lundi 10 mars 2014

La fonction PKP comme catalyseur du bloc populaire


Remarques préliminaires

Dans une série d’articles cherchant à retracer l’émergence du Front nationaliste conservateur québécois, l’articulation du nationalisme identitaire et de l’idéologie libertarienne, le rôle du « bouchardisme » et la reconfiguration des blocs historiques, les catégories gramsciennes furent mobilisées pour dégager les conditions matérielles et idéologiques d’une lutte sociale capable de réaliser la tâche historique du peuple québécois, à savoir la fondation d’une authentique communauté politique par le biais de l’indépendance du Québec.

L’hypothèse de ce programme de recherche, à la fois théorique et pratique, peut se résumer comme suit : la question nationale et la question sociale ne sont pas deux choses séparées, deux catégories naturelles qui s’opposeraient objectivement, mais deux « moments » d’un même processus, qui peuvent être différenciés conceptuellement même s’ils demeurent enchevêtrés dans tout contexte d’action. Autrement dit, la lutte de libération nationale et le combat pour l’émancipation sociale ne peuvent pas être représentés adéquatement par deux axes, correspondant respectivement au « problème identitaire » et aux questions socio-économiques, si ce n’est que pour visualiser formellement nos préférences politiques sur une boussole électorale.

La perspective étapiste

Cette vision statique de la réalité sociale doit laisser place à une conception dynamique des mouvements d’émancipation, bien que les deux « moments » dont il est question ne doivent pas être compris comme deux phases séparées par une succession chronologique, mais comme une différence logique ou analytique. En effet, plusieurs querelles des années 1960-1970 ont porté directement sur l’articulation stratégique de l’indépendantisme et du socialisme. Pour la perspective « étapiste » représentée historiquement par le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), il s’agit de distinguer rigoureusement deux luttes extérieures, puis de les enchaîner en donnant une priorité historique à la question nationale. Cette position est clairement reprise chez les militant-es d’Option nationale, dont les plus progressistes défendent généralement le raisonnement suivant :

« Le combat pour la liberté des peuples est noble en soi et souhaitable. Or, il existe à mon sens plusieurs formes de libertés collectives. Les deux principales sont la liberté politique et la liberté socio-économique. Ces deux concepts, intimement liés, s'attaquent à deux systèmes d'exploitation. Ça va de soi; se défaire de l'exploitation est l'essence de la liberté, à mon avis. La liberté politique s'attaque principalement au système colonialiste, qui est l'exploitation d'un peuple par un autre, dont le Québec tente de se défaire depuis tant d'années. La liberté socio-économique, quant à elle, s'attaque principalement au système capitaliste, qui est l'exploitation de l'Homme par l'Homme (ou d'une classe par une autre, pour certains).

Maintenant que les bases sont là, je peux affirmer que ma volonté d'arriver à ces deux libertés est égale pour chacune. Oui, dans ma conception politique, le socialisme est aussi important que l'indépendantisme. Il y a deux types d'oppresseurs, et il faut se débarrasser des deux dans la même mesure. Ceci dit, il est impératif de clarifier que l'importance qu'on accorde aux deux libertés ne correspond pas nécessairement à la priorisation qu'on en fait de façon temporelle et/ou stratégique. En effet, je constate que pour arriver à la liberté socio-économique, il faut avant tout se défaire du système colonial et devenir indépendant politiquement en tant que peuple. C'est crucial.

En restant enchaînés dans le Canada, on se plie à un ensemble de valeurs qui appartient à un peuple qui n'est pas le nôtre et qui est beaucoup moins enclin à se libérer de l'oppresseur socio-économique et politique, et ce dernier est incarné dans ce cas directement par la monarchie. Il y a aussi bien sûr aussi toutes les valeurs de préservation de la culture et de l'identité qui entrent en jeu et auxquelles j'adhère. Nulle question de conservatisme identitaire ici, simplement la volonté d'assurer la préservation de la richesse culturelle des peuples, qui fait la beauté et la diversité de ce monde. »[1]

De la coalition nationale à la fonction PKP

Cette description, qui a le mérite d’être claire et d’expliciter théoriquement ce qui est généralement exprimé confusément par le slogan « avant d’être de gauche ou de droite, il faut être », permet de dégager le nationalisme progressiste, le souverainisme social-démocrate sous-jacent à l’idéologie d’Option nationale. Bien que Jean-Martin Aussant aurait pu clairement identifier son parti comme une formation de centre-gauche faisant de l’indépendance une priorité historique, il a délibérément décidé d’entretenir le mythe de la grande coalition péquiste afin de mieux se distinguer de Québec solidaire et d’attirer des nationalistes de centre et de droite, même au prix d’une confusion intellectuelle et politique à laquelle plusieurs indépendantistes naïfs continuent d’adhérer. Ce « préjugé constitutif » du jeune parti reconduit l’idéal de René Lévesque voulant écarter (temporairement) la question sociale au profit d’un grand regroupement national.

Or, il s’avère que le Parti québécois continue malgré tout d’être le véhicule officiel de ce projet historique, bien qu’il mette consciemment de côté ses aspects « progressistes » et « souverainistes » afin de consolider sa base électorale conservatrice. La récente candidature de Pierre-Karl Péladeau pour le PQ doit ainsi être comprise comme un moyen de répondre à plusieurs objectifs :

1) préparer la restructuration de l’État-providence québécois, dans le sens néolibéral d’une désyndicalisation et d’une importation de la logique de l’entreprise privée dans les institutions publiques (PKP est un antisyndicaliste militant) ;

2) assurer une couverture médiatique favorable au PQ auprès des classes moyennes conservatrices grâce à la convergence médiatique, économique et parlementaire ;

3) percer le bastion de la ville de Québec en favorisant une articulation organique entre le maire Labeaume/PKP/PQ, dont le cœur est représenté par le nouveau phare de l’industrie culturelle québécoise : l’amphithéâtre Quebecor ;

4) opérer la CAQuisation du PQ, comme l’évoque Pierre Dubuc dans son article sur « Vers la berlusconisation du Parti québécois ». « Dans les cercles souverainistes et progressistes, on attribue le fait que le gouvernement soit minoritaire à la division du vote entre le Parti Québécois, Québec solidaire et Option nationale, et on parle de « convergence nationale », d’alliance électorale en vue du prochain scrutin. Mais, dans l’entourage de la direction du Parti Québécois, on entend un autre discours. Le PQ est minoritaire, dit-on, à cause de son virage à gauche, de son appui à la lutte étudiante. Parlez aujourd’hui à un ministre péquiste et il vous expliquera comment tous ses projets de loi sont conçus pour aller chercher l’appui de la CAQ. Les politiques du Parti Québécois ont d’ailleurs une forte odeur caquiste : pensons à l’objectif du déficit zéro, les compressions dans les commissions scolaires, les suppressions de poste à Hydro-Québec, les coupures à l’aide sociale. Tout est conçu pour plaire à l’électorat caquiste. Avec la CAQ qui ne décolle pas dans les sondages et le rapprochement entre le PQ-PKP, faudrait peut-être envisager la possibilité d’une alliance entre le PQ et la CAQ comme plus probable qu’une alliance PQ-QS-ON ! » ;

5) faire la promotion d’un nationalisme bourgeois, dont PKP représente l'intellectuel organique. De plus, il ne serait pas surprenant qu'il devienne un jour le bras droit ou même le chef du PQ, au même titre que Charles Erwin Wilson (président de General Motors) qui fut nommé comme secrétaire de la Défense par le président Eisenhower en 1953 : « What is good for Quebecor is good for Quebec and vice versa.

