mercredi 3 septembre 2014

Vers une réforme radicale de la fiscalité municipale québécoise

Dans un contexte de crise sociale, économique et écologique sans précédent, de précarisation des finances publiques municipales, d’élargissement des responsabilités des villes en matière d’aménagement du territoire, développement local, transport collectif et services à la population, le Québec a un urgent besoin d’une réforme radicale de la fiscalité municipale. Dans son Livre blanc municipal (2012)[1], l’Union des municipalités du Québec (UMQ) fait remonter l’origine de l’impasse fiscale à la réforme de 1980 :

« Préparée de longue haleine, la réforme de 1980 a eu le plus d’impact non seulement sur le financement des services municipaux, mais également sur la démocratie municipale et sur l’aménagement et l’urbanisme. Sur le plan fiscal, l’objectif fondamental visait le renforcement de l’autonomie locale et la revalorisation du pouvoir local. Dans cet esprit, les municipalités ont eu accès à la quasi-exclusivité du champ foncier pour tirer des revenus autonomes sûrs et prévisibles; en contrepartie, les transferts gouvernementaux issus de la taxe de vente allaient être éliminés. Dès ses premières années, cette réforme a eu des effets positifs. La situation financière des municipalités s’est améliorée au moment où la récession du début des années 80 se déclarait. Toutefois, la solution trouvée a eu tôt fait de se transformer en nouveau problème. Rapidement s’est installée une dépendance quasi totale des municipalités québécoises envers l’impôt foncier. Celles-ci évoluaient ainsi à contre-courant des municipalités américaines et ontariennes qui voyaient, au même moment, leurs sources de revenus se diversifier.
Dans une telle situation, le poids financier des nouvelles responsabilités confiées aux municipalités, que ce soit en raison d’un retrait du gouvernement ou de besoins nouveaux de la population, se portait donc essentiellement sur les épaules des propriétaires immobiliers et résidentiels. Ce manque de diversification des sources de revenus participe à la pression pour l’étalement urbain. La planification et la gestion de l’espace urbain sont en effet fortement influencées par la structure fiscale majoritairement axée sur l’impôt foncier. En d’autres mots, pour avoir plus de revenus, une ville n’a d’autre choix que d’étendre son périmètre urbain. En somme, le bilan positif des premières années de cette réforme n’a pas résisté au passage des ans. L’impôt foncier ne peut plus générer à lui seul les revenus nécessaires au financement de l’ensemble des responsabilités des municipalités d’aujourd’hui. Ce financement à robinet unique est d’autre part mal adapté aux mutations de l’économie et à l’aménagement durable du territoire.
Si cette réforme n’a pas apporté de solution durable à la question du financement des municipalités, elle aura aussi laissé en plan la notion d’autonomie des municipalités. Le mot lui-même aura été plus d’une fois entendu, mais dans les faits, la tension persiste entre la conception traditionnelle de la municipalité comme administration dispensatrice de services et celle plus contemporaine d’un palier de gouvernement largement autonome. Certes, une dynamique de partenariat s’est installée entre les municipalités et le gouvernement. Mais beaucoup de progrès doit être accompli, le gouvernement n’hésitant pas à « enrégimenter » les municipalités dans l’atteinte de ses propres objectifs. »[2]
L’impact immédiat de la réforme de 1980 sur les finances municipales est marquant ; en l’espace de deux ans, entre 1979 et 1981, la réforme a transformé la structure des revenus des municipalités : la part des taxes foncières passe de 59,4 % à 70,2 % ; la part de la taxe de vente et autres transferts inconditionnels 
chute de 18,3 % à 0,9 % ; la part des compensations tenant lieu de taxes s’améliore 
de 4,4 % à 10,8 %.

Comment doit-on adapter la fiscalité municipale aux défis du XXIe siècle ? Sur ce point, l’UMQ suggère des réformes correctrices visant à mitiger les symptômes plutôt qu’à remédier aux causes de la crise actuelle, proposant même des solutions clairement anti-progressistes. Sur le plan du travail, le Livre blanc municipal propose un meilleur contrôle des dépenses municipales en freinant l’augmentation des coûts de rémunération (salaires), dénonçant le rapport de forces favorable aux travailleurs dans les négociations collectives, assurant un autre partage des risques entre employeurs et employés pour contrer le déficit des régimes de retraite. Par ailleurs, l’UMQ privilégie les mécanismes de marché comme les gains d’efficience, une gestion contractuelle assurant la libre concurrence, le principe de l’utilisateur-payeur, l’optimisation administrative par la tarification des services publics et la responsabilisation des citoyens[3].

