mercredi 13 mars 2013

La querelle de la Constituante, prise 2


 Le vague et l’ouvert

Le débat sur l’indépendance et la nature de l’Assemblée constituante est maintenant lancé au sein de Québec solidaire. Contre toute attente, une illusion de consensus entourant la question nationale a été rompue, et de vives réactions ont fusé de toutes parts, tant à la base qu’à la tête du parti. Il ne s’agit point d’une querelle de mots, mais bien d’un débat de fond laissant entrevoir deux interprétations divergentes de la position actuelle : est-elle vague et mérite-t-elle donc d’être clarifiée, ou est-elle plutôt ouverte et ne doit en aucun cas être refermée ?

Le premier camp considère que la formulation de l’Assemblée constituante reste floue quant à l’avenir politique du Québec ; va-t-elle déboucher sur un projet de constitution incluant une déclaration de souveraineté, ou laisse-t-elle la porte ouverte à une constitution « provinciale », c’est-à-dire compatible avec le cadre fédéraliste canadien ? Cette ambiguïté est lourde de conséquences, car elle souligne l’exclusion possible d’un vote sur l’indépendance du Québec lors du référendum, dans l’éventualité où l’Assemblée constituante aurait décidée de ne pas aller de l’avant avec cette proposition parce qu’elle n’aurait pas fait « consensus ». Pour remédier à cette fâcheuse situation, il faudrait donc préciser que le mandat de l’Assemblée constituante serait de rédiger la constitution du pays du Québec.

Les opposants à cette proposition de précision stipulent qu’il ne s’agit pas d’une position vague, mais qu’elle est délibérément ouverte pour laisser libre cours au débat sur la question nationale. Il ne faudrait pas refermer à l’avance l’Assemblée constituante sur une position souverainiste, car ce serait anti-démocratique et malheureux pour les indécis(es) qui sont favorables à la stratégie inclusive de Québec solidaire. Évidemment, l’option souverainiste émergerait de la délibération, et il y a de bonnes raisons de croire qu’elle se retrouvera dans le projet de constitution qui sera soumis à la population par référendum. Pas la peine de s’inquiéter, car il s’agirait de bien expliquer la pédagogie solidaire et de défendre la nécessité de l’indépendance, « sans présumer de l’issue des débats ».

La gauche et le centre

Ces deux positions peuvent être illustrées par « l’échiquier politique de la souveraineté », permettant de situer chaque parti par rapport au degré d’affirmation de la question nationale. À la droite de l’échiquier, nous avons le Parti libéral du Québec qui est clairement fédéraliste (statu quo). Au centre-droit, nous avons la Coalition avenir Québec qui est « autonomiste », rejetant à la fois le souverainisme et le fédéralisme. Au centre de l’échiquier, nous avons la position actuelle du Parti québécois, c’est-à-dire la « gouvernance souverainiste » qui pratique l’autonomisme et souhaite faire un référendum au « moment opportun ». Au centre-gauche, Option nationale et Québec solidaire promettent de relancer le débat et un référendum sur la question nationale dès leur premier mandat.

Or, l’Assemblée constituante laisse place à deux interprétations. D’une part, la vision « indépendantiste », à gauche de l’échiquier politique, souligne que l’objectif premier est de réaliser l’indépendance à travers l’exercice de la souveraineté populaire, qui permettra de former un projet de pays capable de mobiliser et légitimer la création d’un nouvel État indépendant. D’autre part, la vision « ouverte », située au centre de l’échiquier politique, laisse la porte ouverte à un projet de constitution d’un Québec autonome au sein de la fédération canadienne, et insiste sur le caractère absolument indéterminé de la démarche de démocratie participative. Cette interprétation est actuellement défendue par la tête du parti, ce qui explique pourquoi Jean-Martin Aussant met Québec solidaire et le Parti québécois dans le même bateau du « peut-être ».

Une question de porte-parole ?

Par ailleurs, certaines personnes considèrent que le problème ne réside pas tant dans la précision du mandat de l’Assemblée constituante, mais dans le discours des porte-paroles qui ne mettent pas assez de l’avant l’indépendance du Québec. Il faudrait davantage insister sur le contexte d’ébullition sociale dans lequel sera situé un gouvernement solidaire, l’Assemblée constituante se rapprochant moins d’une simple discussion que d'un processus dynamique traversé par des rapports de force.