Du bourgeois au larbin

À l’opposé de cette critique du « nationalisme bourgeois », dont la phraséologie marxiste peut repousser plusieurs même si elle demeure sociologiquement exacte (PKP incarne réellement la bourgeoisie nationale), se trouve une myriade de défenseurs plus ou moins subtils du « rassemblement péquiste », allant des rappels historico-idéologiques du PQ (Jean-Fançois Lisée[2]), aux acrobaties farfelues du SPQ-Libre (la « grosse prise » de Marc Laviolette[3]), et même jusqu’aux délires d’une militante jadis respectable, Andrée Ferretti, qui s’en prend désespérément à Françoise David pour lui donner des leçons de marxisme 101 :

« À une marxiste chevronnée telle que vous, naguère intégriste, je m’étonne de devoir rappeler que dans toute lutte, il faut, pour la mener à bien, savoir distinguer l’ennemi principal des ennemis secondaires qui peuvent, selon les circonstances, être des alliés. Or, vos attaques constantes, parfois vicieuses, contre le Parti québécois ne font pas que nuire au projet indépendantiste, elles sont également néfastes pour le développement économique et social de la nation québécoise et pour la cause féministe. […] Car, en dépit de votre désir effréné de prendre le pouvoir, vous ne pouvez pas ignorer que vous n’y arriverez pas de sitôt. Par conséquent, en attaquant le PQ comme s’il était l’ennemi principal et en favorisant par ricochet le retour au pouvoir du Parti libéral et la reprise de son œuvre de destruction des institutions et des richesses matérielles et humaines du Québec, telle qu’accomplie au cours de ses derniers mandats, vous révélez le vrai visage de Québec solidaire. Et, sachez qu’il n’est pas très beau aux yeux d’innombrables patriotes, travailleurs et femmes, de même qu’aux miens. Pourtant, j’ai voulu croire en lui et je l’ai même soutenu dans un moment d’aveuglement fondé sur l’espoir. Je vous souhaite, madame David, d’avoir le temps de relire votre maître et d’en retenir, cette fois, les leçons les plus constructives. »[4]

Le complément logique de ce virage conservateur prend donc la forme d’un « nationalisme de larbins »[5]. En effet, les membres de la « gauche souverainiste et efficace » doivent surmonter un grave problème de dissonance cognitive, c’est-à-dire réduire les contradictions dans leur système de croyances via la rationalisation, afin de garder une image positive d’eux-mêmes. Cette situation de tension, où les contradictions sous-jacentes à la coalition péquiste deviennent soudainement plus manifestes, amène donc un revirement inattendu. Paradoxe de la stratégie du PQ : en voulant créer une grande coalition gauche-droite, il recrute l'un des plus grands patrons du Québec qui va inévitablement exacerber l'antagonisme de classes que le souverainisme visait à occulter ; le retour conservateur de la question nationale fait remonter la lie de la question sociale. Autrement dit, la droite donne des armes à son adversaire qui pourra mieux la critiquer sur son propre terrain.

Le primat de la question sociale

Le fait que l'antagonisme gauche/droite revienne sur le devant de la scène alors qu'on cherchait à l'évacuer accentue les contradictions internes du mouvement souverainiste, bien que cela ne signera pas sa mort pour autant. Il s’agit davantage d’une mutation, d’une constitution de nouveaux « blocs historiques », c'est-à-dire la redéfinition des antagonismes qui structurent le champ politique. Pour la gauche indépendantiste, cette nouvelle configuration permettra de mieux déceler les alliances, adversaires et terrains de lutte pour les prochaines années.

Le point culminant de ce début de campagne électorale réside dans la manifestation sensible d’une idée importante, à savoir que la question sociale n’est pas extérieure à la question nationale parce que la première traverse la seconde de part en part. Il n’y a pas d’un côté l’axe gauche/droite et de l’autre un débat souverainiste/fédéraliste, mais un nationalisme de gauche et un nationalisme de droite, une pensée économique de gauche et de droite, une écologie de gauche et de droite, etc. Toute coalition nationale constitue donc un « bloc social » dans lequel certaines classes dominées sont soudées idéologiquement à certaines élites. Un bloc social n’est jamais une structure monolithique, mais représente plutôt un regroupement sous tension dans lequel un groupe dirigeant mélange la coercition et le consentement pour créer, maintenir et accroître son influence sur différents secteurs de la société. Cette « unité en devenir » est ce que Gramsci nomme un « bloc historique », qui peut être soit hégémonique lorsqu’il est dirigé par les élites, soit contre-hégémonique lorsqu’il rassemble les groupes subalternes dans une lutte pour l’émancipation.

Cet appareil conceptuel permet de montrer que la question sociale précède et structure en quelque sorte le contexte dans lequel se pose la question nationale à un moment déterminé de l’histoire d’un peuple. Dans le prélude de la Révolution tranquille, identité sociale et nationale coïncidaient. Tant les classes paysannes et ouvrières canadiennes-françaises que la petite bourgeoisie francophone montante s’opposaient « objectivement » à la grande bourgeoise commerciale anglophone. D’où l’appel initial de l’indépendantisme comme lutte de libération sociale et nationale dans les années 1960 et 1970. Or, la modernisation du Québec, l’hégémonie de la bourgeoisie nationale et l’amélioration substantielle du niveau de vie par la société de consommation et l’État-providence auront eu raison de cette quête d’émancipation. Du projet initial de rupture, il ne reste qu’une volonté étatique séparée de tout contenu social et populaire. Le peuple québécois s’est effacé derrière l’État technocratique qu’il aura pourtant contribué à faire naître. Entre un État provincial et un État souverain, il n’y a plus qu’une différence symbolique, le réceptacle d’une identité nationale vide, d'une idée payante ou d’une fierté tautologique.

La grande désolidarisation, réagissant aux « excès » de la Révolution tranquille, amena les classes moyennes dans le confort et l’indifférence, la répression autoritaire ou la récupération concertationniste des syndicats, et la relégation des classes populaires aux oubliettes de l’Histoire. Seule une masse d’individus s’identifiant « subjectivement » comme québécois pouvaient encore se reconnaître dans le projet de souveraineté-partenariat qui consolide en fait les intérêts de la bourgeoisie nationale et canadienne. D’où le cul-de-sac historique du nationalisme étapiste et de sa stratégie, péquiste ou méta-péquiste[6]. La reconstitution du projet d’émancipation nationale ne peut pas être la simple prolongation du nationalisme classique, un renforcement de la stratégie souverainiste basée sur le mythe du grand rassemblement national. Seule la gauche peut sauver l’indépendance, mais seule l’indépendance peut réaliser la transformation de la société.

De la crise sociale à la fin d’Option nationale

Pour le meilleur et pour le pire, l’indépendance nationale ne pourra sans doute pas avoir lieu sans une crise sociale majeure. Il est toujours techniquement possible que le nationalisme bourgeois du PQ décide d’avancer plus résolument, à coup de livre blanc sur l’avenir du Québec, de Charte des valeurs, de Constitution d’un Québec autonome ou d’autres querelles juridico-politiques qui représentent le pain et le beurre de la « gouvernance souverainiste ». Or, l’aggravation des conditions matérielles par la trappe d’austérité-stagnation et la restructuration de l’État-providence, le développement risqué de l’industrie pétrolière et d’autres appuis aveugles aux traités de libre-échange risquent d’accroître davantage la vulnérabilité de la société québécoise aux fluctuations toujours plus fortes de la conjoncture internationale : crises financière, géopolitique, militaire, énergétique, climatique, etc.