La tentative de limiter la dépendance à la taxe foncière ne conduit pas à la remise en question de l’inégale répartition de la richesse, mais à la proposition d’un « coffre à outil fiscal » plus flexible et diversifié, permettant d’aller chercher de nouveaux revenus par des redevances de développement, la modulation de la taxe foncière, une taxe sur le carbone, la tarification à l’unité de l’eau, etc. L’interprétation du principe « d’autonomie fiscale » des municipalités reste inchangée, même si l’UMQ réclame le remboursement de la TVQ par l’État du Québec, une part des retombées fiscales générées par la croissance économique, de nouveaux investissements en transport et infrastructures par les deux paliers de gouvernement (un enjeu de productivité), et un mécanisme de « redistribution simple » dans les limites de la compétitivité afin d’assurer la création d’un environnement d’affaires favorable aux investissements privés. Cette conception néolibérale, au mieux social-libérale[4], est clairement incompatible avec les principes de justice sociale, et n’améliorera même pas la situation financière des municipalités à court, moyen et long terme. Il ne s’agit ici pas de choisir entre équité et efficacité, entre davantage de redistribution ou le libre marché, mais de revoir la structure de financement et la fiscalité de l’État québécois, c’est-à-dire le partage des pouvoirs et des ressources entre l’échelle nationale et municipale, dans une perspective de transformation sociale.

Une réforme radicale

La principale manière de réduire la précarité financière des municipalités tout en empêchant la privatisation et la tarification des services publics est de limiter la dépendance à la taxe foncière, c’est-à-dire de réduire la proportion de cette source de revenus dans l’assiette fiscale de la ville. Cela implique que l’État doive devenir le principal contribuable des municipalités québécoises. Or, une plus grande intervention de l’État dans le financement des collectivités territoriales ne conduit-elle pas à une dépendance accrue de celles-ci et une plus forte centralisation administrative ? Si nous prenons l’exemple de la France, « l’article 72-2 de la Constitution précise le contenu de l’autonomie financière des collectivités :
- les collectivités bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement ;
- elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures et la loi peut les autoriser, dans certaines limites, à en fixer l’assiette et le taux ;
- les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ;
- enfin, tout nouveau transfert de compétences doit s’accompagner de l’attribution de ressources équivalentes à celles consacrées à l’exercice de la compétence transférée par l’État. »[5]

Si le principe d’autonomie financière peut être interprété comme le fait que le financement des municipalités repose principalement sur des sources de revenus autonomes (version québécoise), il peut également signifier que la municipalité a le droit de disposer de ressources nécessaires à sa libre administration (version européenne). En effet, il ne s’agit pas d’abolir la taxe foncière ou d’autres revenus autonomes, mais d’assurer que les gouvernementaux locaux ne soient pas dépendants des investissements privés, des promoteurs immobiliers et d’une course à la croissance pour assurer leur survie économique. Une décentralisation des ressources de l’État, inspirée du modèle français ou d’autres pays européens comme les Pays-Bas, où la majorité des revenus de la ville proviennent du gouvernement central, est sans doute la meilleure façon d’assurer une fiscalité municipale juste, efficace et écologique.

Par exemple, les recettes de l’ensemble des collectivités territoriales françaises sont réparties de la manière suivante[6] : 60% pour les communes, 30% pour les départements, et 10% pour les régions. La majeure partie des ressources des collectivités territoriales proviennent des taxes et impôts (52,2%), que ce soit par la fiscalité directe (31,6%) ou indirecte (20,6%). D’une part, la fiscalité directe est principalement composée par la taxe d’habitation (payée par les particuliers et les entreprises), la taxe sur le foncier bâti (acquittée par les propriétaires d’un terrain), la taxe sur le foncier non bâti et la taxe professionnelle payée par les entreprises. D’autre part, la fiscalité indirecte peut prendre la forme d’une taxe locale d’équipement, un versement pour dépassement du plafond légal de densité, un versement destiné aux transports en commun, une taxe de séjour, une taxe sur la publicité, les jeux, les remontées mécaniques, etc. Le reste des ressources des collectivités territoriales françaises provient des emprunts (9,7%), des recettes tarifaires et fonds structurels européens (8,2%), et surtout des transferts et concours de l’État (29,8%).

En comparaison, les ressources des municipalités locales du Québec sont réparties de la manière suivante[7] : taxes foncières (49%), vente de biens et services (12%), tarification fiscale (8%), paiements tenant lieu de taxes (4%), autres revenus de source locale (10%) et transferts gouvernementaux (17%). Ainsi, 83% des revenus proviennent de la fiscalité locale directe ou indirecte, et seulement une infime partie du budget est comblée par les paliers supérieurs de gouvernement. Cela est d’autant plus grave que les principes de la fiscalité municipale québécoise ont une signification étriquée par une logique comptable :

