Du nationalisme social-démocrate à l’indépendance par le bas


Dans une brève réflexion portant sur les raisons pour lesquelles les indépendantistes ne votent pas pour le même parti[1], le chef d’Option nationale, Sol Zanetti, émet des hypothèses pour expliquer les divergences idéologiques et stratégiques qui distinguent sa formation politique du Parti québécois et de Québec solidaire. Comme nous partageons sa critique du péquisme, notamment sur la question de l’électoralisme et de l’attentisme, nous souhaitons plutôt déconstruire certaines idées reçues procédant d’une mauvaise lecture des « nationalistes » à l’endroit des solidaires.

Tout d’abord, Zanetti pointe le talon d’Achille de la stratégie d’accession à l’indépendance de Québec solidaire, qui « promet de faire un référendum, dans un premier mandat, pour ratifier la constitution que la population aura écrite. Le problème, c'est qu'ils refusent de garantir que cette constitution contiendra une déclaration d'indépendance. Donc, ce référendum promis pourrait déboucher sur une simple proposition de réforme du fédéralisme, une proposition de constitution qui demeurerait soumise au cadre fédéral canadien. À quoi cela servirait-il? Fouillez-moi. »

Or, Québec solidaire n’a jamais « refusé » de garantir que cette constitution contiendra une déclaration d’indépendance du Québec ; le programme est tout simplement vague sur le sujet. S’agit-il d’un flou délibéré, d’une position d’ouverture visant à chercher une majorité électorale ? Est-ce plutôt le résultat d’une imprécision programmatique qui pourrait être clarifiée ultérieurement, à la manière de la stratégie du LIT dont l’articulation concrète n’est pas précisée ? Est-ce que les solidaires présupposent tout simplement le résultat du processus, cette stratégie menant forcément à poser la question de l’indépendance au peuple québécois lors du référendum ?

L’électoralisme et les fédéralistes de gauche

Pour expliquer ce qui semble être un « compromis », le chef d’Option nationale fait l’hypothèse qu’il s’agit une stratégie électoraliste visant à consolider la « base électorale fédéraliste » de Québec solidaire. Cette observation découle de l’analyse de sondages montrant qu’une bonne partie des électeurs et électrices de ce parti de gauche ne sont pas d’emblée convertis à l’idée d’indépendance du Québec. Malgré tout, ces personnes sont-elles pour autant des fédéralistes convaincus qui voteraient assurément contre l’indépendance le jour du référendum ? Permettez-nous d’en douter.

D’une part, cette explication suppose que cette base électorale fait un compromis, faute d’un parti fédéraliste de gauche pour lequel elle irait voter massivement lors de sa création. L’arrivée imminente d’un NPD-Québec viendrait alors gruger la moitié des appuis à Québec solidaire, celui-ci passant de 10% à 5% dans les intentions de vote par exemple. Ce scénario n’est pas réaliste, car l’arrivée d’un tel parti aurait un effet diffus sur l’ensemble de la scène politique québécoise, allant davantage empiéter sur la base électorale du Parti libéral du Québec qui, pour la plupart, ne voteraient jamais pour un parti ouvertement indépendantiste.

D’autre part, est-il raisonnable de supposer que les « fédéralistes de gauche » sont si confiants que la démarche d’assemblée constituante pourrait facilement ne pas inclure de déclaration d’indépendance, et ce dans un contexte de mobilisations sociales où un gouvernement solidaire ferait activement la promotion d’une République sociale, démocratique, écologique et indépendante ? La question ne se résume pas au type de membres qui composeront l’assemblée constituante, car il faut tenir compte des rapports de forces qui auront mené au pouvoir un parti de gauche indépendantiste, et la lutte féroce qui accompagnera ce grand processus démocratique basé sur une souveraineté populaire qui rompt de facto avec le régime fédéral canadien.

Le parti de la diversité

Par ailleurs, le mythe des « fédéralistes de gauche » présents au sein de Québec solidaire, ou constituant une base majeure de son électorat, semble reposer sur une opposition rigide deux catégories : les indépendantistes militants et « les autres ». Si nous regardons de plus près, Québec solidaire représente une large constellation, réunissant des syndicalistes, écologistes, citoyennes, féministes, indépendantistes, socialistes, républicains, artistes, jeunes et moins jeunes qui partagent une déclaration de principes dans laquelle la souveraineté joue un rôle déterminant. Nous pouvons donc supposer que la base électorale de ce parti multidimensionnel est encore plus diversifiée, tout en endossant les valeurs et le projet de société solidaire qui inclut l’indépendance du Québec.