Il n’est pas question ici de promouvoir un « scénario du pire », mais de montrer les conditions socio-historiques auxquelles un éventuel gouvernement péquiste devra faire face avec sa stratégie conservatrice. À moins d’un engagement plus décisif en faveur de l’indépendance, qui est relativement peu probable, le PQ se contentera de gouverner sans être capable de surmonter les contradictions socio-économiques et la crise structurelle du « modèle québécois ». On peut donc s’attendre à l’approfondissement d’un populisme autoritaire, alimenté par la convergence des élites économiques, politiques et médiatiques, rassemblés dans un processus de « berlusconisation » de l’État québécois[7]. Un durcissement de l’idéologie identitaire est également dans l’air du temps, avec une polarisation croissante entre le nationalisme ethnique et la « gauche multiculturaliste », voire la théorie du complot islamo-marxiste.

Par ailleurs, comme le montre l’analyse lucide de Patrick Bourgeois dans son texte sur la « réorganisation des astres », la récente candidature de PKP au PQ portera un coup très dur au nationalisme social-démocrate. « Pour Option nationale, mon parti, cette nouvelle n’est rien de moins que catastrophique. Comme je le prévoyais au moment d’écrire la lettre en appelant à un rapprochement entre QS et ON autour de l’idée fondamentale de l’indépendance, l’espace vital qui est actuellement disponible pour ON est mince.  Et il s’est aminci considérablement avec le saut de PKP dans la mêlée électorale, c’est clair. En campant à droite, le PQ sera à même de mieux charmer l’aile droitiste d’ON, parti qui se dit « ni à droite, ni à gauche, mais droit devant » ; formule qu’a justement récupérée PKP lors de son discours d’annonce de candidature. Ces électeurs indépendantistes de droite seront plus à l’aise de migrer vers la planète PQ maintenant que ce parti permet, dans son auguste enceinte, les discours indépendantistes bien sentis, par l’entremise d’un homme dont l’aura capitaliste rayonne d’un bout à l’autre de la planète Québec. Quant à elle, l’aile gauchiste, dominante à ON, sera tentée de protéger les acquis progressistes de la social-démocratie québécoise en se rapprochant de Québec solidaire qui mène actuellement campagne sur l’indépendance ;  elle pourrait désormais le faire sans avoir l’impression de renier ses convictions les plus profondes.  Comment ON pourra composer avec tout ça ?  Le défi est là. »[8]

Malheureusement, ON doit affronter de nombreuses contradictions qui se superposent maintenant dans un moment de tension décisif : des facteurs externes (circonstances politiques à court terme, i.e. élections nationales), internes (problèmes organisationnels, démocratiques, financiers) et des divisions au sein de la base militante (synergie QS+ON, pro et anti-PKP) s’entrecroisent intensément ; l’unité idéologique qui soude le parti sera mise à mal, définitivement. Certains membres d’ON quittent déjà pour aller vers le PQ, d’autres vers QS, certains péquistes désillusionnés par l’annonce de PKP rejoignent QS, mais peu de progressistes (sauf les pro-Charte) migrent vers le PQ. En d’autres termes, un processus de reconfiguration des formations politiques est déjà amorcé, et il sera encore plus visible dès le lendemain des élections. La stratégie classique du nationalisme progressiste en faveur d’une stratégie étapiste (l’indépendance d’abord, le socialisme ensuite) ne pourra plus exister concrètement, car elle devra choisir son camp : gauche indépendantiste ou nationalisme conservateur. Pour faire une analogie historique très approximative, la dramatisation de cet antagonisme pourrait être comparée à l’alternative « front populaire (socialiste, communiste, anarchiste et républicain) ou front national », « socialisme ou barbarie ».

Une stratégie radicale

Heureusement, nous sommes encore loin d’une guerre civile au Québec, et l’idéal serait d’éviter une telle situation où règnent les affrontements et même la violence, les possibilités d’une transition « démocratique » vers l’indépendance et/ou le socialisme s’avèrent particulièrement difficiles. Mais au-delà d’un tel scénario-catastrophe, il s’agit de théoriser les conditions d’émergence d’une volonté collective capable de vouloir une transformation réelle de la société, celle-ci passant inévitablement par la construction de nouvelles institutions politiques. L’avantage inespéré du Québec, c’est en quelque sorte son « retard historique » qui permet de penser les conditions du socialisme à travers la transformation radicale de l’État, tâche qui est beaucoup plus délicate dans les pays déjà pleinement constitués et indépendants.

Il faut noter notamment que les luttes de libération nationale, en Chine, au Vietnam ou en Amérique latine, ont souvent été des contextes fort propices aux idéaux socialistes, qu’ils prennent des formes marxiste ou populiste, de conquêtes démocratiques (Chili) ou de guérillas (Cuba). S’il faut privilégier une stratégie démocratique pour le Québec du XXIe siècle, cela peut prendre la forme d’une « révolution citoyenne » inspirée du Front de gauche, l’analogue français de Québec solidaire : Assemblée constituante pour une 6e République, révolution fiscale, place au peuple, éco-socialisme, etc. Évidemment, il ne s’agit pas de plaquer la stratégie de ce parti sur le contexte québécois, mais de penser les modalités d’une « nationalisation de la lutte des classes », de réfléchir à une synthèse des principes socialistes et républicains, afin d’articuler efficacement la question sociale et nationale dans une pratique politique déterminée.

Or, ce travail de reconstruction d’un « bloc populaire », d’un parti capable de faire converger de multiples forces sociales, ne peut se cantonner au travail de l’arène parlementaire ; la stratégie indépendantiste suppose un combat, une lutte au même titre que les multiples autres luttes contre la domination, qu’elle soit économique, politique, écologique, sexuelle ou nationale. L’indépendance ne sera donc pas le fruit d’une convergence nationale, un rassemblement de partis masquant les intérêts de la bourgeoisie québécoise, mais le résultat d’une convergence populaire des luttes sociales réunies dans un projet global d’émancipation, nécessairement multi-dimensionnel. L’indépendance constitue un nationalisme contre-hégémonique, dirigé contre les élites économiques et politiques responsables de l’austérité, la destruction de l’environnement et la dépossession de nos milieux de vie. Au slogan « le pays avant les partis » qui souhaite réunir les partis souverainistes sous le chapeau nationaliste, il faut opposer l'idée « le peuple avant la nation », qui fonde l'indépendance sur la mobilisation populaire.

La convergence entre l'identité sociale et nationale n’est pas déjà là, l’identité québécoise elle-même n’est pas donnée ; il faut la construire. Cette recomposition, bien qu’elle soit en partie symbolique et formée par le discours, doit d’abord émerger du vécu, de la vie elle-même, c’est-à-dire de l’action. L’indépendance n’est pas une notion qui s’enseigne, un projet qu’il s’agirait de propager par des campagnes marketing simplistes faites pour rassurer, susciter la confiance envers les élites et raviver la petite fierté qui sommeille en nous. L’indépendance ne vient pas d’une grande famille souverainiste, ni de l’apologie morose du consensus. Elle naît d’abord de la conscience d’un rapport de subordination, d’une expérience intime de l’oppression. L’indépendance est fondamentalement une quête de liberté, qui ne peut être réduite à la fibre identitaire et à la logique comptable. Elle naît d’un écart entre les conditions matérielles de la vie quotidienne, et l’espoir d’un monde libre, égalitaire et juste. Le désir d'émancipation par la transformation des rapports sociaux est donc l’essence même de l’indépendance, d’où jaillira ensuite, dans un second temps, le sentiment d’appartenance et de solidarité, puis la volonté consciente de se réapproprier collectivement nos outils politiques et économiques.