« L’autonomie financière : le financement des municipalités repose principalement sur des sources de revenus autonomes et elles ont la latitude de déterminer l’utilisation de ces sources à l’intérieur des balises fixées par la Loi.
La représentativité : le pouvoir d’imposer des taxes est réservé aux instances élues directement par la population, en l’occurrence les municipalités locales.
La neutralité : la fiscalité municipale doit avoir le moins d’effet possible
sur les choix des agents économiques.
La simplicité et la transparence : le système fiscal municipal doit être aussi simple à comprendre et à appliquer que possible, autant pour les municipalités que pour le contribuable.
L’équité : équité horizontale : ce principe trouve deux applications :
♦  les contribuables d’une même municipalité paient le même montant de taxes lorsque leur assiette de taxation est la même;
♦  chaque contribuable contribue au coût des services en fonction des bénéfices qu’il en reçoit, dans la mesure du possible.
Équité verticale : dans le contexte où la redistribution de la richesse ne fait pas partie du mandat des municipalités, le critère d’équité verticale n’est pas pertinent à la fiscalité municipale. »[8]

En examinant de plus près ces différents critères, ceux-ci s’avèrent contre-productifs au sens où ils amènent des conséquences contraires aux objectifs escomptés. Par exemple, le principe d’autonomie financière accroît la dépendance économique des municipalités vis-à-vis la taxe foncière et les intérêts privés ; le critère de représentativité met en évidence le fait que les municipalités régionales de comté, les communautés métropolitaines, les régies intermunicipales et les organismes responsables du transport en commun ne sont pas représentatifs et dépendent des quotes-parts provenant des municipalités locales ; le principe de neutralité témoigne d’une partialité en faveur des entreprises ; la simplicité se mue en simplisme en écartant les particularités locales et les inégalités entre municipalités ; le principe d’équité horizontale privilégie une forme de taxe régressive (flat tax) et le principe d’utilisateur-payeur qui sont directement défavorables aux plus démunis ; le principe de redistribution est délibérément écarté, la justice sociale et la démocratie étant du même coup considérées comme des valeurs morales extérieures à la gestion technique et dépolitisée de la fiscalité municipale.

La seule manière de changer substantiellement le régime fiscal des municipalités québécoises est d’adopter une autre politique de la ville basée sur de nouveaux principes, en reconsidérant le rôle de l’État qui doit jouer un rôle central dans la redistribution de la richesse entre les riches et les pauvres, les entreprises et les citoyens, les municipalités les plus fortunées et les plus désavantagées. Cette réforme en profondeur des ressources financières des collectivités locales ne doit pas se faire au détriment de la démocratie, et éviter toute forme de centralisation qui aggraverait la dépendance des municipalités. La consolidation de l’État est-elle compatible avec l’auto-gouvernement des villes, des villages et des régions ?

En 2002, le Premier ministre français proposa une politique visant à bâtir une « République des proximités, unitaire et décentralisée ». Au-delà des réussites et des échecs de cette réforme, qu’il ne s’agit pas ici de calquer mais d’illustrer les potentialités, il semble nécessaire d’articuler un principe de redistribution et de réciprocité, d’associer l’État et la société civile, l’échelle nationale et le gouvernement municipal, afin que le premier terme de chaque couple d’opposés soit au service du deuxième. Les municipalités ne pourront pas lutter efficacement contre les forces du marché et de ses effets négatifs (précarité financière, étalement urbain, pauvreté, spéculation immobilière, privatisation des services publics) sans le soutien actif de l’État, qui de son côté ne regagnera sa légitimité qu’en favorisant la décentralisation, la démocratisation, l’autonomie locale et l’émergence d’un réel pouvoir citoyen.

Les modalités exactes de la réforme fiscale, à savoir la proportion que doit occuper la taxe foncière et les transferts gouvernementaux dans l’assiette fiscale de la municipalité, restent à discuter. L’exemple de la France (50% pour les revenus locaux, 40% pour les transferts de l’État, 10% d’emprunt) peut être contrasté par la fiscalité municipale des Pays-Bas, dont seulement 5% des ressources sont issues des taxes locales, malgré le fait que les municipalités administrent plus du tiers des dépenses publiques de l’État[9]. Somme toute, cette politique de la ville devra se faire par une analyse attentive du contexte québécois à l’aune des principes de justice sociale, de démocratie et d'écologie, et ce dans une perspective d'indépendance afin de bâtir une République décentralisée et solidaire.


