard, le premier objectif de Convergence nationale était évidemment d’élaborer une base commune permettant la convergence électorale des partis souverainistes. Si un consensus s’est dégagé au niveau des grands principes démocratiques potentiellement communs aux trois partis (stratégie référendaire et réforme du mode de scrutin), les points de rapprochements concrets furent somme toute limités et les discussions « forcées » par le vœu de trouver une unité malgré les divergences réelles. Bien qu’il soit possible de trouver des « airs de famille » entre les trois programmes, certains conflits sont si importants que la Convergence nationale exige de passer par une « médiation » d’organisations politiques extérieures qui permettraient de dicter (sous une forme paternaliste ou autre) les grandes lignes de la convergence électorale.

« Que le Congrès de la convergence nationale demande au Bloc québécois, au NMQ ainsi qu’au Conseil de la souveraineté élargi, de travailler à la création d’un socle de revendications minimales communes pouvant rejoindre les priorités du PQ, de QS et d’ON afin que soient formulées clairement » les revendications relatives à ces thèmes : langue française, laïcité, critique du multiculturalisme canadien, culture et histoire nationale, etc. Malgré la prédominance des thèmes identitaires dans cette liste de revendications, le développement durable, la reconnaissance des Premières nations et la solidarité internationale figurent timidement dans l’espoir de trouver une base commune d’entente. Mais un point essentiel a été écarté de cette stratégie électoraliste : la justice sociale.

En effet, des propositions sur la souveraineté alimentaire, l’égalité hommes-femmes, les enjeux socioéconomiques et les services publics n’ont pas passé le filtre de l’atelier, car elles auraient pu amener un élément de divergence dans l’unité souverainiste. Cela permet de confirmer que la Convergence nationale repose sur l’exclusion des enjeux qui remettent en question le statu quo au-delà de la question de la souveraineté. Le mot d’ordre de Bernard Landry, selon lequel « l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite, mais en avant » est parfaitement conforme à la pratique réelle des délibérations au sein du mouvement souverainiste.

La stratégie des primaires

Enfin, le dernier retranchement de la convergence électorale repose sur la possibilité peu probable des primaires indépendantistes, dans lesquelles chaque parti présenterait une seule candidature indépendantiste dans une dizaine ou une vingtaine de circonscriptions ciblées à l’avance, selon le critère que la division du vote souverainiste entraînerait virtuellement l’élection d’un.e député.e fédéraliste. Bien que la peur viscérale de l’élection d’un gouvernement libéral ou caquiste puisse entraîner toutes sortes de stratagèmes pour obtenir une majorité parlementaire souverainiste, il semble y avoir des obstacles insurmontables pour qu’un tel scénario puisse se réaliser.

En premier lieu, il s’agit de former des élections partielles truquées avant les élections générales, afin de détourner les contraintes d’un mode de scrutin (uninominal majoritaire à un tour) en court-circuitant le processus démocratique officiel. Il s’agit d’une compensation non démocratique (concertation entre partis souverainistes au détriment de la diversité politique) à un système représentatif déjà peu démocratique, qui aggrave le problème au lieu de le résoudre. Certaines personnes ont évoqué l’argument selon lequel la réforme du mode de scrutin est essentielle à moyen et à long terme, mais qu’il s’agit d’abord d’une stratégie pragmatique à court terme visant à tenir compte de la conjoncture difficile des prochaines élections. Mais il n’en demeure pas moins que les primaires indépendantistes supposent un accord commun et préalable des trois partis politiques pour fonctionner, ce qui ne sera pas le cas d’ici les prochaines élections.

Ainsi, il est difficile d’imaginer une entente entre le Parti québécois et Québec solidaire, dont la divergence sur le plan socioéconomique, le rapport de force inégal et les stratégies politiques renvoient l’idée d’une convergence électorale au royaume des vœux pieux. Ensuite, une collaboration entre Québec solidaire et Option nationale aurait été envisageable, mais elle fut exclue sur le plan électoral par le premier joueur lors de son dernier congrès. Ce refus des ententes électorales, qui inclut de facto les primaires, laisse donc l’unique possibilité de convergence entre Option nationale et le Parti québécois, qui sont issus de la même classe politique et idéologique.