« Il reste qu’une telle démarche ne peut se comprendre et avoir du sens que si le passage par la constituante est conçu comme autre chose qu’une simple invitation faite par le gouvernement de QS à discuter démocratiquement de constitution avec tous les secteurs de la population. Ce passage devrait être plutôt pensé comme "l’instrument démocratique puissant" à travers lequel QS va parvenir à rallier (parce qu’il va se battre pour cela) de larges secteurs de la population autour de son projet d’indépendance, et cela au fil d’une mobilisation grandissante qu’il encouragera. » - Pierre Mouterde, Constituante et processus constituant : http://www.pressegauche.org/spip.php?article13403

Bien que nous soyons d’accord avec cette conception, il n’en demeure pas moins que le discours sur l’indépendance des porte-paroles est conditionné par leur interprétation de la nature de l’Assemblée constituante. Actuellement, Québec solidaire met la constituante à l’avant-scène parce que l’interprétation dominante est celle de la position « ouverte » qui privilégie la « discussion inclusive » et non l’objectif du processus, c’est-à-dire la création du pays du Québec. Ce n’est donc pas un hasard si la question sociale prend une posture plus affirmée tandis que la défense de l’indépendance est moins assumée. Le but est de rassembler au lieu d’effrayer, l’ouverture permettant d’aller chercher de nouveaux appuis.

Une différence de fond

Deux interprétations de la constituante peuvent-elles coexister au sein du même parti ? En fait, ce que la proposition d’amendement a permis de mettre en évidence, c’est de montrer le caractère intuitif ou contre-intuitif de la souveraineté comme résultat nécessaire du processus. Pour plusieurs membres, il allait de soi que l’Assemblée constituante devait débattre de la constitution du pays du Québec, et qu’il n’était pas possible que la question de l’indépendance ne se retrouve pas lors du référendum final. Pour d’autres, préciser le mandat de l’Assemblée constituante revenait à modifier en profondeur le programme du parti, voire à limiter la portée démocratique de cette stratégie.

La différence idéologique peut être résumée comme suit : les tenants de la constituante « ouverte » veulent remettre la question nationale (indéterminée) dans les mains de la population, alors que les adeptes de la constituante « clarifiée » proposent de remettre l’indépendance dans les mains du peuple québécois.

Dans tous les cas, cette question devra être discutée lors du prochain congrès de Québec solidaire, d’autant plus que l’ordre du jour comprend les thèmes suivants : retour sur le rapprochement avec Option nationale, débat sur les alliances électorales, modification de la plateforme, etc. Le congrès représente l’instance suprême du parti, et une précision de la plateforme et/ou du programme pour une question aussi centrale dans la conjoncture actuelle ne peut être écartée pour des raisons procédurales : manque de temps, manque de débat préalable, non-pertinence de la proposition, etc. Si la question de l’articulation de l’indépendance et l’Assemblée constituante n’est pas débattue dans ce congrès, quand pourra-t-elle l’être ?

Une proposition démocratique

Évidemment, si la proposition de modification n’est pas incluse dans le cahier de propositions de la Commission politique, elle ne pourra pas être débattue dans les assemblées locales avant le congrès. On aura alors écarté une proposition légitime à l’aide d’une prophétie auto-réalisatrice : l’ayant exclue de la discussion préalable, on aura une raison supplémentaire pour justifier le fait qu’elle ne soit pas traitée dans le congrès faute d’avoir été suffisamment débattue. Or, le débat est déjà lancé dans les rangs de Québec solidaire, de sorte qu’une décision quant à l’interprétation ouverte ou indépendantiste de la constituante devra être prise tôt ou tard.

Une autre solution possible serait d’organiser un congrès spécial à l’automne sur cette question. Le débat pourrait être lancé en mai, et la Commission thématique sur la souveraineté pourrait avoir comme mandat de travailler sur l’éclaircissement de l’Assemblée constituante, ce qui montrerait le sérieux du parti sur la question nationale. S’il y a un certain consensus au sein du parti sur la nécessité de préciser la nature de l’Assemblée constituante, le désaccord sur la forme de cet éclaircissement pourrait être finalement tranché lors d’un prochain congrès rapproché, permettant à la fois de régler la question et d’entamer l’enjeu 4. Cette option favoriserait de larges débats, et une meilleure intériorisation des arguments relatifs à l’indépendance et la constituante par les membres du parti.