[1] Livre blanc municipal. L’avenir a un lieu, Union des municipalités du Québec, 2012
[2] Ibid., p.13
[3] Pour la réforme fiscale et financière proposée par l’Union des municipalités du Québec, voir Le livre blanc muncipal, p.44-57
[4] Le social-libéralisme, ou Troisième voie, est une idéologie politique promue par les gouvernements de Tony Blair et Bill Clinton et visant une voie moyenne entre la social-démocratie et le néolibéralisme. Cette perspective fait la promotion des mécanismes de marché couplés à des politiques sociales et environnementales, la bonne gouvernance, la croissance verte, etc.
[7] Le financement et la fiscalité des organismes municipaux au Québec, Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, 2013, p.12
[8] Le financement et la fiscalité des organismes municipaux au Québec, Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, 2013, p.3-4
[9] Dr. Hans de Groot, Financial autonomy of local and regional government : recent developments in Netherlands, paper for the Conference : Innovation for Good Local and Regional Governance – A European Challenge, Enschede, Netherlands, 2-3 april 2009

lundi 28 juillet 2014

Comment le Big Shift permet de repenser la question canadienne


Une mystérieuse mutation

Les progressistes, qu’ils soient fédéralistes ou souverainistes, constatent à leur grand regret le virage conservateur du Canada depuis l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper en 2006. Huit ans plus tard, ce changement de cap nous laisse encore pantois ; tout se passe comme si nous ne pouvions pas renoncer à l’idéal canadien, au mythe d’un grand pays bilingue, pacifique, ouvert à la diversité, soucieux de l’environnement, mariant habilement équité et efficacité. Ce grand récit, imprégné profondément dans notre imaginaire collectif, évoque en nous un sentiment confus de nostalgie, d’incompréhension et d’indignation face au renversement des valeurs qui avaient jadis fondé notre représentation de l’identité canadienne.

« Le Canada a-t-il troqué les Casques bleus, la coopération et la culture pour le pétrole, les coups de force dans l’Arctique et un rôle de mauvais garçon dans les sommets internationaux ? », s’interrogent les auteurs du dossier « Le Canada dont nous ne voulons pas » du dernier numéro de la revue Nouveau Projet. La réponse est évidemment oui, mais une question plus fondamentale demeure toujours en suspens : pourquoi ? Malheureusement, la grande majorité de l’intelligentsia libérale, néo-démocrate, souverainiste et solidaire semble incapable d’expliquer le processus sociohistorique ayant mené à cette grande transformation économique, idéologique, culturelle et géopolitique. Nous nous contentons trop souvent de constater les dégâts du gouvernement Harper, de décrire les effets de surface de cette mutation, au lieu de chercher attentivement les causes de celle-ci. Cette attitude mène la « bonne conscience » à condamner moralement les politiques publiques conservatrices, à renforcer sa croyance en la force irrésistible du progrès, à rejeter l’irrationalité des masses devant l’évidence de la crise climatique et la montée des inégalités économiques.

Néanmoins, l’ancienne vision progressiste du Canada ne colle plus à la réalité sociale, et devient de plus en plus impuissante face aux forces foudroyantes de l’économie pétrolière, la militarisation, le démantèlement de l’État-providence et la répression systématique des contre-pouvoirs scientifiques, écologistes et citoyens. Notre analyse politique de cette situation historique est cruciale, car elle déterminera en bonne partie les conclusions pratiques et stratégiques que nous devrons tirer pour changer cet état de choses. Les politologues David Morin et Stéphane Roussel, analysant la politique étrangère du gouvernement canadien, dégagent à ce titre deux perspectives divergentes : la première considère le virage conservateur comme un phénomène conjoncturel, tandis que la seconde suggère une transformation structurelle. La nouvelle question canadienne peut être résumée dans sa plus simple expression : Harper est-il la cause première, ou plutôt l’expression d’un changement plus profond ?

« D’une part, si l’on estime que la politique étrangère canadienne actuelle reflète la vision du monde de l’équipe au pouvoir, ou encore qu’elle est d’abord un instrument dont se sert le Parti conservateur pour affermir sa base électorale, alors il est possible de conclure qu’un changement de gouvernement entraînera un changement de politique étrangère et que le Canada pourrait revenir à un comportement international plus conforme à ce qu’il était jusqu’en 2006.

Mais convenir à l’inverse que la politique étrangère actuelle du Canada n’est que la conséquence d’une lame de fond économique, démographique ou idéologique mène plutôt à conclure que de tels changements sont là pour de bon, et que les citoyens canadiens qui ne se reconnaissent plus dans le rôle joué par leur pays sur la scène internationale devront s’y faire. »[1]

Tout nous porte à croire que la seconde interprétation est plus proche de la réalité, ou du moins qu’elle ouvre une piste de recherche qui sera plus fructueuse que les condamnations superficielles des méchants conservateurs. « Ne pas rire, ni se lamenter, ni haïr, mais comprendre », disait Spinoza. De plus, une fine compréhension de la situation ne peut se limiter à une critique extérieure de l’adversaire, car elle reste trop souvent ancrée sur des préjugés qui évacuent des ressorts essentiels de l’action humaine. C’est pourquoi il semble plus prometteur d’investiguer la stratégie de l’ennemi de l’intérieur. Pour le meilleur et pour le pire, la droite a lu Machiavel et Gramsci, et la gauche devra relire l’Art de la guerre de Sun Tzu. « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connaît mais ne connaît pas l'ennemi sera victorieux une fois sur deux. Qui ne connaît ni son ennemi ni lui-même est toujours en danger. »