C’est dans cet esprit que doit être interprétée cette citation de Françoise David : « On n'a pas besoin d'être mal à l'aise si on n'est pas complètement convaincu de la souveraineté et qu'on veut être membre de Québec solidaire, dit-elle. C'est pour cela que notre nombre de membres a doublé depuis un an.» (La Presse, 23 octobre 2012) ». Le fait d’inclure des personnes non convaincues et de les amener progressivement à adopter une nouvelle culture politique représente-t-il une force, plutôt qu’une faiblesse, pour un parti indépendantiste ? Si Québec solidaire est capable d’aller chercher des personnes a priori hostiles ou indifférentes à la culture souverainiste traditionnelle, en les ramenant à endosser son projet de pays, n’est-ce pas là la preuve d’une certaine efficacité qui ne passe pas directement par une pédagogie nationaliste militante ? La division du travail politique entre Québec solidaire et Option nationale ne serait-elle pas le signe d’une complémentarité dans les manières d’accrocher des diverses parties de la population à la lutte de libération nationale ?

Le fait que plusieurs personnes non complètement convaincues par l’indépendance appuient un parti de gauche indépendantiste montre plutôt que celles-ci sont d’accord avec une démarche démocratique, participative et inclusive, permettant de débattre d’un projet de pays qui ne se résume pas à un Oui ou Non référendaire. Une assemblée constituante offre l’occasion historique d’élaborer collectivement les principes, les valeurs, les institutions et la répartition des pouvoirs d’un nouvel État, créant par le fait même une vaste mobilisation, une dynamique sociale nécessaire pour obtenir un appui massif à l’indépendance. Ce faisant, le peuple ne donne pas pour mandat au gouvernement de faire l’indépendance à sa place ; c’est le gouvernement qui donne aux citoyens et citoyennes les outils pour prendre eux-mêmes en charge leur propre émancipation populaire. C’est la toute la différence entre l’indépendance solidaire et le nationalisme traditionnel du Parti québécois et Option nationale : la souveraineté « par le bas », et non par le haut.

Une stratégie souterraine

De plus, la stratégie d’accession à l’indépendance de Québec solidaire ne se limite ni à une simple procédure démocratique, ni à un débat technique et constitutionnel visant à découvrir, par le biais d’un calcul politique et utilitariste, une méthode « infaillible » pour réaliser ce vaste projet. Les nationalistes, et même les solidaires, oublient trop souvent que l’assemblée constituante ne représente que l’apogée d’une stratégie plus profonde, prenant racine dans les mouvements sociaux et de larges pans de la société civile. En gros, il s’agit d’amorcer dès maintenant une démarche constituante reposant sur la souveraineté populaire, qui servira alors de tremplin pour prendre le pouvoir et instaurer une rupture avec l’ordre canadien. La lecture de cette partie de programme est souvent négligée :

« Parler d’Assemblée constituante, ce n’est pas poser abstraitement un nouveau chemin vers la souveraineté du Québec. C’est proposer de discuter, de la manière la plus démocratique et la plus large possible, des mécanismes essentiels pour assurer la défense du bien commun, pour articuler le projet d’indépendance politique et les revendications sociales. Québec solidaire fera, dès les prochains mois, connaître largement ce projet par une vaste campagne d’éducation populaire. Il s’agira aussi de son axe d’intervention au Conseil de la souveraineté.

Québec solidaire visera graduellement à construire une alliance démocratique, sociale et nationale pour regrouper l’ensemble des forces syndicales, populaires, féministes, étudiantes, écologistes et les partis souverainistes autour de la reconnaissance de la souveraineté populaire qui se concrétisera par l’élection d’une Assemblée constituante. La stratégie de Québec solidaire consistera à mettre en route et développer une véritable démarche citoyenne afin que toutes et tous soient associés à la détermination de notre avenir collectif.

La popularisation de l'idée de constituante devra être préparée par la mise sur pied, aux niveaux local ou régional à la grandeur du Québec, d’une démarche de démocratie participative. Cette démarche permettra aux citoyennes et aux citoyens de s’exprimer et de discuter ensemble, de manière à ce que se constitue peu à peu un large appui au sein de la population. Une telle démarche peut s’amorcer avant l’élection d’un gouvernement proposant l’élection d’une constituante et elle devra se poursuivre après cette élection tout en étant soutenue financièrement par ce gouvernement.

Pour être légitime, le processus devra être profondément démocratique, transparent et transpartisan. La campagne électorale qui mènera un parti ou une alliance fondée sur l’Assemblée constituante au pouvoir devra mettre de l’avant l’obtention d’un mandat pour l’élection d’une Assemblée constituante qui représente pour Québec solidaire le moyen d’accession à l’indépendance et de transformation de la société, processus dont cette campagne ne sera qu’une première étape.