L’argument massue

Bien que les adeptes de « l’ouverture » semblent pour l’instant avoir le dessus sur les adeptes de « la clarification », du moins au sein des instances du parti, les seconds ont un argument de taille pour montrer l’impossibilité technique de l’option ouverte : la constitution canadienne.

Théoriquement, une province peut se doter d’une constitution, comme le propose actuellement le Parti québécois au point 1.3 de son programme : « Ce texte fondamental intégrera une version amendée de la Charte des droits et libertés de la personne de façon à ce que, dans son interprétation et son application, il soit tenu compte du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise: la prédominance de la langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes et la laïcité des institutions publiques. » http://pq.org/parti/programme

« Par contre, il est impossible par définition qu'elle soit rédigée en contradiction avec la véritable constitution qui est la source première de droit, c’est-à-dire la constitution canadienne. En d'autres termes, il est impossible, à travers une constitution provinciale, de redéfinir le rapport Canada/provinces car celui-ci est déjà défini dans les articles 91 et 92 de la constitution canadienne. Pour les modifier et donc rapatrier des pouvoirs (d'autres diraient renouveler le fédéralisme ou faire de la gouvernance souverainiste), il faudrait une majorité des provinces qui représentent la majorité de la population canadienne. C'est une autre game, une autre démarche. Pour y arriver, la constituante ne serait définitivement pas le bon forum. » - Alexandre Leduc

L’indépendance nécessairement

Les adeptes de l’ouverture, qui veulent absolument éviter de refermer le débat sur la question nationale, sont donc contraints d’accepter que l’ouverture du débat sur la question constitutionnelle dépende formellement de l’indépendance éventuelle du Québec. Autrement dit, pour avoir un réel débat de fond sur le projet de pays, c’est-à-dire « avoir les coudées franches » pour inclure les valeurs et les institutions désirées par le peuple québécois dans sa constitution, celui-ci devra avoir la possibilité de décréter la souveraineté du Québec lors du référendum. Une belle discussion démocratique sur une constitution sans l’horizon du pays est un non-sens juridiquement parlant, tout simplement.

Le « fait juridique » de la constitution canadienne rend caduque la nécessité de garder la question nationale absolument ouverte. Évidemment, la discussion sur les modalités de la souveraineté (frontières, armée, monnaie, etc.) et le contenu de la constitution sera totalement ouverte. Il n’y a rien d’anti-démocratique à remettre le projet de pays dans les mains de l’Assemblée constituante, car ultimement c’est le peuple québécois qui décidera ou refusera de naître lors du référendum sur la constitution.

La stratégie de l’Assemblée constituante est extrêmement stimulante pour dynamiser la mobilisation populaire et lier la question nationale au projet de société, mais elle a été « importée » d’États déjà indépendants, comme la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, adoptée en 1999. Comme le souligne Pierre Mouterde, « la difficulté réside cependant dans le fait qu’il n’y a pas d’antécédents historiques sur lesquels s’appuyer », car Québec solidaire propose de lier le processus constitutionnel au processus constituant, c’est-à-dire l’indépendance. L’erreur des adeptes de l’ouverture est de penser la constitution d’abord et le pays après (si nécessaire), alors que les deux doivent être articulés dans un même processus.

Une question de mots?

L’interprétation ouverte de l’Assemblée constituante est donc erronée, malgré sa noble intention de rallier la plus large partie de la population, probablement effrayée par l’idée d’indépendance. Même si le parti désire préserver la rhétorique de l’ouverture pour des raisons électorales, il va tout de même devoir garantir que l’Assemblée constituante rédigera la constitution d’un Québec souverain une fois rendu au pouvoir, afin d’assurer l’effectivité minimale du processus. Pourquoi alors ne pas être franc dès maintenant avec le peuple québécois, et privilégier un discours émancipateur qui n’a pas peur des mots? C’est pourquoi tout solidaire devrait lire ce puissant article d’Andrée Ferretti, Quand le RIN devint parti politique, où en est notre nation, 50 ans plus tard ? :

