Ville sauvage et ciné-parc
L'écologie politique ne s'alimente pas d'un imaginaire rustique, de réserves fauniques protégées des aléas de la modernité. Contrairement à l'éthique de l'environnement qui cherche surtout à justifier théoriquement la valeur intrinsèque de la nature, et par le fait même à repenser les fondements de la moralité pour réorienter le rapport entre l'être humain et la nature du point de vue de l'agir, l'écologie politique s'intéresse avant tout à l'organisation de la société, qui devient un danger pour elle-même et l'environnement.
Loin de s'opposer aux valeurs de la modernité (autonomie, subjectivité, rationalité), elle critique néanmoins les différents processus de modernisation (rationalisation) qui accentuent l'hétéronomie des individus et des communautés. Rationalisation économique, industrialisation, judiciarisation, professionnalisation accompagnée de monopolisation de la connaissance, bureaucratisation, toutes complexifications fonctionnelles, autrefois jugées utiles pour assurer le progrès de l'humanité, viennent entraver son propre développement. Comme le dit Jonathan Porritt :
"Tout ce qui servait autrefois à améliorer la sécurité individuelle et collective vient maintenant la miner : accroissement du budget de la défense, sophistication de l'armement, maximisation de la production et la consommation, productivité accrue, augmentation du PIB, industrialisation du Tiers monde, expansion du commerce international, exploitation globale des ressources naturelles, individualisme, triomphe du matérialisme, souveraineté de l'État-nation, développement technologique incontrôlé - tous ces phénomènes étaient auparavant les signes du succès, les garants de la prospérité et de la sécurité. Collectivement, ils menacent maintenant notre survie même."
L'un des symboles les plus grandiloquents de cette modernité échouée est la ville de Détroit. L'industrie automobile, véritable moteur de la Motor City, a frappé un mur économique ; Détroit est en faillite depuis 2011. Déclin démographique, désertification industrielle, la ville est maintenant à moitié morte. Le déclin du rêve américain, du fordisme sur lequel a trôné l'État-providence, et plus généralement la société industrielle fondée sur les énergies fossiles (voir pic pétrolier), tout cet échec civilisationnel est cristallisé dans l'exemple de la ville en ruines. Comme le souligne Michel Houellebecq à la fin de son dernier livre La carte et le territoire :
"L'oeuvre qui occupa les dernières années de la vie de Jed Martin peut ainsi être vue comme une méditation nostalgique sur la fin de l'âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine. Cette interprétation est cependant insuffisante à rendre compte du malaise qui nous saisit à voir ces pathétiques petites figurines de type Playmobil, perdues au milieu d'une cité futuriste abstraite et immense, cité qui elle-même s'effrite et se dissocie, puis semble peu à peu s'éparpiller dans l'immensité végétale qui s'étend à l'infini. (...) Elles s'enfoncent, semblent un instant se débattre avant d'être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n'y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total."
Dans cet élan prophétique, Houellebecq indique que la nature aura probablement raison de la démesure humaine, l'hubris de la société de consommation. Le documentaire Détroit ville sauvage semble corroborer cette vision de désolation, qui n'est pas pour autant dénuée d'espoir. Sous les ruines repousse une vie nouvelle, telle une parcelle d'herbe s'insinuant dans les craques du bitume. L'écologie politique, d'une certaine manière, part du constat de cette situation, et tente de jeter les bases d'une société postindustrielle à échelle humaine. N'ayant pas encore vu ce documentaire, qui semble particulièrement intéressant pour tous ceux et celles qui sont intéressés par la réappropriation autonome des milieux de vie, nous pouvons quand même réfléchir dès maintenant aux conditions d'une reconstruction conviviale de la société.
Fait plus intéressant encore, le film Détroit ville sauvage sera présenté le 8 août au parc Laurier dès la tombée de la nuit. Organisé par la coopérative Funambules médias, Cinéma sous les étoiles présentera gratuitement des documentaires sociaux dans différents parcs de Montréal, du 10 juillet au 29 août 2012. Cette initiative fort originale permet de retrouver le sens original du ciné-parc : non pas le cinéma qui se construit un parc pour étaler les marchandises divertissantes de l'industrie culturelle, mais la transformation éphémère d'un parc en un cinéma ouvert qui permet de retrouver le sens des espaces communs dans la ville.
Nous avons ainsi une opposition entre deux types de ciné-parc : industriel et postindustriel. Le premier est basé sur l'automobile et la consommation, alors que le second est fondé sur les transports actifs et la convivialité. Combien de pratiques sociales sont-elles susceptibles d'être transformées de manière analogique? Seule l'expérience, ou plutôt l'expérimentation nous le dira.