C’est pourquoi ce n’est pas l’identité québécoise ou la convergence nationale qu’il faut chercher, mais l’unité populaire des multiples luttes démocratiques qui se reconnaîtront mutuellement dans leurs différences et leurs similarités. C’est pourquoi la gauche, prenant appui sur les couches populaires, précaires et travailleuses, enracinée dans les multiples mouvements sociaux qui tentent de changer le monde à leur façon, est la seule qui soit capable de porter le projet d’indépendance vers la victoire. Changer de pays, c’est changer de société, et vice versa. La réunion de la conscience sociale et nationale passera donc par l’élaboration d’une majorité populaire en acte, un bloc historique capable de renverser l’ordre établi. Tel est le sens de l’indépendance populaire, l’indépendance de la rue, le chœur fragile mais puissant des voix opprimées en quête de liberté.



[1] Étienne Forest, militant d’Option nationale
[2] Jean-François Lisée, PKP au PQ ? C’est ça rassembler ! 9 mars 2014 http://jflisee.org/pkp-au-pq-cest-ca-rassembler/
[6] Bref, l’appel du NMQ ne pose aucun diagnostic sérieux sur les raisons des échecs de 1980 et 1995 et de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement. Ce refus de poser les vraies questions est au cœur de la crise intermittente perpétuelle du PQ et de la multiplication des pôles de regroupement nationalistes depuis quelques années. Au fond, ce que ces groupes tentent de faire, c’est de reconstruire une grande coalition souverainiste sans contenu, donc de refaire le PQ en dehors du PQ, ce qu’on pourrait appeler du « métapéquisme ». Ces démarches ont le mérite d’irriter au plus haut point la direction du PQ qui prétend toujours incarner cette vaste coalition. Mais pour ceux et celles qui désirent renouveler le mouvement pour notre libération nationale, il s’agit d’un grand détour pour nous ramener à notre point de départ en forme de cul-de-sac.

samedi 1 mars 2014

Sur l’interprétation bock-côtiste de « l’union » QS-ON


Mathieu Bock-Côté est sans doute le plus grand idéologue conservateur du Québec. C’est ce qui fait sa force et son aveuglement ; sa « théorie » lui donne une perspicacité qui se manifeste par de fines observations et des analyses politiques beaucoup plus profondes que la majorité des commentateurs qui préfèrent patauger dans les eaux marécageuses du sens commun. Bock-Côté est plus rusé ; il ne se contente pas de constater et de remâcher les idées reçues, il les crée. Cette construction d’un nouveau sens commun, cette diffusion d’idées intuitives et enracinées dans les classes populaires, est précisément ce qui manque à la gauche pour construire une contre-hégémonie. Cette tâche est d’autant plus grande que l’ennemi n’est pas simple mais double ; il faut non seulement attaquer le discours néolibéral (ce que Bock-Côté fait très bien avec une sauce moraliste), mais surtout déconstruire le nationalisme conservateur qui représente la matrice idéologique de notre époque. En fait, le « bock-côtisme » incarne sans aucun doute le conservatisme québécois du XXIe siècle.

Dans son interprétation d’une lettre transpartisane appelant une « redoutable synergie » entre Québec solidaire et Option nationale, Bock-Côté pose une excellente question : « pour quelle raison plusieurs membres d’ON se sentent-ils plus proche de QS que du PQ ? »[1]. Or, son idéologisme l’aveugle complètement sur les raisons qui pourraient expliquer de telles « affinités électives » entre les deux partis, ON devant être « naturellement » plus proche du Parti québécois dont il partagerait l’essence. La faiblesse de toute idéologie non critique est de construire une réalité pour qu’elle corresponde à nos désirs, c’est-à-dire de déformer les positions de nos adversaires, de les réduire à un bloc monolithique afin qu’elles puissent se mouler parfaitement à l’architecture rigide de nos catégories. Toute idéologie est simplification, réification de l’autre pour l’amener sous notre emprise morale et intellectuelle. Mais cette entreprise à double tranchant écarte trop souvent la complexité de l’adversaire que nous tentons de soumettre à notre cadre conceptuel. Résultat : nous risquons d’ignorer ce qui pourrait entraîner notre défaite, à savoir les contre-attaques potentielles surgissant du fait que l’autre n’est pas tel qu’on le conçoit.

À titre d’exemple, voyons comment l’interprétation essentialiste de Bock-Côté permet d’opposer deux blocs rigides : la gauche radicale et l’indépendantisme. «  Rappel élémentaire : fondamentalement, QS rend l’indépendance conditionnelle à la réalisation d’un projet de société «de gauche». Sans ce projet de société, l’indépendance n’intéresse pas vraiment QS, comme si ce parti y voyait une souveraineté bourgeoise, vide, insignifiante, ou peut-être même funeste. Alors qu’ON, du moins c’est ce qu’on dit depuis la fondation de ce parti, se distingue justement par un indépendantisme intransigeant – rien ne serait plus important que l’indépendance, et surtout, il ne faudrait pas la soumettre à la logique gauche-droite. »

Si certains membres solidaires considèrent peut-être que l’indépendance n’est qu’un outil au service de la justice sociale, un moyen au service d’une fin plus grande, le parti demeure indépendantiste et conçoit le combat pour l’émancipation nationale comme une lutte en soi, devant être articulée avec d’autres mouvements tout aussi légitimes pour la transformation sociale, la libération des femmes, la défense de la nature, etc. D’ailleurs, cette non-hiérarchisation des luttes sociales et nationale, qui doivent développer une « redoutable synergie », est reconnue par les nationalistes progressistes qui soulignent que l’indépendance est multidimensionnelle : « De notre côté, nous, membres d’ON qui signons cette lettre, reconnaissons que le programme indépendantiste de QS rompt avec le consensus néolibéral et que, en insistant sur les questions sociale et environnementale, il embrasse plus vigoureusement qu’ON d’autres dimensions de l’indépendance que l’indépendance politique. Nous sommes d’accord sur le fait qu’une indépendance face aux impératifs que le système économique actuel fait peser sur les Québécois-es et leur territoire est tout aussi nécessaire. »

Cette lettre vient donc briser le dogme de l’indépendance « ni à gauche, ni à droite », qui enfonce toujours plus le mouvement souverainiste dans la déconfiture du nationalisme identitaire et pétrolier du PQ. Il ne s’agit pas de réduire l’indépendance à la gauche, ou inversement, mais de créer une synergie, entendue au sens d’une coordination de plusieurs choses qui concourent à un seul effet, au fait de mettre en commun des ressources pour parvenir à un effet précis. Quel est cet objectif ultime ? L’émancipation du peuple québécois dans toutes ses dimensions, l’indépendance jouant évidemment un rôle central sur le plan stratégique, culturel et politique.