« Le discours et l’action indépendantistes ont aussi fait peur à la petite bourgeoisie nationaliste canadienne-française. C’est pour contrer sa propre peur que celle-ci a donné naissance à l’idée de souveraineté-association. Changement d’objectif traduit et soutenu par un changement de mot. Car de toutes les peurs, la plus paralysante est celle des mots. C’est cette peur qui, depuis plus de quarante ans, fait dévier le peuple québécois du chemin de son indépendance politique, car autant que de permettre la compréhension de ce qui est directement en cause, le mot juste permet de formuler clairement les enjeux et de situer le lieu exact du combat. […] Il fallait donc désamorcer ces mots dangereux qui assuraient la fécondité des débats et des combats. Cela a commencé par la substitution des mots « souveraineté-association » au mot « indépendance », du mot « égalité » à celui de « liberté », s’est continué par la substitution des mots « prise du pouvoir » à ceux de « lutte de libération nationale », des mots campagne de financement à ceux de formation et de mobilisation politiques, pour finir par la substitution du mot « bénévole » au mot « militant ». Sans oublier la disparition dans le vocabulaire politique des mots « aliénation », « domination » « exploitation », proclamés désuets. »

Indépendance et révolution, indissociablement

Si l’interprétation prédominante de l’Assemblée constituante au sein de Québec solidaire est celle de l’ouverture, du centre, du consensus, un courant souterrain tente de ressurgir à la surface, en replaçant la question nationale à gauche de l’échiquier politique. Bien que la campagne médiatique du parti ait mis l’accent sur le « pays de projets » et le processus constitutionnel, il ne faut pas oublier que le programme « Un pays démocratique et pluriel » commence par la section « Pour un Québec indépendant. » C’est elle qui donne le sens et le principe directeur à l’Assemblée constituante, et non l’inverse. La souveraineté populaire est le moyen que se donnera le Québec pour acquérir son indépendance sociale, culturelle, économique et politique, qui demeure l’ultime objectif du processus.

Cette indépendance totale, qui sera l’aboutissement d’une lutte de libération nationale, implique une rupture avec la structure de domination économique et politique actuelle. Un nouveau projet de société ne peut émerger sans la réappropriation des outils nécessaires à sa réalisation. « Le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui seraient nécessaires aux changements profonds proposés par Québec solidaire. Le peuple québécois a donc à choisir entre la soumission à la règle de la majorité canadienne impliquant subordination et uniformité politique, et l’exercice plein et entier de la souveraineté politique. La question nationale est ainsi réduite à sa plus simple expression: être une nation minoritaire dans l’État canadien ou une nation qui décide de toutes ses orientations dans un Québec indépendant. »

C’est pourquoi l’indépendance n’est pas qu’une option facultative de l’Assemblée constituante, mais une partie constitutive de celle-ci, permettant de déployer une pleine émancipation sociale à travers l’exercice de la souveraineté populaire. L’interprétation « ouverte » à une constitution simplement provinciale ne permet pas de réaliser cette finalité. Comme le dit encore une fois Andrée Ferretti :

« Ce détournement du projet de libération nationale au profit d’un réaménagement des relations entre le Canada et le Québec, basé sur un partage différent des pouvoirs, était fondé sur la crainte des élites, tant québécoises que canadiennes, que se produise le changement radical de la société québécoise visé par le mouvement indépendantiste. Car il s’agit bien de cela. Ce n’est pas le peuple qui d’emblée a eu peur de l’indépendance, mais bel et bien tous les détenteurs d’un quelconque pouvoir dans un domaine ou l’autre de notre société. Puisque, aussi bien, le projet d’indépendance du Québec est un projet révolutionnaire en soi, quels que soient les moyens pris pour le réaliser.

L’indépendance du Québec a en effet pour objectif et pour conséquence le renversement de la structure des pouvoirs du Canada tels qu’ils s’exercent d’un océan à l’autre, au service de sa classe dominante, y compris de sa faction québécoise, nationaliste comme fédéraliste, les intérêts des uns et des autres étant intégrés. L’indépendance du Québec vise la dissolution radicale de la Loi constitutionnelle canadienne qui fournit à cette classe les assises juridiques, politiques et institutionnelles nécessaires au développement et à la défense de ses intérêts particuliers, tous très largement contraires aux besoins et aspirations de la nation québécoise, indissociablement liés à son identité, son histoire et sa culture. »

vendredi 8 mars 2013

Où s’en va Québec solidaire?