De plus, le but réel des primaires n’est pas d’accommoder les partis souverainistes dans une formule gagnant/gagnant, comme si les trois formations politiques pouvaient en bénéficier de manière équivalente ; il s’agit plutôt de restaurer l’hégémonie du Parti québécois et de son idéologie par la porte d’en arrière. Les primaires décideraient en amont de la ligne de partage souverainiste au niveau électoral, offrant ainsi au peuple québécois l’éternelle opposition entre indépendance et fédéralisme. Mais les élections générales présentent une foule d’enjeux, dont la question écologique et le fameux débat gauche/droite. La convergence électorale amène une fois de plus l’exclusion de la justice sociale, en consolidant le primat de la question nationale sur la question sociale.

Digression sur la constituante

Malgré l’hégémonie de la stratégie péquiste sur la question électorale lors du dernier congrès de la Convergence nationale, celle-ci se reflétant dans les ateliers 3 (plateforme politique commune) et 5 (majorité parlementaire souverainiste), nous assistons pourtant à un important revirement de situation sur le plan du discours fondamental indépendantiste. Si nous mettons de côté l’atelier 4 qui concerne la réforme du mode de scrutin (défendue par tous les partis minoritaires à l’exclusion des partis néolibéraux comme le Parti québécois), il est intéressant de noter la curieuse trajectoire de la stratégie référendaire de Québec solidaire, qui est passée d’une position marginale au sein du mouvement souverainiste à la proposition officielle de la Convergence nationale.

En effet, un gouvernement indépendantiste majoritaire mettrait en en place une « convention élue » distincte de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire une Assemblée constituante. Bien que le mode de scrutin n’ait pas encore été précisé (tirage au sort, parité hommes/femmes, suffrage universel, etc.), cette convention élue aurait pour mandat de rédiger, sur une période de deux ans, un projet de constitution pour le Québec qui serait ratifié par référendum. La constitution comprendrait une partie exécutoire et une autre déclaratoire, qui entreraient en vigueur successivement de la manière suivante :

« • Que les parties de la nouvelle Constitution du Québec compatibles avec le droit constitutionnel canadien deviennent immédiatement exécutoires, et que les parties déclaratoires soit adoptées, mais leur mise en vigueur suspendue;
• Qu’une fois cette Constitution proclamée, qu’une négociation s’engage avec le gouvernement du Canada, conformément aux instructions votées par la population québécoise et en vertu de l’obligation constitutionnelle du gouvernement fédéral de négocier de bonne foi;
• Que, dans l’éventualité où les négociations avec le gouvernement du Canada n’aboutissent pas à un résultat concluant dans un délai raisonnable, l’Assemblée nationale proclame que les parties déclaratoires de la Constitution du Québec deviennent exécutoires, proclamant de fait et du même coup, officiellement, l’indépendance du Québec. »

Cette formulation de la stratégie de l’Assemblée constituante a le mérite de sortir du fameux dilemme théorique entre le « mandat ouvert » et le « mandat précisé » qui a occupé certains débats au sein de Québec solidaire. L’Assemblée constituante serait ouverte à tous les secteurs de la population et proposerait un projet de constitution hybride dans lequel une partie serait immédiatement effective dans le cadre actuel, et une autre qui ne pourrait se réaliser sans une sortie définitive de l’État canadien. Autrement dit, l’adoption d’une telle constitution permettrait de définir les nouvelles institutions du Québec et les valeurs qui y seraient enchâssées, ainsi que des éléments incompatibles avec l’ordre fédéral canadien qui mènerait à une crise politique et constitutionnelle débouchant sur la création d’un nouveau pays.

