SVP, épargnez-nous d'un Pacte par le haut avec Legault!

Le comité scientifique du Pacte pour la transition fait fausse route en exigeant que la nouvelle révolution énergétique "devrait être pilotée directement par le cabinet de M. Legault". Certes, il nous faut un plan de transition sérieux et vigoureux, mais l'appel au "Léviathan climatique" pose trois problèmes dans ce cas précis: compétence, légitimité et viabilité.

1. Compétence: L'idée "que le cabinet du premier ministre devienne le grand maître d’oeuvre des actions concertées de l’ensemble des politiques" semble un peu farfelue compte tenu du gouvernement actuel. Pensez-vous sérieusement que Legault et son entourage soient les personnes appropriées et compétentes pour instaurer un "budget carbone" et assurer la "cohérence" des actions gouvernementales en matière de transition énergétique?
Qui plus est, Legault a décidé de ne pas signer le Pacte pour la transition, et n'a pas pris d'engagements concrets en ce sens. Certes, une bonne partie de la Révolution tranquille a été l'oeuvre de Jean Lesage et de quelques grands technocrates dans l'appareil d'État, mais croyez-vous que plaquer ce modèle dans le contexte actuel, avec un parti complètement déconnecté sur le plan environnemental, pourra mener à bien ce chantier? Cela risque plutôt de ressembler à une "transition tout croche".

2. Légitimité: Admettons que le cabinet du premier ministre soit bien conseillé par un groupe d'experts qui lui préparent une feuille de route solide, et que Legault décide de l'appliquer tel un chef d'entreprise éclairé par son conseil d'administration. Croyez-vous que ce processus serait légitime du point de vue démocratique? Rappelons ici que le Pacte pour la transition est une campagne de communication publique initiée par Dominic Champagne qui a rassemblé une foule de vedettes et de personnalités pour avoir un large impact médiatique et remettre la question écologique dans l'espace public. Sur ce point, c'est réussi.

Cela dit, qui a nommé ce comité scientifique du Pacte pour conseiller M. Legault et lui donner les pleins pouvoirs en matière de transition énergétique? Bien que le Pacte ait été signé par 254 245 personnes en date d'aujourd'hui, celui-ci a-t-il plus de légitimité que les 1 509 455 personnes qui ont voté la CAQ lors des dernières élections? L'échec à obtenir un million de signatures est le signe que les campagnes lancées par une poignée de vedettes n'ont pas la capacité de fournir une base solide et organisationnelle pour soutenir un mouvement social dans la durée.

Enfin, pourquoi vouloir à tout prix piloter une transition "par le haut", alors qu'il existe déjà le Front commun pour la transition énergétique qui rassemble une soixantaine d'organisations syndicales, écologistes, communautaires, citoyennes et agricoles, avec un manifeste beaucoup plus robuste et la possibilité de coconstruire une transition énergétique à partir des ressources existantes au sein de la société civile? Sans doute que l'État aura un rôle important à jouer dans la transition, mais le fait de vouloir procéder d'abord par un processus top down qui court-circuite les autres initiatives me rend mal à l'aise. Tout se passe comme si les "élites" du mouvement environnementaliste, croyant encore à la logique de concertation et du "ni gauche, ni droite", voulaient s'allier aux élites politiques et économiques pour propulser au plus vite une transition énergétique qui sera d'abord basée sur l'initiative de l'État, des entreprises et des petits gestes individuels.

3. Viabilité: À l'heure du soulèvement des gilets jaunes, du mouvement Extinction Rebellion, et du phénomène Greta Thunberg, une ado de 15 ans qui est en train d'organiser une "grève scolaire pour le climat" qui commence à se diffuser dans plusieurs pays,
il semble que nous soyons déjà rendus ailleurs dans la prise notre conscience, et que nous avons un urgent besoin de renouveler notre répertoire d'actions collectives. Outre la désobéissance civile, les blocages et la grève générale pour le climat (Earth Strike) qui se prépare pour septembre 2019, l'une des principales demandes liées à la transition touche la refonte des institutions politiques. Alors qu'Extinction Rebellion préconise une "assemblée citoyenne nationale" pour superviser les changements entrepris par le gouvernement, les gilets jaunes demandent la mise en place d'une assemblée constituante pour refonder la République. C'est déjà un peu mieux qu'une transition énergétique pilotée par un cabinet de premier ministre entouré d'une poignée d'experts.
 
Somme toute, si cela semble hors de propos à première vue, c'est parce que la transition est encore souvent perçue comme une affaire technique qui doit opérer un changement au niveau industriel, fiscal, de reconversion des bâtiments, des infrastructures de transport et d'énergie. Or, si la transition inclut tout cela, elle représente beaucoup plus, soit une transformation en profondeur des structures politiques, sociales et économiques. Une transition qui laisserait intact les structures du gouvernement représentatif, du capitalisme et de la logique de croissance infinie est un mythe dont nous n'avons plus le luxe d'adhérer à cette étape-ci de notre histoire. Bien sûr, nous devons amorcer la transition à partir d'où nous sommes, à l'intérieur du système et des contradictions existantes, mais tout tentative de faire une transition en douceur, dans le consensus, sans remise en cause des privilèges de l'oligarchie, ne sera pas viable à court, moyen et long terme.