L’élection d’une Assemblée constituante est donc un acte démocratique par excellence, un acte à la fois de rupture avec le statu quo du régime fédéral canadien et un acte réellement fondateur. En ce sens, c’est une suspension des mécanismes de la réforme constitutionnelle prévue par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. »

Une radicalité pragmatique

En replaçant l’assemblée constituante dans un contexte plus large, reposant sur une vision dynamique de l’action collective et non sur un calcul électoraliste étroit, il n’est pas déraisonnable de constater que la stratégie solidaire, malgré les apparences, est sans doute la plus radicale du mouvement indépendantiste. Elle se concrétise déjà en partie au sein de la phase II des États généraux sur la souveraineté, du Nouveau mouvement pour le Québec et de divers groupes de la société civile. Cette perspective participe d’un processus de convergence des forces sociales en faveur de l’indépendance, où les partis politiques jouent un rôle secondaire.

D’ailleurs, cette radicalité n’est pas idéologique mais pragmatique ; il ne s’agit pas de propager la « foi souverainiste » par l’application de la bonne pédagogie, mais de faire émerger les conditions qui rendront possible et effectif un véritable mouvement de libération populaire. Il peut certes être utile de faire la promotion active de l’idée d’indépendance, en favorisant une prise de conscience par le biais d’arguments économiques (Aussant-financier) ou en misant sur les passions (Aussant-artiste). Cela peut aller rejoindre un public différent et non convaincu, et même représenter une condition nécessaire à la diffusion de ce projet ; mais c’est largement insuffisant pour élire un gouvernement qui souhaite établir une rupture avec l’ordre établi.

Pour ce faire, il faut développer un rapport de force, c’est-à-dire une vraie volonté collective de changement qui ne se fera pas sans réaction des élites politiques et économiques. L’élément souvent négligé du mouvement souverainiste, qui était pourtant un facteur déterminant dans l’émergence des forces indépendantistes des années 1960 et 1970, c’est la nécessité vécue par une majorité sociale de transformer ses conditions matérielles d’existence. Le mouvement souverainiste se développait comme le fruit d’une révolution, tranquille mais profonde néanmoins, c’est-à-dire d’un changement social, économique, politique et culturel lié à l’instauration d’un État-providence permettant de renforcer les capacités d’auto-détermination du peuple québécois.

Autrement dit, l’objectif souverainiste était en quelque sorte d’achever un large processus de transformation sociale qui avait déjà eu lieu en bonne partie. C’est pourquoi il est faux de dire « qu’avant d’être de gauche ou de droite, il faut d’abord être » ; la société québécoise s’était profondément transformée à partir de forces progressistes qui ont permis de rompre avec un ordre économique et culturel conservateur. La société était de gauche avant, ou plutôt pendant qu’elle aspirait à se réaliser pleinement par la constitution d’un État indépendant. La question nationale et sociale ne sont donc pas séparées, mais enchevêtrées ; elles ne doivent pas être articulées par un avant et un après, mais en même temps. Voici pourquoi.

Le mythe du commencement absolu

Un mythe nationaliste consiste à croire que le débat gauche/droite aura un sens après l’indépendance, celle-ci représentant le véritable commencement. Or, cette lutte aura lieu avant, pendant et après le processus d’accession à l’indépendance. S’il est vrai que la lutte de gauche que mène Québec solidaire ne se terminera pas le jour de l’indépendance, que la constitution sera élaborée démocratiquement et pourra donc être plus ou moins à gauche, au centre ou à droite, on ne peut pas déduire logiquement que le combat pour l’émancipation sociale ne pourra « commencer pour vrai » uniquement après avoir obtenu l’indépendance. S’il est vrai que « ce n'est qu'en étant politiquement indépendants, en contrôlant l'ensemble de nos lois, de nos impôts et de nos traités, que nous aurons les coudées franches pour faire du Québec de demain le reflet de ce que souhaite sa population », il n’en découle pas que le gouvernement provincial aujourd’hui n’a aucune marge de manœuvre pour favoriser ou non le passage à un « Québec inc. » et un État pétrolier. Au contraire, les gouvernements souverainistes ont largement contribué à la diffusion de l’idéologie néolibérale et à la négociation active notre dépendance économique au nom d’un intérêt général qui favorisait en fait les classes dominantes.