Le Big Shift

Pour bien comprendre la mentalité conservatrice, il faut lire l’influent livre The Big Shift (2013) co-écrit par John Ibbitson et Darrell Bricker. Malgré l’allégeance politique douteuse des auteurs et le ton triomphaliste qui célèbre les politiques de Harper, la marginalisation du Québec et le démantèlement de la CBC/Radio-Canada, il est tout à fait crucial de connaître la conception du monde dominante et les mécanismes sociaux sur lesquels elle s’appuie pour diriger la lutte idéologique dans la société civile. L’analyse qui suit n’est pas un compte-rendu objectif de leur propos, mais une lecture critique de leurs idées réfléchies à travers un prisme gramscien.

La thèse principale de leur livre se résume comme suit : depuis la seconde moitié du XXe siècle, le Canada fut dirigé par le « Consensus laurentien » composé par les élites politiques, médiatiques et économiques de Toronto, Ottawa et Montréal. Or, ce groupe a progressivement perdu son influence au profit d’une nouvelle coalition entre l’électorat rural de l’Ouest canadien et les immigrants des banlieues ontariennes. Un des pays les plus consensuels au monde est rapidement devenu polarisé entre l’Est et l’Ouest, les créatifs progressistes et les classes moyennes laborieuses, laissant les anciennes élites ébahies par ce soudain renversement. Une simple lecture des titres des chapitres montre le ton à la fois prophétique et cynique des auteurs qui considèrent que la réalité sociale canadienne a durablement changé.

1.   The Death of the Laurentian Consensus : Why the people who used to matter most don’t anymore
2.     The Great Divide : Conservatives values and the Big Shift
3.     Quebec : The suns sets. The sun might just possibly rise
4.     It’s not ROC Anymore : The Ottawa River Curtain descends
5.     The Wests : Getting used to being in charge
6.     They Don’t Get It : And why they don’t
7.     The Conservatives Century : Why the Tories will rule, and how they’ll be defeated
8.     Not So Fragile : The Canada your mother never knew
9.     The Big Shift Means Business : Is yours ready ?
10. The Decline of the Laurentian Media : Why it doesn’t matter if the press gallery doesn’t like Stephen Harper
11.  Things Will Change (1) : At home
12.  Things Will Change (2) : Abroad
13.  Conclusion : Margin of Error

Si le Parti conservateur a su tirer son épingle du jeu en proposant une idéologie adaptée à sa base électorale émergente, celle-ci procède d’un nouveau contexte démographique marqué par la relocalisation massive de la population canadienne vers l’Ouest et une importante immigration d’origine asiatique qui s’installe dans les banlieues des grandes métropoles. Si on ajoute à cela l’hégémonie du secteur pétrolier et la consolidation d’un modèle de développement basé sur l’exportation des ressources énergétiques, ce shift démographique et économique donnera une longueur d’avance aux forces conservatrices dans les années à venir. Autrement dit, nous n’assistons pas à un simple remaniement de surface, mais à l’apparition d’un nouveau bloc historique, c’est-à-dire à une alliance complexe entre des classes dominantes (liées au secteur pétrolier, minier et financier) et des classes dominées (populations rurales, classes moyennes immigrantes), unifiées par une même conception du monde. Cette base sociale et idéologique perdurera à travers le temps malgré le changement des partis au pouvoir. Pour le meilleur et pour le pire, le Big Shift est là pour rester.

Cette mutation historique succède à l’ancienne hégémonie des élites laurentiennes ; professeurs d’université, grands politiciens, figures médiatiques, artistes des grandes villes québécoises et ontariennes formaient alors un petit groupe sélect qui élaborèrent une conception libérale et progressiste du monde à travers le contrôle des leviers culturels et politiques à Québec, Montréal et Ottawa. Malgré les contradictions du Consensus laurentien, qui reposait sur une unité fragile entre les intérêts canadiens et la volonté d’accommoder les aspirations du peuple québécois dans certaines limites, cette alliance permettait tout de même d’assurer le leadership moral et intellectuel de l’Est sur l’Ouest, le bassin versant du Saint-Laurent représentant le pôle de gravité des grandes décisions politiques et économiques du grand rêve canadien.