La convergence théorique sur la stratégie du mode d’accession à l’indépendance entre Québec solidaire et la Convergence nationale est éclairante : elle permet de montrer l’hégémonie de ce parti sur l’exigence démocratique du projet souverainiste. De plus, deux propositions d’obédience péquiste furent rejetées : A) enlever l’élection citoyenne de la « convention », qui permettrait d’ouvrir la porte à une nomination des candidat.es par l’Assemblée nationale (niant ainsi le principe de souveraineté populaire) ; B) tenir un deuxième référendum en cas d’échec des négociations avec le Canada en demandant au peuple de choisir entre l’offre du gouvernement fédéral ou une déclaration d’indépendance (niant la légitimité de la démarche constituante et ouvrant la porte à un troisième échec référendaire). L’étapisme péquiste fut donc battu en brèche par une claire volonté de rupture indépendantiste, dont la stratégie est issue de la gauche québécoise.

La religiosité comme retour du refoulé

L’analyse du discours des intervenants du congrès de la Convergence nationale permet d’illustrer l’idée gramscienne selon laquelle la lutte des classes inclut une dimension culturelle ; comme disait Althusser, la philosophie est, en dernière instance, une lutte de classes dans la théorie. Autrement dit, il n’y a pas d’une part la question économique (socialisme/libéralisme) et d’autre part la question nationale (souverainisme/fédéralisme), car la grande famille souverainiste est elle-même traversée par le débat gauche/droite. Vouloir mettre entre parenthèses cette division, vouloir écarter ce fait têtu sous prétexte de vouloir préserver l’unité fragile est au mieux une idée naïve, au pire une stratégie qui masque l’exclusion.

Cette négation de la divergence sur le projet de société est la caractéristique essentielle de la Convergence nationale, qui résume sur le plan idéologique de la société civile la pratique effective du parti souverainiste aux commandes de l’État. Jocelyn Desjardins termina le congrès par un discours mi-candide mi-nostalgique, qui comprenait de nombreuses références aux vertus théologales : foi souverainiste, espérance d’une majorité parlementaire, et charité entre confrères des différents partis. Une analyse conceptuelle permet même de dégager le schème de la trinité chrétienne : au nom du Père (l’indépendance), du Fils (le Parti québécois et ses acolytes) et du Saint-Esprit de la Convergence nationale. Le besoin d’Amour, de petits gestes, l’image de la main tendue, le symbole du diapason, tous ces procédés discursifs servent en fait à répéter le mantra souverainiste qui vise à rassembler une unité qui menace de s’effondrer.

De plus, il est possible d’analyser l’histoire du bloc social souverainiste de la même manière que le bloc catholique qui a précédé la Révolution tranquille. Il existe un parallèle intéressant entre philosophie, idéologie, religion et sens commun, car ceux-ci représentent différentes déclinaisons plus ou moins sophistiquées d’une « conception du monde ». Pour résumer schématiquement, le déclin politique du Parti québécois résulte de la lente, mais certaine décomposition de l’idéologie souverainiste, à laquelle tente de répondre la Convergence nationale qui cherche à éviter la séparation de la base militante des têtes dirigeantes de cette unité.

« L’histoire du [souverainisme] peut être conçue comme l’histoire des techniques par lesquelles ses autorités ont empêché la formation de deux [courants politiques] séparés : l’une pour les élites, l’autre pour le peuple. C’est ce que Gramsci appelle l’unité du « bloc social » [souverainiste], dont sa hiérarchie a toujours veillé à préserver la cohésion. À cette fin, l’Église (souverainiste) s’est employée à la fois à maintenir les « simples » [militant.es] dans leur ignorance, et à imposer une discipline de fer aux intellectuels, afin qu’ils ne dépassent pas certaines limites dans la sophistication intellectuelle. » Razmig Keuchenyan, Guerre de mouvement et guerre de position, La fabrique, Paris, 2011, p.94

Histoire d’un déclin

L’impasse du souverainisme ne se limite pas à une erreur conceptuelle ou une confusion idéologique ; elle émane, symbolise et explique à la fois un blocage plus profond, qui résulte des contradictions économiques, politiques, culturelles et institutionnelles de la société québécoise. Dans un article précédent qui récapitule la trajectoire du Parti québécois à partir de l’émergence et du déclin de l’État-providence, ce parti se retrouve dans une nouvelle période historique où le souverainisme de principe est remplacé de facto par l’autonomisme basé sur la primauté de l’austérité.

