Rétrospective de 2017 sur fond d'inquiétude

2012, année du Printemps québécois
2013, année de la Charte des valeurs
2014, année de l'austérité libérale
2015, année des attentats terroristes et de la crise des migrants
2016, année de la culture du viol et des femmes autochtones
2017, année de l'extrême droite et de l'anti-racisme

Décidément, la question sociale se complique année après année, celle-ci ne pouvant plus se réduire à la seule sphère des inégalités économiques. Selon Wikipédia, "l'expression de question sociale désigne l'état d'interrogation profonde – sinon de désarroi – dans lequel se trouvent plongés les politiques, moralistes, intellectuels, et citoyens de tous bords, confrontés aux problèmes liés à la transformation radicale du travail à la suite de la révolution industrielle". Aujourd'hui, le désarroi moral affecte les rapports sociaux de sexe et de race, et par ricochet les marqueurs multiples de l'identité individuelle et collective. Les luttes des femmes, des Noirs et des minorités de tous genres ont traversé les deux derniers siècles, mais elles reviennent de façon particulièrement vive dans l'espace public, sur fond de crise de légitimité du capitalisme et du gouvernement représentatif. Ce contexte sociopolitique marqué par l'insécurité et l'instabilité favorise à la fois la dénonciation des multiples formes d'oppression, puis les réactions autoritaires visant à protéger les normes, représentations et pratiques sociales établies. En ce sens, la polarisation du paysage idéologique n'est pas un accident, mais le résultat d'une dynamique historique qui va dans le sens d'une "crise organique", propice aux "alternatives" au "monde libéral" en décomposition. Par contre, ce n'est pas la tendance de l'écosocialisme émancipateur qui prédomine, c'est la nouvelle droite autoritaire qui réussit à capter le mécontentement populaire, en délégitimant les revendications démocratiques et égalitaristes.

Cette reconfiguration des idées et des discours prend forme dans un environnement médiatisé par les plateformes, algorithmes et autres dispositifs du capitalisme numérique : surveillance de masse, domination des Big Data, percées de l’intelligence artificielle, fin de la neutralité du web, recul des libertés, cyberdépendance, chambres d’échos et bulles de filtre, disparition des espaces déconnectés. Toute la vie sociale devient connectée, alors que les capacités d’attention, de réflexion, de discussion de façon décontractée deviennent de plus en plus rares ou limitées. La vie hyper-moderne oscille toujours plus entre le rythme effréné de la performance et de la communication instantanée, puis des épisodes d’épuisement, de cynisme, de dépression et d’aliénation. De surcroît, la croyance au progrès, la promesse une vie meilleure ou d’autres formes d’espérance s’effacent progressivement au profit d’une vie pulsionnelle orientée vers la gratification sur les médias sociaux, la consommation compulsive d’informations et de commentaires, de capsules vidéos divertissantes et de séries télés qui permettent de « décrocher » d’un environnemental mental surchargé. Notre horizon d’attente rétrécit, et notre capacité à orienter l’avenir devient incertaine. L’auto-efficacité collective et politique décline au profit d’une quête d’efficacité à l’échelle individuelle symbolisée par l’hégémonie du téléphone mobile.

Il y a dix ans, le iPhone et Facebook faisaient leur apparition; maintenant, nous habitons dans un « monde numériquement administré », à travers lequel nous tentons de piloter nos existences au sein d’un espace-réseau fluctuant, sans perspective ou profondeur historique. Dans la société de l’accélération, la « mobilité » devient l’archétype de la liberté, tandis que l’« identité » devient le remède miracle à la désorientation générale et à la perte de repères. Dans ce contexte anxiogène, propice aux crispations de toutes sortes, au conformisme de masse, au relativisme total et à l’usage précipité de la violence verbale ou physique comme moyen d’auto-défense, comment dépasser le simple appel à la tolérance? Comment reconstruire un cadre collectif d’interprétation, des normes d’action partagées et de nouvelles orientations culturelles propices à la vie bonne? Pour reprendre la triple question de Kant : que pouvons-nous savoir, que devons-nous faire, et que pouvons-nous espérer? 
Crédits photo : Simon Giroux, La Presse

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