La question du Québec occupait alors une place centrale dans l’espace public. La contradiction principale s’exprimait à travers les joutes constitutionnelles et idéologiques entre fédéralistes et souverainistes, tandis que la question sociale restait en arrière-plan sous la forme d’un consensus implicite en faveur de l’État-providence. À cette époque, le Canada et le Québec étaient tous deux largement « progressistes », tant sur le plan de la diplomatie internationale, la redistribution, l’ouverture sur le monde, etc. Or, l’effondrement du Consensus laurentien sur lequel reposait l’hégémonie libérale contribua également à la perte d’influence du mouvement souverainiste qui perdit son principal adversaire à Ottawa. Nous sommes passés d’un antagonisme dynamique entre l’État canadien et québécois à une sorte d’indifférence mutuelle. Le débat entre multiculturalisme et nationalisme se retrouve en arrière-plan, alors que le consensus progressiste s’effrite et fait revenir à la surface la fracture socio-économique entre l’Est et l’Ouest, la gauche et la droite. L’effondrement soudain du Bloc québécois et le surgissement du NPD au Québec représentent le symptôme de ce réalignement, qui laisse la question nationale en suspens.

Le triomphe des banlieues

Pour expliquer le Big Shift, John Ibbitson et Darrell Bricker se concentrent notamment sur les mutations démographiques et le rôle déterminant de l’urbanisation qui distribue différents groupes sociaux sur le territoire. Si dans les années 1920 50% de la population canadienne résidait dans les villes, 70% habite maintenant dans les grandes régions métropolitaines. Alors que la pression conjointe de l’industrialisation et de l’urbanisation contribua à l’émergence du capitalisme fordiste et de l’État-providence (d’abord au Canada dans les années 1930 et en 1960 au Québec), les années subséquentes furent marquées par un processus de péri-urbanisation (ou de métropolisation) qui relocalisa les nouvelles classes moyennes dans de larges municipalités faiblement peuplées et dépendantes de l’automobile. Le triomphe des banlieues et de la vie privée permit l’accélération du processus de modernisation, l’émiettement des valeurs collectives ainsi que la consolidation de la société de consommation. La jeunesse progressiste des années 1960 et 1970 (baby-boomers) se tourna vers la sécurité économique et le confort matériel, l’épuisement des projets d’émancipation sociale (communisme, social-démocratie) et de libération nationale (indépendance du Québec) laissant largement place au triomphe de la pensée économique, individualiste et sécuritaire.

Néanmoins, cette pensée conservatrice latente ne fut pas « activée » avant le milieu des années 1990, époque où l’idéologie néolibérale se répandit aux quatre coins du globe. Le Consensus laurentien et la conscience nationale (québécoise) occupaient encore largement l’imaginaire collectif, la « superstructure » reflétant encore les grands débats des décennies précédentes. Or, l’infrastructure économique et démographique se modifiait graduellement mais irréversiblement, la pression conjointe de la mondialisation et de l’immigration marginalisant toujours plus la nation québécoise et les peuples autochtones, la population canadienne représentant une grande mosaïque sans unité culturelle réelle. « The Canadien nation ? There is no such thing, and never was. »[2]

L’unité fictive de la nation canadienne fut remplacée par la construction de nouvelles identités collectives et l’émergence d’un antagonisme géographique opposant les strivers et les creatives. Ces catégories sociales floues représentent des marqueurs idéologiques, des idéaux-types sur lesquels s’appuient les conservateurs pour élaborer leur discours et leur stratégie politique. Les premiers désignent les classes moyennes qui travaillent durement pour obtenir une réussite sociale et une sécurité matérielle, tandis que les seconds s’intéressent davantage aux activités culturelles, écologiques et citoyennes. Ce portrait schématique, voire largement réducteur, exprime néanmoins une fracture sociale très visible sur le plan électoral et culturel si nous comparons par exemple des quartiers centraux comme le Plateau-Mont-Royal et Rosemont (bastion de Projet Montréal et Québec solidaire) avec les autres municipalités de la grande région de Montréal (qui votent majoritairement à droite).

« In marketing terms, middle-class suburbanistes are « strivers », upwardly mobile people seeking to own a home in a safe community while they pursue their dreams. They contrast with « creatives », who place a stronger emphasis on community supports, the environment, and international engagement. More likely to vote Liberal or New Democrat, creatives also tend to live downtown, which is where those parties remain strong, at least in English Canada. But in each election since 2004, suburban strivers have increasingly identified with the Conservatives – and immigrants are more likely to be strivers than creatives. »[3]

La force des conservateurs consiste à avoir gagné l’adhésion (conscience ou inconsciente) des couches immigrantes des banlieues ontariennes qui étaient historiquement attachées au Parti libéral du Canada. La réussite économique relative de ces groupes contribue à leur intégration dans le mode de vie américain et l’idéal multiculturel, où chaque personne peut acquérir sa propriété privée et vaquer librement à la poursuite de ses préférences individuelles et communautaires. Si le multiculturalisme fut forgé par les libéraux, ceux-ci ne semblent plus profiter du capital de sympathie des nouveaux arrivants. L’épuisement du PLC, le scandale des commandites et les problèmes de leadership représentent certes différents facteurs de ce phénomène, mais celui-ci se manifeste notamment à l'échelle municipale à Toronto avec le règne de Rob Ford qui incarne à merveille les valeurs conservatrices : taxes faibles pour plaire aux contribuables, assainissement des finances publiques, gros bon sens, etc. Si le populisme de droite est catalysé et renforcé par les élites politiques, c’est d’abord parce qu’il exprime et alimente une mentalité conservatrice largement diffuse dans la population. Il suffit de créer une alliance idéologique entre la région immédiate de la ville-centre (banlieues ontariennes), et les autres régions non-urbaines (de l’Ouest canadien) et de l’opposer à l’attitude snobinarde des étudiants, écologistes, élites médiatiques, artistes et autres fainéants pour consolider les idées de droite dans les classes moyennes et populaires.