Cela peut sembler un peu "radical" et déconnecté du contexte québécois de 2018, mais le Québec, s’il n’est pas encore complètement réveillé, pourrait le devenir assez rapidement quand la prochaine grande crise financière, catastrophe écologique ou mesure gouvernementale impopulaire va nous toucher. Je n’ai pas encore de contre-proposition concrète à faire au Pacte, mais une chose devient plus claire à mon esprit: nous faisons face à deux perspectives stratégiques sur la transition.
Il y a d'une part la transition énergétique technocratique, dirigée par le haut, c'est-à-dire par l'État, les grandes entreprises, les industries gazières et pétrolières, et les écolos comme Nicolas Hulot, Steven Guilbeault ou Dominic Champagne qui essaient "changer les choses de l'intérieur" en influençant des gouvernements néolibéraux en perte de légitimité, en toute sincérité et naïveté. Cette transition , prônée par le Pacte sous une mouture social-démocrate, n'est plus viable à l'heure actuelle; une transition sans réel ancrage social et territorial, qui serait pilotée par un gouvernement médiocre qui n'a pas l'écologie au centre de sa vision, est vouée à l'échec dès le départ.

Cela nous amène à l'autre transition, citoyenne et démocratique, ancrée dans le mycélium des initiatives citoyennes, syndicats, groupes écologistes grassroots, projets d'économie solidaire, mouvements contestataires, innovations sociales, groupes communautaires et comités citoyens mobilisés dans leurs communautés. Cette transition radicale et bottom up, qui s'amorce déjà dans les quartiers, villages et municipalités rebelles qui essaient de prendre un virage participatif et écologique, est destinée à prendre le relais des initiatives des élites médiatiques, économiques et politiques qui auront échoué à accomplir leur tâche historique. Si cette transition citoyenne est toujours largement invisible, car invisibilisée par le système médiatique ou de belles grandes campagnes de vedettes, elle s'organise en ce moment dans des assemblées de cuisine, la construction d'alliances et de réseaux beaucoup plus solides et ancrés dans les territoires.

Cette transition citoyenne, esquissée dans le Front commun pour la transition énergétique, n'est pas l'affaire de quelques individus éclairés qui tentent de faire entendre raison à Legault, en essayant de lui faire faire quelques pas dans la bonne direction. Elle est accompagnée de critères qui, au-delà de la réduction des GES, aspirent à une "refonte du rôle de l'État et de l'intervention publique", et exigent de demeurer critique face aux technologies émergentes, intégrer des analyses systémiques en termes de rapports de pouvoir, respecter les droits humains, réaliser une transition juste pour les communautés, travailleurs et travailleuses, et surtout, surtout, de démocratiser la transition.

Enfin, il est urgent de reconnaître une responsabilité commune mais différenciée à la crise organique actuelle, car si la crise écologique et le possible effondrement civilisationnel va toucher tout le monde, ce n'est pas tous les individus, groupes sociaux, communautés et peuples qui seront affectés de la même façon. Des personnes issues de groupes défavorisés, les peuples autochtones et plusieurs pays du Sud global vivent déjà dans des conditions de vie atroces, tandis que certains membres du 1% peuvent déjà faire sécession du monde commun pour sauver leur peau. Par exemple, Guy Laliberté peut certes signer le Pacte pour la transition, mais cela ne l'empêche pas de se construire une villa de luxe autosuffisante à 20M$US dans une île du Pacifique pour se préparer à l'effondrement en toute sérénité.

Face aux tentations de survivalisme individuel et bourgeois, nous devons dès maintenant organiser un survivalisme collectif par la reconstruction des infrastructures sociales, alimentaires et énergétiques qui nous permettront d'opérer la transition ensemble, dans la solidarité et la justice sociale. Et cette transition là, ce n'est pas l'État qui va nous la donner; c'est à nous de l'arracher aux pouvoirs publics et de s'organiser directement dans nos milieux de vie, milieux de travail, associations, villes et campagnes.

Notre vision historique du changement social, laquelle est crucialement en panne alors qu'il serait impératif de la réactiver, est encore structurée par l'imaginaire de la Révolution tranquille. Celle-ci, qui a plusieurs bons côtés qu'il faudra sauver dans la construction d'un nouveau modèle social, a néanmoins l'inconvénient majeur de nous avoir fait entrer dans la modernité capitaliste par le biais d'élites politiques éclairées, et d'avoir mis en place les conditions de consolidation de la société de consommation. Faire le deuil de cette Révolution, et de cette société qui arrive à son terme, est la condition pour imaginer dès maintenant les contours de la prochaine révolution, qui sera constituée par l'émergence d'alternatives de résiliences, des résistances, des réformes radicales, et surtout des ruptures telles que nous les avons jamais vécu dans le confort de nos foyers.

Cela est certes très angoissant, ou comme le dirait mon amie Maude Prud'homme, c'est angouissant, à la fois terriblement angoissant et réjouissant. C'est de cette émotion complexe qu'il nous faudra partir pour être capables de penser et d'affronter avec sincérité les calamités des temps présents.


Crédits: Gilles Caron, image tirée de l'exposition Soulèvements de Georges Didier-Huberman

Commentaires

  1. Argumentaire ridicule typique des sciences humaines.

    C'est justement les décisions prisent en bas qui sont le problème.

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    1. Peut-être que si vous étiez moins fermé aux sciences humaines et sociales et à la philosophie, vous auriez été en mesure de développer une éthique de la discussion.
      Vous auriez peut-être aussi évité de réduire la thèse de l'auteur à « des décisions prisent en bas », alors que la dichotomie simpliste « bas » et « haut » ne se retrouvent pas dans le texte. Vous utilisez donc le sophisme de l'homme de paille pour invalider la thèse de l'auteur.



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