« À partir de ce moment, le principal objectif n’était plus de faire la souveraineté pour relancer et compléter le projet de société amorcé par la Révolution tranquille, mais de démanteler l’État-providence tenu pour responsable de la stagnation nationale. L’idée des « conditions gagnantes » et la monomanie de « la croissance économique d’abord, le référendum ensuite », doivent être comprises dans ce cadre hégémonique. » http://ekopolitica.blogspot.ca/2013/04/lemergence-du-front-nationaliste.html

Dans une vidéo instructive de la campagne de financement 2013 du Parti québécois, le député Bernard Drainville explique sur un ton paternaliste que la souveraineté doit être précédée d’un « quadruple redressement » : redressement de l’éthique et de l’intégrité, redressement des finances publiques, redressement de l’identité québécoise (langue et valeurs nationales), redressement de l’économie (Plan Nord, exploitation pétrolière). Le but est de redonner confiance au peuple québécois, en montrant qu’il est possible de faire une politique « honnête » au service du « bien commun » (la croissance), c’est-à-dire de surmonter la crise de légitimité de la classe politique associée au cynisme généralisé.

« Quand on redresse le Québec, sur le plan des finances, de l’identité, de l’intégrité et de l’économie, on coule le solage de l’indépendance. On est en train de jeter les fondations sur lesquels on pourra faire un choix, éventuellement, de se reposer la question de notre avenir national. » Aussi bien dire qu’on coule le projet de l’indépendance, et qu’on jette les fondations par-dessus bord, en éliminant les conditions matérielles et culturelles qui permettraient de dynamiser la lutte pour l’émancipation nationale.

L’évincement de la majorité sociale

La thèse du redressement est admirablement bien critiquée par Amir Khadir dans sa lettre ouverte aux indépendantistes. Celui-ci remarque qu’il est plutôt risqué pour un parti de satisfaire démesurément les élites économiques de sa base sociale, au détriment des classes dominées sur lesquelles il doit préserver son hégémonie en assouvissant minimalement certains intérêts matériels. « En effet, comment le Parti Québécois compte-t-il inspirer, mobiliser, convaincre la population de faire preuve du courage collectif nécessaire à la réalisation de la souveraineté après avoir renié une fois au pouvoir toutes ses promesses les plus essentielles sur la taxe santé, sur les droits miniers et l’impôt des riches de peur d’effaroucher le milieu des affaires?

Comment veut-il compter sur les couches populaires, après avoir coupé dans les maigres revenus des assistés sociaux sans tenir compte de l’avis contraire de tout le monde à l’exception de quelques animateurs de Radio-X? Comment veut-il attirer les classes moyennes après avoir coupé des centaines de millions en santé et continué à peu près en tout point les projets sournois de privatisation des services et les PPP lancés par les libéraux? Comment le Parti Québécois veut-il mobiliser les secteurs les plus actifs et les plus progressistes, après avoir nommé Pierre Karl Péladeau, adversaire primaire des droits sociaux et de la social-démocratie, si ce n’est de l’État lui-même, à la tête de la plus grande entreprise publique - de quoi faire rager de honte René Lévesque dans sa tombe?

Comment veut-il rallier les écologistes, avec le clientélisme désolant qui consiste à troquer un des joyaux du patrimoine naturel du Québec à Val Jalbert pour garder l’appui de quelques caciques locaux et barons du génie-conseil, et ce à grands frais pour les contribuables? Quel signal envoie le PQ aux vautours qui rôdent alentour de nos ressources naturelles et au reste du monde? Que le PQ est aussi «disposé» que le PLQ de Jean Charest à solder nos ressources à vil prix. Qu’il n’est même pas capable de résister au lobby minier pour respecter un engagement aussi simple et facile que la date butoir de 2035 pour le 50 % de protection du territoire et 20 % du territoire nordique d’ici 2020, reniant du coup nos engagements internationaux. Est-ce là l’inspiration pour le peuple à qui nous voulons donner le goût de la liberté et de l’indépendance? »

(Partie 1 de 2)

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