L’impasse de la gauche canadienne

Devant ce phénomène de polarisation, où l’idéologie conservatrice s’étend à des couches plus larges de la population, est-il possible de réanimer le Consensus laurentien, l’idéal libéral et progressiste qui avait guidé les institutions politiques canadiennes jusqu’à la fin du XXe siècle ? Autrement dit, le rêve d’une social-démocratie dans l’unité canadienne est-il encore possible ? Malheureusement, ce scénario devient de moins en probable dans le contexte historique actuel. Le premier problème renvoie à la séparation croissante entre les aspirations et les attentes de la population, c’est-à-dire entre les grands enjeux sociaux et la croyance en la capacité effective des dirigeants à les résoudre. John Ibbitson et Darrell Bricker montrent par des sondages intéressants que la population canadienne s’intéresse encore aux enjeux transformateurs (transformative issues) comme la santé publique, le vieillissement de la population, l’éducation et l’environnement, mais qu’un nombre croissant de personnes ont peu confiance dans le fait que les gouvernements pourront sérieusement régler ces problèmes de grande ampleur. À l’inverse, une majorité d’électeurs considère que des enjeux de moindre importance pourront être pris en charge, ce qui permettrait d’améliorer légèrement leur situation matérielle.

« Respondents placed a lower priority on « transactional issues », incremental improvements that could make things modestly better. These include developing Canada’s natural resources, policing the border, trading with other nations, and improving infrastructures such as roads and bridges. But on these issues, there was much greater confidence that governments could actually get something done. […] You may have noticed something. The big transformative issues are embraced by socially progressive parties that rightly assume that they are championing the values that matter most to voters. What they don’t understand is that most voters have little confidence in their ability to deliver. »[4]

Les partis « progressistes » comme le Parti Vert, le PLC et le NPD se retrouvent alors dans une situation inconfortable, caractérisée par la perte de légitimité des institutions politiques, la crise de confiance envers les élus, l’affaissement des projets collectifs et l’atrophie de la vie publique. Le problème réside dans le fait que les gens ne croient plus en leurs capacités d’action, ni à la possibilité de changer radicalement la société, et encore moins au pouvoir des politiciens à réaliser les changements qu’ils promettent par lors de leurs campagnes électorales. Les conservateurs misent sur « les vraies affaires » qui touchent à la sécurité physique et matérielle d’une population inquiète, comme la lutte contre le crime et la croissance économique. Leur mot d’ordre frappe par sa simplicité : des prisons et des jobs.

Admettons à titre d’hypothèse que la population canadienne se lasse progressivement du discours conservateur et commence à s’inquiéter davantage des enjeux environnementaux, de la montée des inégalités sociales et de la guerre. Pour que ce changement idéologique se traduise en projet de société, il faudrait créer une alliance progressiste pan-canadienne qui propose une alternative politique à l’hégémonie conservatrice.

« Let’s quickly remind ourselves of what’s at stake here. The current values and priorities of Harper government emphasize a tough approach to law and order that punishes criminals and rewards gun owners, that play’s up Canada’s connection to the monarchy as well as other elements of the British colonial past, that is pro-military and anti-peacekeeping, that takes the side of Big Oil, that considers the CBC and other cultural institutions elitist and contemptuous of conservative values, that minimizes the role of the federal government in redistributing income and enforcing national standards for social programs, including health care.

Just listing that agenda suggests its polar opposite : giving new life to the federal power as a means of enforcing equity both vertically, among classes, and horizontally, among regions ; protecting and advancing a national culture that spans regions and languages ; reviving a vision of Canada that transcends its colonial past ; promoting a pan-national strategy for renewable energy. That might be something worth voting for. »[5]

Qui pourrait bien incarner ce projet politique d’envergure ? Un NPD qui reviendrait à ses sources sociale-démocrates (avant le recentrement opéré par Mulcair), un PLC qui miserait réellement sur la justice sociale, une coalition des deux partis ? Dans tous les cas, Bricker et Ibbitson considèrent que l’émergence d’une telle alternative ne peut venir que du Québec, qui demeure le dernier bastion de solidarité au Canada. « From Quebec could come the invitation to the surburban Ontario middle class to abandon its alliance with the Conservative Pacific West and embrase a progressive Central Canadian future. From Quebec could come a new alliance within the manufacturing heartland combining against the resource-based hinterlands. From Quebec in conjonction with Ontario could come the twenty-first-century equivalent of Robert Baldwin and Louis-Hippolyte Lafontaine. »

Évidemment, un tel scénario est extrêmement peu probable pour l’instant, notamment à cause des divergences politiques entre le NPD et le PLC, de la présence du Bloc québécois qui s’oppose a priori au renforcement du pouvoir fédéral et au projet d’unification canadienne, et de la timidité de Québec solidaire concernant la question fédérale. Les défis qu’une telle coalition devra relever sont redoutables, et il est presque impossible que ces obstacles pourront être surmontés par les partis existants.