Évidemment, Bock-Côté rejette une telle synergie, car elle représente en quelque sorte la négation pratique de sa doctrine. Il la réduit tout simplement à un élément infantile, une volonté de « pureté » forçant l’indépendantiste naïf à rester « camper dans l’opposition perpétuelle et systématique où il peut fantasmer sur la société idéale, dont il se veut finalement le gardien. » Cette stratégie rhétorique permet à notre idéologue de masquer l’idéalisme de sa foi conservatrice, en l’associant à un réalisme qui lui permet d’inverser la réalité. Il condamne pour ainsi dire la « division souverainiste » alors que des forces vives indépendantistes tentent justement de s’unir contre le bloc au pouvoir ; il leur attribue un intérêt égoïste et partisan opposé à l’universalité du Parti québécois, comme si cette posture n’était pas elle-même partisane. « C’est ainsi que les petits partis sont attirés entre eux, mais jamais n’envisagent de se rallier à un grand parti qui porte quand même l’idéal indépendantiste depuis quarante ans et qui, ces derniers temps, semble renouer avec un nationalisme vigoureux. D’ailleurs, ces deux partis, finalement, ne font-ils pas du PQ leur premier adversaire, dans la mesure où c’est lui qui entrave leur émergence? Étrange pays, le Québec, où les indépendantistes préfèrent souvent se combattre entre eux plutôt que de se rassembler au sein d’une grande formation pour combattre le régime canadien. »

Or, le « nationalisme vigoureux » qui représente pour Bock-Côté « l’universel concret » du peuple québécois, une pure affirmation de soi dont la négation ne saurait qu’être un reniement de son identité, occulte l’exclusion de l’autre qui se retrouve voilée par une pure positivité : « je suis moi ». C’est précisément ce retranchement du mouvement souverainiste vers le repli identitaire que dénoncent les adeptes d’une nouvelle synergie indépendantiste. « L’élite politique d’aujourd’hui ne promeut plus l’identité québécoise qu’à travers un nationalisme de ressentiment et non plus d’émancipation. Le nationalisme défendu par ON et QS cherche, lui, à déployer la personnalité du peuple québécois dans le monde, sans écraser personne et sans se laisser écraser par personne. Parler de « nation » ou de « valeurs » est un sentier battu – ce n’est pas avec des slogans qu’on les construit de toute façon. La vraie action politique, celle qui crée et qui avance dans les terres non défrichées de notre histoire, commande qu’on se compromette dès aujourd’hui pour l’indépendance du Québec. »

Pour désamorcer la possibilité d’une nouvelle force indépendantiste et progressiste en émergence, Bock-Côté préfère réduire Québec solidaire au groupuscule gauchiste qui sert bien son propos. Il continue ainsi de véhiculer des préjugés qui discréditent l’aspect indépendantiste des solidaires, et surtout le caractère progressiste qui forme en bonne partie l’esprit d’Option nationale. La stratégie est de garder divisé ce qui doit rester divisé, ou sinon de récupérer les forces indépendantistes encore vivantes pour les accrocher à la remorque du souverainisme moribon du Parti québécois. « Je comprends que QS occupe son créneau politique : dans une société éclatée, il y a de la place pour un petit parti à gauche de la gauche, protestataire, qui incarne le désir d’une société radicalement différente. Je m’explique mal que des indépendantistes pressés espèrent s’y rallier et préfèrent finalement les délices du radicalisme idéologique à la possibilité d’incarner une aile particulièrement militante au sein d’un parti souverainiste gouvernemental susceptible, s’il exerce le pouvoir pleinement, de contribuer à dégager le Québec de la tutelle canadienne. »

Ce que Bock-Côté ne peut comprendre, ou plutôt ce qu’il ne veut surtout pas voir, c’est que le PQ n’est pas la plus grande menace à l’unité canadienne, bien au contraire. Le PQ conduit à la subordination de la société québécoise aux traités de libre-échange, à l’unité canadienne monétaire et pétrolière, car il ne remet aucunement en question le cadre économique, politique, énergétique et idéologique dominant. C’est parce que le « nationalisme vigoureux » écarte complètement la question sociale, c’est-à-dire la remise en question des rapports de pouvoir et la domination des élites impérialistes, canadiennes et québécoises, qu’il amène ipso facto la subordination nationale aux intérêts étrangers. « Plus la vie économique immédiate d'une nation est subordonnée aux rapports internationaux, plus un parti déterminé représente cette situation, et plus il l'exploite pour empêcher que les partis adverses ne prennent l'avantage sur lui. De cette série de faits, on peut tirer la conclusion que, souvent, le « parti de l'étranger », comme on dit, n'est précisément pas celui que l'on désigne vulgairement en ces termes, mais bien le parti le plus nationaliste qui, au lieu de représenter les forces vitales de son propre pays, en représente en réalité plutôt la subordination, et l'asservissement économiques aux nations hégémoniques, ou à un groupe de telles nations. »[2]

Le principal adversaire à l’indépendance du Québec n’est donc pas le méchant Canada ou les fédéralistes libéraux qui n’ont pas peur du pouvoir et de la raison d’État, mais le PQ qui consolide l’ordre établi sous une aura de « gouvernance souverainiste » qui scelle l’avenir du Québec dans une foi envers un clergé qui saura lire mieux que ses fidèles le moment opportun de leur salut collectif. L’émancipation de cette dernière barrière idéologique, de cette illusion qui continue de tromper les masses depuis bientôt vingt ans, est actuellement représentée par deux partis qui n’ont pas encore réussi à réunir les moitiés coupées de l’indépendance réelle, à la manière du mythe d’Androgyne décrit par Aristophane dans le Banquet de Platon.

Il ne s’agit donc pas « d’imaginer un monde idéal », ni « d’avoir les mains tellement pures que nous finirions pas ne plus avoir de mains » comme le dit Péguy. La « redoutable synergie » consiste plutôt à amorcer un dialogue de fond, appuyé sur des bases militantes partageant un intérêt commun, à la fois réel et en puissance, pour l’émancipation sociale et nationale du peuple québécois. Il faut dès maintenant envisager, à moyen et long terme, une alliance socialiste et indépendantiste permettant de reconstruire ce que le PQ a endigué depuis sa création en 1968, soit une force sociale et politique capable de rompre définitivement avec l’ordre économique et politique dominant. Seules les forces vives à gauche du PQ, tant sur le plan social que national, pourront amener à terme la transformation dont le Québec a inéluctablement besoin. Cette « exigence morale et politique » de travailler ensemble représente une tâche concrète et centrale des prochaines années ; l’élaboration pratique d’une nouvelle stratégie solidaire et indépendantiste devra renverser l’ordre néo-duplessiste du PQ aiguisé par le travail idéologique du bock-côtisme.




[2] Antonio Gramsci, Cahiers de prison, cahier 13, §2

lundi 24 février 2014

Du nationalisme social-démocrate à l’indépendance par le bas


Dans une brève réflexion portant sur les raisons pour lesquelles les indépendantistes ne votent pas pour le même parti[1], le chef d’Option nationale, Sol Zanetti, émet des hypothèses pour expliquer les divergences idéologiques et stratégiques qui distinguent sa formation politique du Parti québécois et de Québec solidaire. Comme nous partageons sa critique du péquisme, notamment sur la question de l’électoralisme et de l’attentisme, nous souhaitons plutôt déconstruire certaines idées reçues procédant d’une mauvaise lecture des « nationalistes » à l’endroit des solidaires.