Proposition de précision du mandat de l’Assemblée constituante

Lors de son congrès du 3-4-5 mai 2013, Québec solidaire aura une chance historique de préciser sa position sur son projet de pays. Nul doute encore que Québec solidaire soit souverainiste : « nous considérons comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays, mais aussi parce qu’elle est nécessaire à la préservation et au développement d’une nation unique par son histoire et sa culture en constante évolution, autour d’une langue commune qu’est le français. » Bien que certains continuent de rétorquer que la réelle priorité de Québec solidaire demeure la gauche et que son projet ne passe pas nécessairement par l’indépendance, ceux-ci oublient deux éléments fondamentaux du programme :

1) « Si certains changements proposés par Québec solidaire peuvent et devraient d’ores et déjà se faire dans le cadre constitutionnel actuel, l’intégralité de son projet de société ne pourra se réaliser que si le Québec dispose de l’ensemble des pouvoirs aux plans politique, économique et culturel. »

2) « Le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui seraient nécessaires aux changements profonds proposés par Québec solidaire. Le peuple québécois a donc à choisir entre la soumission à la règle de la majorité canadienne impliquant subordination et uniformité politique, et l’exercice plein et entier de la souveraineté politique. La question nationale est ainsi réduite à sa plus simple expression: être une nation minoritaire dans l’État canadien ou une nation qui décide de toutes ses orientations dans un Québec indépendant. »

Une ou des propositions?

L’Assemblée constituante constitue le cœur de la stratégie solidaire, mais sa formulation actuelle demeure floue à de nombreux égards : « [L’Assemblée constituante] aura la responsabilité et les moyens de mener un vaste processus de démocratie participative visant à consulter la population du Québec sur son avenir politique et constitutionnel, de même que sur les valeurs et les institutions politiques qui y sont rattachées. En fonction des résultats de la démarche - qui devront être connus de la population et dont l’Assemblée constituante aura l’obligation de tenir compte - cette dernière élaborera un projet de constitution. Les propositions issues de l’Assemblée constituante, y compris celle sur le statut politique du Québec, seront soumises au choix de la population par référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Dans cet extrait, il n’est pas certain si une ou plusieurs propositions issues de l’Assemblée constituante seront soumises au référendum. L’hypothèse de la double question (l’une portant sur la constitution, l’autre sur le statut politique du Québec) est notamment soutenue par Amir Khadir dans une capsule vidéo de la campagne Pays de projets, mais aucun élément du programme ne mentionne cette double question ! Il s’agit davantage d’une interprétation particulière relative à une formulation vague du programme.

Par ailleurs, la séparation des deux questions au référendum est incohérente. En premier lieu, il serait possible que la population vote pour l’indépendance et contre la constitution, ce qui aurait l’avantage de décréter la souveraineté du Québec, mais l’inconvénient de jeter un doute sur la stratégie participative qui aura permis d’élaborer démocratiquement la constitution. Faudrait-il alors faire une nouvelle Assemblée constituante, ou encore réécrire une nouvelle constitution par des experts et la resoumettre par référendum avec le risque qu’elle ne soit pas adoptée encore une fois, ou encore l’imposer simplement par l’Assemblée nationale?

En second lieu, il serait possible que le peuple vote pour la constitution mais contre l’indépendance, ce qui nous mettrait dans l’embarras. La constitution pourrait être bien intéressante, mais elle n’aurait pas l’autorité suprême que lui confèrerait la souveraineté du Québec. Elle resterait donc subordonnée à la constitution canadienne, le projet de pays devenant alors un vain mot. Le programme de Québec solidaire resterait inapplicable en bonne partie, et des institutions républicaines hypothétiques ne pourraient être effectives dans le cadre fédéral canadien.

