Le sens du dème

Intuition philosophico-politique de la journée: pour avoir une démocratie, il faut un dèmos, et pour construire un dèmos, il faut des dèmes. Retournement conceptuel : on croyait à tort que le dèmos était le peuple-nation considéré dans son abstraction, alors qu'il repose en fait sur des relations concrètes entre des gens habitant dans un même lieu. L'unité démocratique de base n'est pas l'État, ni même la ville, mais le voisinage. À quoi servait le dème dans la réforme de Clisthène qui mena à la démocratie athénienne? À contrer le pouvoir de classe des élites et des clans ; « c'est désormais le lieu, et non plus la naissance qui fonde le système des relations et du contrôle politique », disait Finley. Les liens de voisinage ne sont pas en soi des relations politiques, mais ils les rendent possibles ; ils entretiennent la philia, la confiance et l'amitié qui nourrissent l'action civique. Groupes de voisins, bazars de quartier, block party, comme lieux de rencontres, d'échanges et de constructions micro-politiques.

Intuition complémentaire : la fonction du dème est triple : 1) organiser le territoire politique de la Cité en reliant la ville, l’intérieur et la côte ; 2) assurer l'autogestion des services locaux et former les citoyen.nes aux pratiques d'auto-gouvernement ; 3) servir de base à la sélection des membres du Conseil des Cinq Cents via le tirage au sort. Décentrement du regard : et si l'alternative au gouvernement représentatif n'était pas la démocratie directe et consensuelle, mais la combinaison d'assemblées populaires de quartier (ou de village) avec un conseil municipal (ou régional) composé de membres tirés au sort? Comme disait Rancière, il faut « rendre à la démocratie son scandale », car elle est basée sur « le pouvoir de n'importe qui ». Qu'est-ce que l'émancipation? C'est le « jeu des pratiques guidées par la présupposition de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui et par le souci de le vérifier ». Où est-ce que tout cela nous mène?

Le dépérissement du parti politique comme véhicule de transformation sociale ; création de plateformes visant à sélectionner des candidatures citoyennes et populaires par tirage au sort, lesquelles ne peuvent mener plus qu'un mandat ou gagner plus que le revenu médian. Les élu.es doivent assurer un va-et-vient constant entre le conseil et les assemblées locales, démocratiser en profondeur les institutions et garantir une transparence radicale des décisions. Écho de l'appel du 22 mars 1971 du Comité central de la Garde nationale de la Commune de Paris : « les membres de l'assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l'opinion, sont révocables, comptables et responsables ».

Retour aux dèmes : créer des groupes de voisins visant à prendre en charge directement des enjeux locaux, inventer des agoras et des lieux de socialisation, mélanger la fête, l'économie du partage, l'entraide et l'action politique, sans séparer l'amitié de la réflexion critique, les pratiques situées et l'auto-émancipation. Créer des banques de candidatures volontaires en vue d'un prochain "gouvernement de n'importe qui", c'est-à-dire une démocratie. Et vous, connaissez-vous vos voisins? Seriez-vous vous prêts à assurer une charge publique si le hasard vous y conviait? Qu’est-ce qu’on attend pour créer un dème ? Citoyen.nes de tous les quartiers et de tous les villages, unissez-vous !

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