Tout se passe comme si l’indépendance, politique ou économique, était une affaire de tout ou rien ; non pas une différence de degré, mais un saut ontologique, comme si nous pouvions être soit totalement opprimés et sans marge d’action (aujourd’hui), soit totalement libres de faire ce que nous voulons. Cette idée repose sur une mauvaise conception de la liberté politique, et sur une faible compréhension du fonctionnement des institutions, des forces sociales et économiques, bref des rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre constamment à chaque moment de l’histoire. C’est pourquoi nous ne pouvons excuser notre présent gouvernement de faire des mauvais choix concernant l’austérité, le nationalisme conservateur et l’exploitation pétrolière parce que nous ne sommes pas encore 100% indépendants politiquement.

Un projet national vraiment rassembleur ?

La conception de l’indépendance comme processus permet d’écarter la fausse opposition entre « projet national rassembleur » et « projet de classe diviseur ». Il est clair qu’il faut rallier une majorité de la population et unir le plus grand nombre de groupes sociaux pour obtenir un pays. Or, pourquoi ne pas essayer justement de construire un mouvement populaire d’opposition à l’élite économico-politique qui ne veut aucun changement dans l’ordre des choses ? Si plusieurs aiment souligner que des hommes d’affaires comme Pierre-Karl Péladeau peuvent être souverainistes, ce qui n’est pas incohérent en soi, est-ce qu’une majorité d’entre eux ont intérêt à appuyer l’indépendance du Québec ? Par ailleurs, que doit-on entendre par « milieu des affaires » ?

Bien que plusieurs soulignent que l’économie québécoise est principalement composée de PME, ce ne sont pas elles qui dirigent la finance, le grand capital et l’orientation générale des investissements, la production, la consommation et la distribution et de biens et services au Québec. Une analyse de classes plus fine permet de discerner une division entre les petits entrepreneurs et l’élite économique, même si les deux peuvent être idéologiquement « à droite ». Les premiers ont sans doute intérêt à faire l’indépendance, contrairement aux seconds. À ce titre, il faut relire la Lettre aux indépendantistes d’Amir Khadir :

« Le patronat québécois a été historiquement l’adversaire le plus farouche et le plus efficace de la souveraineté économique et politique du Québec. Nombre d’indépendantistes persistent cependant à entretenir l’espoir qu’une partie de l’élite économique donnera à nouveau un jour, comme en 1995, son feu vert à ceux qui comme la direction du PQ attendent son autorisation avant de solliciter le peuple au rendez-vous avec son avenir. Force est de constater que les choses ont bien changé. Le segment nationaliste formé par certains barons du Québec Inc. tend à être de plus en plus ténu et isolé. Au cours des 15 dernières années, l’élite économique dominante du Québec a été si bien intégrée à celles de Bay Street et de Wall Street, qu’elle en épouse tous les grands desseins politiques. Il n’y a à mon avis aucune convergence possible entre cette élite et le projet indépendantiste. »
Le but n’est donc pas de faire une alliance avec la grande bourgeoisie canadienne et américaine qui contrôle l’économie québécoise, ni même avec le patronat québécois qui représente notre bourgeoisie nationale, mais de créer une coalition entre les travailleurs, précaires, étudiantes, paysans, classes moyennes, petits entrepreneurs, c’est-à-dire une majorité sociale contre le 1% pour résumer simplement. Ce qu’il nous faut, c’est une sorte de populisme de gauche et indépendantiste, qu’il faut opposer au populisme conservateur, identitaire et autonomiste que le Parti québécois est en train de créer de paire avec les élites économiques.

La collaboration de classes

Cela nous amène à déconstruire un autre mythe, celui d’une nécessaire « collaboration de classes » étant donné l’ordre « naturel » du système économique, afin de domestiquer le capitalisme pour servir le projet national. Il faut reprendre à ce titre une citation de Sol Zanetti : « Le milieu des affaires au Québec est constitué principalement de PME et les entrepreneurs québécois auront un grand rôle à jouer dans la construction du Québec. Ce sont eux qui, en collaboration avec l'État, développeront l'économie durable vers laquelle nous devons cheminer pour survivre au XXIe siècle. À moins de vouloir étatiser l'ensemble de l'économie, nous devons nous en faire des alliés, dans la mesure du possible, et les inciter à agir avec nous dans l'intérêt supérieur de la nation québécoise. »

Le sophisme consiste à créer un faux dilemme entre une économie mixte (État et régulation du marché) et une économie socialiste centralement planifiée, comme si elles représentaient les deux seules alternatives au néolibéralisme (libre marché). Le modèle coopératif, l’économie plurielle, le socialisme démocratique et décentralisé et la planification démocratique de l’économie sont ainsi des options évacuées du champ des possibles. Évidemment le nationalisme social-démocrate considère souvent qu’il n’y a pas d’autre façon de s’opposer au fédéralisme libéral ; mais il serait intéressant de dépasser cette dichotomie afin de libérer notre imagination économique, politique et stratégique.