C’est pourquoi la meilleure hypothèse consiste à préciser que l’Assemblée constituante débouchera sur une seule proposition portant sur l’avenir constitutionnel et politique du Québec ; exit la double question. Il serait donc préférable de reformuler la plateforme électorale à partir de la proposition originale adoptée lors du congrès de 2009 : « En fonction des résultats de sa démarche, qui devront être connus de la population et dont l'assemblée constituante aura l'obligation de tenir compte, cette dernière élaborera un projet de constitution. Le projet de constitution, qui contiendra une proposition sur le statut politique du Québec sera soumis à la population québécoise par voie de référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Une déclaration de souveraineté ?

Cependant, rien ne garantit pour l’instant que l’Assemblée constituante débouchera sur une déclaration de souveraineté. Le talon d’Achille du programme de Québec solidaire apparaît clairement dans ce passage : « Tout au long de la démarche d’Assemblée constituante, Québec solidaire défendra son option sur la question nationale québécoise et fera la promotion de ses valeurs écologistes, égalitaires, féministes, démocratiques, pluralistes et pacifistes, sans toutefois présumer de l’issue des débats. » Cette parenthèse lourde de sens s’est notamment manifestée dans l’espace public par la sortie bien connue d’Amir Khadir, où il affirma « l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement ». Il ne s’agit pas d’une erreur du porte-parole, mais d’une ambiguïté centrale issue du programme.

Ainsi, le statut politique de la constitution pourrait se limiter à l’affirmation d’une autonomie élargie du Québec au sein du Canada. Or, cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle « le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond ». Pour résoudre ce problème, il est proposé que la plateforme électorale soit modifiée comme suit : « Québec solidaire reconnaît au peuple du Québec le droit de choisir ses institutions et son statut politique. À cet effet, il enclenchera dès son accession au pouvoir une démarche d’assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain. » 

Première objection

La première objection à cette proposition consiste à dire qu’elle restreint a priori la portée de l’Assemblée constituante, qui doit demeurer inclusive et démocratique. Donner le mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain consisterait à « imposer », en quelque sorte, le résultat de ce qui devrait émerger naturellement du processus délibératif. Le débat constitutionnel resterait ouvert, au prix d’une fermeture sur la question de l’avenir politique du Québec, qui serait décidée à l’avance.

Cependant, le fait de donner comme mandat à l'Assemblée constituante de rédiger une constitution d'un Québec souverain ne présente pas de problème démocratique, car sa fonction première est de rédiger une constitution et de représenter une stratégie d'accession à l'indépendance. Autrement dit, on ne discute pas pour le simple plaisir de discuter, mais pour mobiliser la population dans un processus participatif de libération nationale. De plus, cette proposition n'exclut pas qu'un deuxième projet, comme la constitution d'un Québec autonome au sein du Canada, ne pourrait pas aussi être rédigée. L'important est de garantir que l'option souverainiste ne soit pas exclue du résultat de l'Assemblée constituante, ce qui est un strict minimum.

Deuxième objection

Derrière l’objection « démocratique » se cache une objection « stratégique » : les fédéralistes et les indécis se sentiraient exclus par avance, et jetteraient un discrédit à cette Assemblée constituante qui serait largement noyautée par les souverainistes purs et durs. Or, la composition de cette assemblée permettrait de mitiger cet effet, car elle « sera élue au suffrage universel, composée d’un nombre égal de femmes et d’hommes et représentative des tendances et des différents milieux socioéconomiques et de la diversité culturelle présents dans la société québécoise ». Bien que la proportion exacte de souverainistes, autonomistes et fédéralistes ne soit pas déterminée d’avance, nous pouvons envisager que l’assemblée ne sera pas monolithique et que plusieurs voix divergentes voudront se faire entendre.

Par ailleurs, même dans le cas où il n’y aurait pas de mandat explicite de rédiger la constitution d’un Québec souverain, la seule possibilité de la souveraineté et la nature même de l’Assemblée constituante engendrera d’importants débats au sein de la société civile. Le Canada, certaines élites économiques et politiques et une foule de chroniqueurs déverseront leur fiel contre ce processus de souveraineté populaire, car il présentera une menace réelle contre le statu quo. Une Assemblée constituante représente déjà une rupture dans l’ordre constitutionnel canadien, et sa mise en place soulèvera les passions dans l’ensemble du Québec et ailleurs. Si on ne peut éviter la contestation au sein de la société civile, le processus délibératif orienté vers le consensus permettra d’aboutir à la rédaction d’une constitution, qui sera adoptée ou rejetée par la volonté populaire lors du référendum.