Tout d’abord, Zanetti pointe le talon d’Achille de la stratégie d’accession à l’indépendance de Québec solidaire, qui « promet de faire un référendum, dans un premier mandat, pour ratifier la constitution que la population aura écrite. Le problème, c'est qu'ils refusent de garantir que cette constitution contiendra une déclaration d'indépendance. Donc, ce référendum promis pourrait déboucher sur une simple proposition de réforme du fédéralisme, une proposition de constitution qui demeurerait soumise au cadre fédéral canadien. À quoi cela servirait-il? Fouillez-moi. »

Or, Québec solidaire n’a jamais « refusé » de garantir que cette constitution contiendra une déclaration d’indépendance du Québec ; le programme est tout simplement vague sur le sujet. S’agit-il d’un flou délibéré, d’une position d’ouverture visant à chercher une majorité électorale ? Est-ce plutôt le résultat d’une imprécision programmatique qui pourrait être clarifiée ultérieurement, à la manière de la stratégie du LIT dont l’articulation concrète n’est pas précisée ? Est-ce que les solidaires présupposent tout simplement le résultat du processus, cette stratégie menant forcément à poser la question de l’indépendance au peuple québécois lors du référendum ?

L’électoralisme et les fédéralistes de gauche

Pour expliquer ce qui semble être un « compromis », le chef d’Option nationale fait l’hypothèse qu’il s’agit une stratégie électoraliste visant à consolider la « base électorale fédéraliste » de Québec solidaire. Cette observation découle de l’analyse de sondages montrant qu’une bonne partie des électeurs et électrices de ce parti de gauche ne sont pas d’emblée convertis à l’idée d’indépendance du Québec. Malgré tout, ces personnes sont-elles pour autant des fédéralistes convaincus qui voteraient assurément contre l’indépendance le jour du référendum ? Permettez-nous d’en douter.

D’une part, cette explication suppose que cette base électorale fait un compromis, faute d’un parti fédéraliste de gauche pour lequel elle irait voter massivement lors de sa création. L’arrivée imminente d’un NPD-Québec viendrait alors gruger la moitié des appuis à Québec solidaire, celui-ci passant de 10% à 5% dans les intentions de vote par exemple. Ce scénario n’est pas réaliste, car l’arrivée d’un tel parti aurait un effet diffus sur l’ensemble de la scène politique québécoise, allant davantage empiéter sur la base électorale du Parti libéral du Québec qui, pour la plupart, ne voteraient jamais pour un parti ouvertement indépendantiste.

D’autre part, est-il raisonnable de supposer que les « fédéralistes de gauche » sont si confiants que la démarche d’assemblée constituante pourrait facilement ne pas inclure de déclaration d’indépendance, et ce dans un contexte de mobilisations sociales où un gouvernement solidaire ferait activement la promotion d’une République sociale, démocratique, écologique et indépendante ? La question ne se résume pas au type de membres qui composeront l’assemblée constituante, car il faut tenir compte des rapports de forces qui auront mené au pouvoir un parti de gauche indépendantiste, et la lutte féroce qui accompagnera ce grand processus démocratique basé sur une souveraineté populaire qui rompt de facto avec le régime fédéral canadien.

Le parti de la diversité

Par ailleurs, le mythe des « fédéralistes de gauche » présents au sein de Québec solidaire, ou constituant une base majeure de son électorat, semble reposer sur une opposition rigide deux catégories : les indépendantistes militants et « les autres ». Si nous regardons de plus près, Québec solidaire représente une large constellation, réunissant des syndicalistes, écologistes, citoyennes, féministes, indépendantistes, socialistes, républicains, artistes, jeunes et moins jeunes qui partagent une déclaration de principes dans laquelle la souveraineté joue un rôle déterminant. Nous pouvons donc supposer que la base électorale de ce parti multidimensionnel est encore plus diversifiée, tout en endossant les valeurs et le projet de société solidaire qui inclut l’indépendance du Québec.

C’est dans cet esprit que doit être interprétée cette citation de Françoise David : « On n'a pas besoin d'être mal à l'aise si on n'est pas complètement convaincu de la souveraineté et qu'on veut être membre de Québec solidaire, dit-elle. C'est pour cela que notre nombre de membres a doublé depuis un an.» (La Presse, 23 octobre 2012) ». Le fait d’inclure des personnes non convaincues et de les amener progressivement à adopter une nouvelle culture politique représente-t-il une force, plutôt qu’une faiblesse, pour un parti indépendantiste ? Si Québec solidaire est capable d’aller chercher des personnes a priori hostiles ou indifférentes à la culture souverainiste traditionnelle, en les ramenant à endosser son projet de pays, n’est-ce pas là la preuve d’une certaine efficacité qui ne passe pas directement par une pédagogie nationaliste militante ? La division du travail politique entre Québec solidaire et Option nationale ne serait-elle pas le signe d’une complémentarité dans les manières d’accrocher des diverses parties de la population à la lutte de libération nationale ?

Le fait que plusieurs personnes non complètement convaincues par l’indépendance appuient un parti de gauche indépendantiste montre plutôt que celles-ci sont d’accord avec une démarche démocratique, participative et inclusive, permettant de débattre d’un projet de pays qui ne se résume pas à un Oui ou Non référendaire. Une assemblée constituante offre l’occasion historique d’élaborer collectivement les principes, les valeurs, les institutions et la répartition des pouvoirs d’un nouvel État, créant par le fait même une vaste mobilisation, une dynamique sociale nécessaire pour obtenir un appui massif à l’indépendance. Ce faisant, le peuple ne donne pas pour mandat au gouvernement de faire l’indépendance à sa place ; c’est le gouvernement qui donne aux citoyens et citoyennes les outils pour prendre eux-mêmes en charge leur propre émancipation populaire. C’est la toute la différence entre l’indépendance solidaire et le nationalisme traditionnel du Parti québécois et Option nationale : la souveraineté « par le bas », et non par le haut.

Une stratégie souterraine

De plus, la stratégie d’accession à l’indépendance de Québec solidaire ne se limite ni à une simple procédure démocratique, ni à un débat technique et constitutionnel visant à découvrir, par le biais d’un calcul politique et utilitariste, une méthode « infaillible » pour réaliser ce vaste projet. Les nationalistes, et même les solidaires, oublient trop souvent que l’assemblée constituante ne représente que l’apogée d’une stratégie plus profonde, prenant racine dans les mouvements sociaux et de larges pans de la société civile. En gros, il s’agit d’amorcer dès maintenant une démarche constituante reposant sur la souveraineté populaire, qui servira alors de tremplin pour prendre le pouvoir et instaurer une rupture avec l’ordre canadien. La lecture de cette partie de programme est souvent négligée :

« Parler d’Assemblée constituante, ce n’est pas poser abstraitement un nouveau chemin vers la souveraineté du Québec. C’est proposer de discuter, de la manière la plus démocratique et la plus large possible, des mécanismes essentiels pour assurer la défense du bien commun, pour articuler le projet d’indépendance politique et les revendications sociales. Québec solidaire fera, dès les prochains mois, connaître largement ce projet par une vaste campagne d’éducation populaire. Il s’agira aussi de son axe d’intervention au Conseil de la souveraineté.