Le projet nationaliste consiste à mettre en parenthèses les intérêts particuliers (individuels ou de groupes sociaux) pour se concentrer sur  l’« objectif commun » de la Nation. Il faut certes créer une grande solidarité entre diverses forces sociales pour réaliser l’indépendance, mais il est absolument essentiel d’identifier les groupes susceptibles d’amener le changement et d’adhérer au projet. On ne peut simplement appeler à une grande union magique entre l’élite et le peuple, du moins sans avoir recours à l’idéologie, la manipulation, l’invisibilisation des rapports de domination et un « partenariat » qui ne fera que consolider l’intérêt des groupes privilégiés. S’il faut mettre un terme à l’oppression du peuple québécois et lui donner les moyens de se libérer, il faut reconnaître que celui-ci est dominé non seulement par l’État fédéral, mais par l’impérialisme américain, les multinationales et l’élite politico-économique nationale qui ne représentent en rien « le bien commun ».

Une révolution par le bas

Il ne s’agit pas ici de récuser tout modèle de « révolution démocratique-bourgeoise » et de prôner une « révolution économique » qui mettrait un terme au système capitaliste. Il s’agit plutôt de montrer que le combat pour l’indépendance et la « lutte des classes » ne doivent pas être réduites l’une à l’autre, ni être complètement séparées, mais qu’elles doivent être articulées dans leurs différences et leur synergie. De plus, il faut reconnaître que l’accession à l’indépendance politique du Québec ne sera pas une petite réforme en douceur, mais une véritable révolution politique qui amènera un grand changement social, d’une manière ou d’une autre. On peut certes s’inspirer des modèles de la révolution américaine ou française, mais il faudrait également regarder du côté des luttes de décolonisation, de libération nationale en Amérique latine, ou encore vers la Catalogne où tout ne se joue pas simplement via le un mode de scrutin proportionnel, mais dans la rue.

Ainsi, c’est par les luttes citoyennes, syndicales, étudiantes ou écologistes, contre les injustices sociales, économiques, politiques et environnementales, que le peuple prend conscience de l’ampleur du combat à mener ; à travers la résistance et l’action, la solidarité et l’adversité, il réalise qu’il n’est pas maître chez lui et que ses propres représentants ne défendent pas ses intérêts, voire qu’ils menacent même ses conditions d’existence et l’avenir des générations futures. C’est pourquoi il absolument essentiel de laisser tomber le souverainisme de concertation pour embrasser un indépendantisme de combat, qui pourra ensuite conscientiser des parties beaucoup plus larges de la population même si cela amène une certaine polarisation par la mise en évidence des antagonismes sociaux.

Il faut envisager l’accession à l’indépendance comme un mouvement social, une véritable lutte de libération nationale, et non comme une affaire que nous pourrions diriger par le haut. Le corollaire pratique de cette perspective est qu’il n’est pas possible de mettre de côté les différents mouvements sociaux au nom du grand projet national rassembleur, car la lutte pour l’indépendance représente un des mouvements sociaux, et non le seul. Il doit donc s’articuler aux autres causes et arrêter de réclamer sa suprématie, comme le marxisme et le souverainisme des années 1970 qui ont souvent considérer le féminisme comme un mouvement secondaire qui viendrait seulement après la révolution sociale ou l’indépendance, selon l’idéologie.

Pour terminer, il est intéressant d’amener la critique de Rosa Luxemburg à l’endroit de la social-démocratie allemande de son époque en faisant un parallèle avec la question nationale au Québec, le souverainisme officiel versant toujours plus dans la bureaucratisation et l’arrivisme. Ce phénomène n’est pas seulement le fait du Parti québécois (bien qu’il en soit responsable en bonne partie), mais de la vision du monde qui sous-tend une indépendance dirigée par des politiciens professionnels, les urnes et l’art de gouverner. Il s’agit de dégager des pistes de recherche pour élaborer une stratégie indépendantiste par le bas, menée sous la forme d’un combat de libération populaire. « Les erreurs commises par un mouvement [de libération] vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur comité central ».




[1]http://quebec.huffingtonpost.ca/sol-zanetti/pourquoi-les-independantistes-ne-votent-ils-pas-tous-pour-le-meme-parti_b_4747747.html
http://quebec.huffingtonpost.ca/sol-zanetti/pourquoi-les-independantistes-ne-votent-ils-pas-tous-pour-le-meme-parti_b_4791899.html

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