Troisième objection

Finalement, une objection « électoraliste » consiste à dire que si le parti affiche une posture indépendantiste plus affirmée, alors il risque de perdre des électeurs auprès des minorités culturelles et anglophones, de la gauche non-souverainiste, des indécis(e)s sur la question nationale, et d’autres groupes méfiants du nationalisme traditionnel. La réponse la plus simple consiste à reprendre l’argument de Pierre Bourgault dans son célèbre discours de 1971, « Sécurité, solidarité et respectabilité » :

« L’indépendance que nous tentons de faire, ce n’est pas la sécurité; le statu quo, c’est la sécurité. La démocratie tel que nous tentons de la vivre, ce n’est pas la sécurité; c’est dur, c’est agaçant, c’est harassant par moments, mais c’est ça aussi un parti qui se veut libre. Je pense que nous avons le devoir de ne rien cacher à la population de ce que nous croyons nécessaire et vrai. Combien de fois reculons-nous devant l’exposé de notre programme parce que nous nous disons que tel ou tel article peut effrayer les gens. À nous de convaincre les gens que cela est nécessaire et vrai. À quoi nous servirait-il d’avoir les meilleures solutions si toujours nous les retenons pour nous-mêmes de crainte d’effrayer quelques électeurs ici ou là. À quoi nous sert-il d’avoir le meilleur parti si nous n’osons pas, partout à travers le Québec, nous présenter tels que nous sommes, sans toujours cacher des idées ou des hommes dans les garde-robes. »

Dans cet esprit, la critique que Québec solidaire porte à l’endroit d’Option nationale, à savoir que ce dernier opte pour la liberté sur la question nationale mais la sécurité sur la question sociale, peut être renversée comme suit : Québec solidaire opte pour la liberté en matière de justice sociale, mais choisit la sécurité quand il vient le temps de parler d’indépendance. Pourquoi cette dissociation de personnalité, alors qu’il serait possible de devenir le parti plus dynamique à la fois sur le terrain de l’émancipation sociale et de la lutte pour la libération nationale ?

Finalement, l’objection électoraliste se retourne contre elle-même : les quelques électeurs perdus chez les fédéralistes et les indécis seraient largement compensés par les nombreux souverainistes déçus par le Parti québécois. Le score électoral le plus fort de Québec solidaire reste dans la région majoritairement francophone du centre et de l’est de l’île de Montréal (Gouin, Plateau-Mont-Royal, Sainte-Marie-Saint-Jacques, Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion, Rosemont), et il serait regrettable de garder une vision « montréalocentriste » de l’indépendance au détriment des régions, où le Parti québécois continue de marquer des points faute d’une opposition convaincante et d’une posture souverainiste affirmée.

Une suggestion républicaine

Par ailleurs, la nouvelle mouture de la plateforme électorale pourrait être modifiée comme suit : « Tout au long de cette démarche, Québec solidaire défendra son projet de pays, la République du Québec, tout en garantissant l’indépendance de l’Assemblée constituante ». Ce petit ajout permettrait de préciser le sens du projet de pays, tout en faisant un clin d’œil à Option nationale qui a rejeté la perspective républicaine lors de son congrès, en raison d’un imbroglio et d’un souci de ne pas imposer la forme institutionnelle du Québec au processus constitutionnel.

Québec solidaire possède un double avantage face à son son rival, qui n’a pas réussi à faire adopter la vision républicaine même si elle demeure très populaire auprès des souverainistes. Tout d’abord, il est précisé que le gouvernement solidaire pourra défendre sa position sans miner l’autonomie de l’Assemblée constituante, qui sera seule à décider de la forme définitive de la constitution. Par ailleurs, bien que plusieurs ignorent pour l’instant que la gauche indépendantiste défende la République, celle-ci fait déjà partie du programme du parti : « Québec solidaire défend un ensemble de grands principes républicains permettant l'expression de la souveraineté populaire. Il les mettra de l'avant lors de la rédaction de la constitution du Québec. Ces principes constitutionnels aborderont tant les chartes des droits sociaux et individuels que les modalités d'organisation des institutions politiques, le type de laïcité que nous voulons, la démocratie citoyenne et participative, le modèle d'intégration privilégié, l'importance des biens publics et la décentralisation des pouvoirs. La république que nous défendons sera le dépositaire de l'intérêt général et reposera sur une démocratie qui rejette toute forme de concentration du pouvoir vidant de sa substance la souveraineté populaire. »