Québec solidaire visera graduellement à construire une alliance démocratique, sociale et nationale pour regrouper l’ensemble des forces syndicales, populaires, féministes, étudiantes, écologistes et les partis souverainistes autour de la reconnaissance de la souveraineté populaire qui se concrétisera par l’élection d’une Assemblée constituante. La stratégie de Québec solidaire consistera à mettre en route et développer une véritable démarche citoyenne afin que toutes et tous soient associés à la détermination de notre avenir collectif.

La popularisation de l'idée de constituante devra être préparée par la mise sur pied, aux niveaux local ou régional à la grandeur du Québec, d’une démarche de démocratie participative. Cette démarche permettra aux citoyennes et aux citoyens de s’exprimer et de discuter ensemble, de manière à ce que se constitue peu à peu un large appui au sein de la population. Une telle démarche peut s’amorcer avant l’élection d’un gouvernement proposant l’élection d’une constituante et elle devra se poursuivre après cette élection tout en étant soutenue financièrement par ce gouvernement.

Pour être légitime, le processus devra être profondément démocratique, transparent et transpartisan. La campagne électorale qui mènera un parti ou une alliance fondée sur l’Assemblée constituante au pouvoir devra mettre de l’avant l’obtention d’un mandat pour l’élection d’une Assemblée constituante qui représente pour Québec solidaire le moyen d’accession à l’indépendance et de transformation de la société, processus dont cette campagne ne sera qu’une première étape.

L’élection d’une Assemblée constituante est donc un acte démocratique par excellence, un acte à la fois de rupture avec le statu quo du régime fédéral canadien et un acte réellement fondateur. En ce sens, c’est une suspension des mécanismes de la réforme constitutionnelle prévue par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. »

Une radicalité pragmatique

En replaçant l’assemblée constituante dans un contexte plus large, reposant sur une vision dynamique de l’action collective et non sur un calcul électoraliste étroit, il n’est pas déraisonnable de constater que la stratégie solidaire, malgré les apparences, est sans doute la plus radicale du mouvement indépendantiste. Elle se concrétise déjà en partie au sein de la phase II des États généraux sur la souveraineté, du Nouveau mouvement pour le Québec et de divers groupes de la société civile. Cette perspective participe d’un processus de convergence des forces sociales en faveur de l’indépendance, où les partis politiques jouent un rôle secondaire.

D’ailleurs, cette radicalité n’est pas idéologique mais pragmatique ; il ne s’agit pas de propager la « foi souverainiste » par l’application de la bonne pédagogie, mais de faire émerger les conditions qui rendront possible et effectif un véritable mouvement de libération populaire. Il peut certes être utile de faire la promotion active de l’idée d’indépendance, en favorisant une prise de conscience par le biais d’arguments économiques (Aussant-financier) ou en misant sur les passions (Aussant-artiste). Cela peut aller rejoindre un public différent et non convaincu, et même représenter une condition nécessaire à la diffusion de ce projet ; mais c’est largement insuffisant pour élire un gouvernement qui souhaite établir une rupture avec l’ordre établi.

Pour ce faire, il faut développer un rapport de force, c’est-à-dire une vraie volonté collective de changement qui ne se fera pas sans réaction des élites politiques et économiques. L’élément souvent négligé du mouvement souverainiste, qui était pourtant un facteur déterminant dans l’émergence des forces indépendantistes des années 1960 et 1970, c’est la nécessité vécue par une majorité sociale de transformer ses conditions matérielles d’existence. Le mouvement souverainiste se développait comme le fruit d’une révolution, tranquille mais profonde néanmoins, c’est-à-dire d’un changement social, économique, politique et culturel lié à l’instauration d’un État-providence permettant de renforcer les capacités d’auto-détermination du peuple québécois.

Autrement dit, l’objectif souverainiste était en quelque sorte d’achever un large processus de transformation sociale qui avait déjà eu lieu en bonne partie. C’est pourquoi il est faux de dire « qu’avant d’être de gauche ou de droite, il faut d’abord être » ; la société québécoise s’était profondément transformée à partir de forces progressistes qui ont permis de rompre avec un ordre économique et culturel conservateur. La société était de gauche avant, ou plutôt pendant qu’elle aspirait à se réaliser pleinement par la constitution d’un État indépendant. La question nationale et sociale ne sont donc pas séparées, mais enchevêtrées ; elles ne doivent pas être articulées par un avant et un après, mais en même temps. Voici pourquoi.

Le mythe du commencement absolu

Un mythe nationaliste consiste à croire que le débat gauche/droite aura un sens après l’indépendance, celle-ci représentant le véritable commencement. Or, cette lutte aura lieu avant, pendant et après le processus d’accession à l’indépendance. S’il est vrai que la lutte de gauche que mène Québec solidaire ne se terminera pas le jour de l’indépendance, que la constitution sera élaborée démocratiquement et pourra donc être plus ou moins à gauche, au centre ou à droite, on ne peut pas déduire logiquement que le combat pour l’émancipation sociale ne pourra « commencer pour vrai » uniquement après avoir obtenu l’indépendance. S’il est vrai que « ce n'est qu'en étant politiquement indépendants, en contrôlant l'ensemble de nos lois, de nos impôts et de nos traités, que nous aurons les coudées franches pour faire du Québec de demain le reflet de ce que souhaite sa population », il n’en découle pas que le gouvernement provincial aujourd’hui n’a aucune marge de manœuvre pour favoriser ou non le passage à un « Québec inc. » et un État pétrolier. Au contraire, les gouvernements souverainistes ont largement contribué à la diffusion de l’idéologie néolibérale et à la négociation active notre dépendance économique au nom d’un intérêt général qui favorisait en fait les classes dominantes.

Tout se passe comme si l’indépendance, politique ou économique, était une affaire de tout ou rien ; non pas une différence de degré, mais un saut ontologique, comme si nous pouvions être soit totalement opprimés et sans marge d’action (aujourd’hui), soit totalement libres de faire ce que nous voulons. Cette idée repose sur une mauvaise conception de la liberté politique, et sur une faible compréhension du fonctionnement des institutions, des forces sociales et économiques, bref des rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre constamment à chaque moment de l’histoire. C’est pourquoi nous ne pouvons excuser notre présent gouvernement de faire des mauvais choix concernant l’austérité, le nationalisme conservateur et l’exploitation pétrolière parce que nous ne sommes pas encore 100% indépendants politiquement.

Un projet national vraiment rassembleur ?

La conception de l’indépendance comme processus permet d’écarter la fausse opposition entre « projet national rassembleur » et « projet de classe diviseur ». Il est clair qu’il faut rallier une majorité de la population et unir le plus grand nombre de groupes sociaux pour obtenir un pays. Or, pourquoi ne pas essayer justement de construire un mouvement populaire d’opposition à l’élite économico-politique qui ne veut aucun changement dans l’ordre des choses ? Si plusieurs aiment souligner que des hommes d’affaires comme Pierre-Karl Péladeau peuvent être souverainistes, ce qui n’est pas incohérent en soi, est-ce qu’une majorité d’entre eux ont intérêt à appuyer l’indépendance du Québec ? Par ailleurs, que doit-on entendre par « milieu des affaires » ?