Un autre projet politique pour une nouvelle situation historique

Par ailleurs, les nombreuses transformations institutionnelles imposées par les conservateurs, que ce soit sur le plan des institutions politiques, économiques, environnementales, culturelles et sociales, ne pourront pas être renversées par un parti progressiste à l’intérieur d’un ou deux mandats. Il faudrait sans doute des décennies avant de pouvoir recréer ce que les conservateurs ont détruit en quelques années. De plus, il faut reconnaître que le Canada est devenu un État pétrolier, militaire et sécuritaire, favorisant le colonialisme et l’oligarchie financière via ses législations de complaisance et son paradis fiscal pour les compagnies minières. Le visage sombre du Canada ne pourra pas être effacé par le sourire candide de Justin Trudeau, et il ne semble pas que la social-démocratie libérale ait un grand avenir politique. Les Trente Glorieuses sont terminées depuis quarante ans, et le XXIe siècle sera marqué par la fin de la croissance, l’austérité et la crise climatique.

Seule une grande transition écologique accompagnée d’une redistribution massive de la richesse et l’instauration d’une démocratie digne de ce nom pourra assurer l’avenir des générations futures. Pour l’instant, aucun parti politique ne porte un tel projet d’émancipation, et seule la convergence des mouvements sociaux pourrait favoriser l’émergence d’une alternative. Le Forum social des peuples qui aura lieu du 20 au 24 août à Ottawa sera sans doute l’occasion de réfléchir à cette douloureuse question : comment rallier la gauche québécoise, les organisations progressistes canadiennes et le mouvement Idle No More dans une même direction ? Quelle place donner au droit à l’auto-détermination des peuples, à la question de l’indépendance du Québec et à la question coloniale qui touche les Premières Nations ?

Somme toute, le plus grand défi réside dans l’élargissement des luttes écologistes, citoyennes et sociales à de plus larges secteurs de la population. La gauche doit enlever ses œillères et analyser sérieusement le nouveau contexte politique, en prenant à bras le corps la transformation structurelle de l’État canadien. Le même discours souverainiste ou progressiste, élaboré dans le sillage de la Révolution tranquille, ne peut plus être martelé compulsivement auprès des classes moyennes et populaires, conquises par la simplicité de l’idéologie conservatrice. Il faut réaliser une fois pour toute que le peuple n’est plus spontanément progressiste. Il faut briser l’alliance sur laquelle repose le Big Shift, recréer de nouveaux liens entre la ville et les régions, et dépasser le réflexe anti-institutionnel des mouvements sociaux qui empêchent trop souvent l’émergence d’une unité populaire. Il faut arrêter de penser que les militants pourront changer le monde en restant entre progressistes, et commencer à couper l’herbe sous le pied des conservateurs par la conquête démocratique des classes populaires. Telle est la leçon stratégique du Big Shift conservateur qui offre, par le dévoilement des mécanismes de son hégémonie, des munitions à son adversaire.

« Our only point is this : This Big Shift is real and permanent. The coalition of suburban middle-class voters in Ontario and voters in the West is powerful. If the Conservatives are to be defeated, progressives must take the Big Shift into account. They must take the changing attitudes of immigrants into account. They must take the the West into account. If the Conservatives are to be defeated, they must be defeated on their own turf. Rallying the votes of students and faculty at the University of Toronto, bringing Montreal’s student protestors onside, recruiting labour leaders (without actually recruiting factory workers), and co-opting the Occupy movement will not elect a government. By talking to one another about one another and then convincing one another that they are the majority, downtown progressives delude themselves. Get into the suburbs. Go west. Win your arguments there. And then you’ll be in government again. »[6]




[1] David Morin, Stéphane Roussel, Harper a-t-il vraiment tout changé?, Le Devoir, 19 juillet 2014.
[2] John Ibbitson, Darrell Bricker, The Big Shift. The seismic change in canadian politics, business, and culture and what it means for our future, HarperCollins, Toronto, 2013, p.15
[3] Ibid., p.34
[4] Ibid., p.44
[5] Ibid., p.66-67
[6] Ibid., p.245

Ébauche d’une théorie critique des vertus démocratiques

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