Trailer de Détroit ville sauvage : http://www.youtube.com/watch?v=YPS1U9PEkpQ
Résumé du film : http://canadaeye.wordpress.com/2010/11/13/detroit-ville-sauvage-apocalypse-urbain/
Photos des ruines de Détroit : http://www.marevueweb.com/photographies/la-ville-de-detroit-en-ruine/
Cinéma sous les étoiles : http://funambulesmedias.org/fr/content/cinema-sous-les-etoiles
Jonathan Porritt, Seeing Green: The Politics of Ecology Explained, Blackwell, Oxford, 1984
Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, Paris, 2010
Loin de s'opposer aux valeurs de la modernité (autonomie, subjectivité, rationalité), elle critique néanmoins les différents processus de modernisation (rationalisation) qui accentuent l'hétéronomie des individus et des communautés. Rationalisation économique, industrialisation, judiciarisation, professionnalisation accompagnée de monopolisation de la connaissance, bureaucratisation, toutes complexifications fonctionnelles, autrefois jugées utiles pour assurer le progrès de l'humanité, viennent entraver son propre développement. Comme le dit Jonathan Porritt :
L'un des symboles les plus grandiloquents de cette modernité échouée est la ville de Détroit. L'industrie automobile, véritable moteur de la Motor City, a frappé un mur économique ; Détroit est en faillite depuis 2011. Déclin démographique, désertification industrielle, la ville est maintenant à moitié morte. Le déclin du rêve américain, du fordisme sur lequel a trôné l'État-providence, et plus généralement la société industrielle fondée sur les énergies fossiles (voir pic pétrolier), tout cet échec civilisationnel est cristallisé dans l'exemple de la ville en ruines. Comme le souligne Michel Houellebecq à la fin de son dernier livre La carte et le territoire :
"L'oeuvre qui occupa les dernières années de la vie de Jed Martin peut ainsi être vue comme une méditation nostalgique sur la fin de l'âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine. Cette interprétation est cependant insuffisante à rendre compte du malaise qui nous saisit à voir ces pathétiques petites figurines de type Playmobil, perdues au milieu d'une cité futuriste abstraite et immense, cité qui elle-même s'effrite et se dissocie, puis semble peu à peu s'éparpiller dans l'immensité végétale qui s'étend à l'infini. (...) Elles s'enfoncent, semblent un instant se débattre avant d'être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n'y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total."
Dans cet élan prophétique, Houellebecq indique que la nature aura probablement raison de la démesure humaine, l'hubris de la société de consommation. Le documentaire Détroit ville sauvage semble corroborer cette vision de désolation, qui n'est pas pour autant dénuée d'espoir. Sous les ruines repousse une vie nouvelle, telle une parcelle d'herbe s'insinuant dans les craques du bitume. L'écologie politique, d'une certaine manière, part du constat de cette situation, et tente de jeter les bases d'une société postindustrielle à échelle humaine. N'ayant pas encore vu ce documentaire, qui semble particulièrement intéressant pour tous ceux et celles qui sont intéressés par la réappropriation autonome des milieux de vie, nous pouvons quand même réfléchir dès maintenant aux conditions d'une reconstruction conviviale de la société.
Fait plus intéressant encore, le film Détroit ville sauvage sera présenté le 8 août au parc Laurier dès la tombée de la nuit. Organisé par la coopérative Funambules médias, Cinéma sous les étoiles présentera gratuitement des documentaires sociaux dans différents parcs de Montréal, du 10 juillet au 29 août 2012. Cette initiative fort originale permet de retrouver le sens original du ciné-parc : non pas le cinéma qui se construit un parc pour étaler les marchandises divertissantes de l'industrie culturelle, mais la transformation éphémère d'un parc en un cinéma ouvert qui permet de retrouver le sens des espaces communs dans la ville.
Nous avons ainsi une opposition entre deux types de ciné-parc : industriel et postindustriel. Le premier est basé sur l'automobile et la consommation, alors que le second est fondé sur les transports actifs et la convivialité. Combien de pratiques sociales sont-elles susceptibles d'être transformées de manière analogique? Seule l'expérience, ou plutôt l'expérimentation nous le dira.
Trailer de Détroit ville sauvage : http://www.youtube.com/watch?v=YPS1U9PEkpQ
Résumé du film : http://canadaeye.wordpress.com/2010/11/13/detroit-ville-sauvage-apocalypse-urbain/
Photos des ruines de Détroit : http://www.marevueweb.com/photographies/la-ville-de-detroit-en-ruine/
Cinéma sous les étoiles : http://funambulesmedias.org/fr/content/cinema-sous-les-etoiles
Jonathan Porritt, Seeing Green: The Politics of Ecology Explained, Blackwell, Oxford, 1984
Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, Paris, 2010
Auteur : Jean Haentjens
RépondreSupprimerPour ceux d’entre nous qui ont le plus d’expérience en la destinée de l’homme et celle de la machine, cette dernière n’est plus le grand parangon du progrès et l’expression final de nos désirs. C’est simplement une série d’équipements que nous emploierons s’ils servent la vie ou que nous supprimerons lorsqu’elles empiéteront sur elle. (Lewis Mumford, techniques et civilisations, 1934)
Probablement que Porritt serait d'accord avec cette affirmation.
La thèse développée dans ce bouquin de Jean Haentjens est que la croissance verte, bien que qu’éminemment souhaitable, ne pourra s’imposer qu’au prix d’une reprise en main méthodique des machines de toutes sortes qui pèsent d’un poids considérable sur nos modes de vies, notre organisation sociale, nos désirs, notre dépendance énergétique, et donc sur notre avenir.
Une sorte de course-poursuite est engagé entre la prise de conscience des enjeux écologiques et la croissance exponentielle et planétaire des machines énergivores et polluantes. (Toffler appelle cette période une turbulence entre les vagues) D’un coté, pendant que l’Europe redécouvre les joies de la bicyclette en ville, de l’autre des millions d’Indiens et de Chinois attendent de pied ferme leur première voiture.
Homme vs voiture, quand deux prédateurs se disputent les mêmes ressources.
Concernant la ville de Détroit, les deux prédateurs ont perdu et la nature à repris racine, temporairement car les survivants reconstruissent, reste à savoir quelle leçon il ont tiré de ce dérapage.