Un nouvel élan indépendantiste

Québec solidaire, qui se retrouve actuellement derrière Option nationale dans l’esprit des partisans de l’indépendance, se retrouverait alors en première place. En prenant l’analogie de la Formule 1, le parti de gauche indépendantiste (voiture blanche) aura alors dépassé le parti nationaliste (voiture bleue) par un phénomène d’aspiration.

De plus, Option nationale ne cesse de répéter qu’il place « la cause avant la partisannerie », et qu’il entreprendra des rapprochements sérieux avec tout parti aussi clair que lui sur la souveraineté. Bien qu’il souhaite rapatrier les lois, impôts et traités à l’Assemblée nationale, ceci ne pourra se faire avant l’adoption de la constitution par référendum. Dans le point 1.4. de son programme, Option nationale souligne qu’il : « fera en sorte qu’une Constitution du Québec soit écrite avec la plus grande participation possible de la population du Québec, accompagnée d’experts en la matière, et qu’elle soit ultimement entérinée par le biais d’un référendum. Cette Constitution contiendra notamment une déclaration de souveraineté du Québec ».

Si la nouvelle plateforme de Québec solidaire est adoptée comme suit lors du congrès du 3-4-5 mai 2013, la gauche indépendantiste aura clarifié sa stratégie de mobilisation populaire, l’Assemblée constituante, en devenant ainsi le principal véhicule de la libération nationale du Québec. Option nationale ne pourra plus se distinguer substantiellement sur la question de l’indépendance, et son existence sera remise en question. Ce parti aura alors le choix 1) de continuer en faisant comme si rien ne s’était passé ; 2) rejoindre le Parti québécois, « irréformable sur le fond » mais permettant de préserver une prétendue coalition gauche-droite ; 3) ou accepter la proposition suivante en venant bâtir la principale alternative politique à l’alternance et au statu quo :

« Québec solidaire reconnaît au peuple du Québec le droit de choisir ses institutions et son statut politique. A cet effet, il enclenchera dès son accession au pouvoir une démarche d’assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution d’un Québec souverain. Tout au long de cette démarche, Québec solidaire défendra son projet de pays, la République du Québec, tout en garantissant l’indépendance de l’Assemblée constituante. Cette Assemblée :
A. sera élue au suffrage universel, composée d’un nombre égal de femmes et d’hommes et représentative des tendances et des différents milieux socioéconomiques et de la diversité culturelle présents dans la société québécoise;
B.mènera un vaste processus de démocratie participative pour consulter la population du Québec sur :
i.               les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune ;
ii.              le statut politique du Québec ;
iii.            la définition de ses institutions ;
iv.            les pouvoirs, les responsabilités et les ressources qui leur sont délégués ;
C. En fonction des résultats de sa démarche, qui devront être connus de la population et dont l'assemblée constituante aura l'obligation de tenir compte, cette dernière élaborera un projet de constitution. Le projet de constitution, qui contiendra une proposition sur le statut politique du Québec sera soumis à la population québécoise par voie de référendum, ce qui marquera la fin du processus. »

Chères solidaires, chers solidaires, si vous avez à cœur l’indépendance du Québec, si vous croyez que la souveraineté n’est pas qu’un moyen de réaliser un projet de société, mais l’objectif premier d’une lutte de libération nationale qui doit être liée à un projet d’émancipation sociale, alors adoptez cette proposition dans votre prochaine assemblée générale locale en vue du prochain congrès. Québec solidaire doit dépasser le souverainisme officiel et renouer avec ses racines indépendantistes, opter pour la liberté au sens de Bourgault, donner une « égale considération morale » à la gauche et à l’indépendance, en faisant de cette Assemblée constituante renouvelée un élément structurant de son programme et de sa campagne politique. 

Ébauche d’une théorie critique des vertus démocratiques

1. La démocratie inclut cinq grandes dimensions complémentaires et interdépendantes: la participation, la délibération, la représentation, l...