Bien que plusieurs soulignent que l’économie québécoise est principalement composée de PME, ce ne sont pas elles qui dirigent la finance, le grand capital et l’orientation générale des investissements, la production, la consommation et la distribution et de biens et services au Québec. Une analyse de classes plus fine permet de discerner une division entre les petits entrepreneurs et l’élite économique, même si les deux peuvent être idéologiquement « à droite ». Les premiers ont sans doute intérêt à faire l’indépendance, contrairement aux seconds. À ce titre, il faut relire la Lettre aux indépendantistes d’Amir Khadir :

« Le patronat québécois a été historiquement l’adversaire le plus farouche et le plus efficace de la souveraineté économique et politique du Québec. Nombre d’indépendantistes persistent cependant à entretenir l’espoir qu’une partie de l’élite économique donnera à nouveau un jour, comme en 1995, son feu vert à ceux qui comme la direction du PQ attendent son autorisation avant de solliciter le peuple au rendez-vous avec son avenir. Force est de constater que les choses ont bien changé. Le segment nationaliste formé par certains barons du Québec Inc. tend à être de plus en plus ténu et isolé. Au cours des 15 dernières années, l’élite économique dominante du Québec a été si bien intégrée à celles de Bay Street et de Wall Street, qu’elle en épouse tous les grands desseins politiques. Il n’y a à mon avis aucune convergence possible entre cette élite et le projet indépendantiste. »
Le but n’est donc pas de faire une alliance avec la grande bourgeoisie canadienne et américaine qui contrôle l’économie québécoise, ni même avec le patronat québécois qui représente notre bourgeoisie nationale, mais de créer une coalition entre les travailleurs, précaires, étudiantes, paysans, classes moyennes, petits entrepreneurs, c’est-à-dire une majorité sociale contre le 1% pour résumer simplement. Ce qu’il nous faut, c’est une sorte de populisme de gauche et indépendantiste, qu’il faut opposer au populisme conservateur, identitaire et autonomiste que le Parti québécois est en train de créer de paire avec les élites économiques.

La collaboration de classes

Cela nous amène à déconstruire un autre mythe, celui d’une nécessaire « collaboration de classes » étant donné l’ordre « naturel » du système économique, afin de domestiquer le capitalisme pour servir le projet national. Il faut reprendre à ce titre une citation de Sol Zanetti : « Le milieu des affaires au Québec est constitué principalement de PME et les entrepreneurs québécois auront un grand rôle à jouer dans la construction du Québec. Ce sont eux qui, en collaboration avec l'État, développeront l'économie durable vers laquelle nous devons cheminer pour survivre au XXIe siècle. À moins de vouloir étatiser l'ensemble de l'économie, nous devons nous en faire des alliés, dans la mesure du possible, et les inciter à agir avec nous dans l'intérêt supérieur de la nation québécoise. »

Le sophisme consiste à créer un faux dilemme entre une économie mixte (État et régulation du marché) et une économie socialiste centralement planifiée, comme si elles représentaient les deux seules alternatives au néolibéralisme (libre marché). Le modèle coopératif, l’économie plurielle, le socialisme démocratique et décentralisé et la planification démocratique de l’économie sont ainsi des options évacuées du champ des possibles. Évidemment le nationalisme social-démocrate considère souvent qu’il n’y a pas d’autre façon de s’opposer au fédéralisme libéral ; mais il serait intéressant de dépasser cette dichotomie afin de libérer notre imagination économique, politique et stratégique.

Le projet nationaliste consiste à mettre en parenthèses les intérêts particuliers (individuels ou de groupes sociaux) pour se concentrer sur  l’« objectif commun » de la Nation. Il faut certes créer une grande solidarité entre diverses forces sociales pour réaliser l’indépendance, mais il est absolument essentiel d’identifier les groupes susceptibles d’amener le changement et d’adhérer au projet. On ne peut simplement appeler à une grande union magique entre l’élite et le peuple, du moins sans avoir recours à l’idéologie, la manipulation, l’invisibilisation des rapports de domination et un « partenariat » qui ne fera que consolider l’intérêt des groupes privilégiés. S’il faut mettre un terme à l’oppression du peuple québécois et lui donner les moyens de se libérer, il faut reconnaître que celui-ci est dominé non seulement par l’État fédéral, mais par l’impérialisme américain, les multinationales et l’élite politico-économique nationale qui ne représentent en rien « le bien commun ».

Une révolution par le bas

Il ne s’agit pas ici de récuser tout modèle de « révolution démocratique-bourgeoise » et de prôner une « révolution économique » qui mettrait un terme au système capitaliste. Il s’agit plutôt de montrer que le combat pour l’indépendance et la « lutte des classes » ne doivent pas être réduites l’une à l’autre, ni être complètement séparées, mais qu’elles doivent être articulées dans leurs différences et leur synergie. De plus, il faut reconnaître que l’accession à l’indépendance politique du Québec ne sera pas une petite réforme en douceur, mais une véritable révolution politique qui amènera un grand changement social, d’une manière ou d’une autre. On peut certes s’inspirer des modèles de la révolution américaine ou française, mais il faudrait également regarder du côté des luttes de décolonisation, de libération nationale en Amérique latine, ou encore vers la Catalogne où tout ne se joue pas simplement via le un mode de scrutin proportionnel, mais dans la rue.

Ainsi, c’est par les luttes citoyennes, syndicales, étudiantes ou écologistes, contre les injustices sociales, économiques, politiques et environnementales, que le peuple prend conscience de l’ampleur du combat à mener ; à travers la résistance et l’action, la solidarité et l’adversité, il réalise qu’il n’est pas maître chez lui et que ses propres représentants ne défendent pas ses intérêts, voire qu’ils menacent même ses conditions d’existence et l’avenir des générations futures. C’est pourquoi il absolument essentiel de laisser tomber le souverainisme de concertation pour embrasser un indépendantisme de combat, qui pourra ensuite conscientiser des parties beaucoup plus larges de la population même si cela amène une certaine polarisation par la mise en évidence des antagonismes sociaux.

Il faut envisager l’accession à l’indépendance comme un mouvement social, une véritable lutte de libération nationale, et non comme une affaire que nous pourrions diriger par le haut. Le corollaire pratique de cette perspective est qu’il n’est pas possible de mettre de côté les différents mouvements sociaux au nom du grand projet national rassembleur, car la lutte pour l’indépendance représente un des mouvements sociaux, et non le seul. Il doit donc s’articuler aux autres causes et arrêter de réclamer sa suprématie, comme le marxisme et le souverainisme des années 1970 qui ont souvent considérer le féminisme comme un mouvement secondaire qui viendrait seulement après la révolution sociale ou l’indépendance, selon l’idéologie.

Pour terminer, il est intéressant d’amener la critique de Rosa Luxemburg à l’endroit de la social-démocratie allemande de son époque en faisant un parallèle avec la question nationale au Québec, le souverainisme officiel versant toujours plus dans la bureaucratisation et l’arrivisme. Ce phénomène n’est pas seulement le fait du Parti québécois (bien qu’il en soit responsable en bonne partie), mais de la vision du monde qui sous-tend une indépendance dirigée par des politiciens professionnels, les urnes et l’art de gouverner. Il s’agit de dégager des pistes de recherche pour élaborer une stratégie indépendantiste par le bas, menée sous la forme d’un combat de libération populaire. « Les erreurs commises par un mouvement [de libération] vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur comité central ».




[1]http://quebec.huffingtonpost.ca/sol-zanetti/pourquoi-les-independantistes-ne-votent-ils-pas-tous-pour-le-meme-parti_b_4747747.html
http://quebec.huffingtonpost.ca/sol-zanetti/pourquoi-les-independantistes-ne-votent-ils-pas-tous-pour-le-meme-parti_b_4791899.html

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