Méditation sur le potentiel subversif de la révolte policière


Alors que les opinions à droite et à gauche du spectre politique pourfendent le comportement des policiers montréalais lors du feu de camp de la manifestation des employés municipaux contre la réforme des régimes de retraite, les premiers pour leur irresponsabilité, les seconds pour leur double discours sur le règlement P-6, il y a lieu de montrer le caractère « positif » de cette contradiction. En mai 1968, le cinéaste et poète Pasolini affirmait de manière polémique que les policiers étaient les fils des prolétaires alors que les étudiants, fils de bourgeois, pouvaient se permettre le luxe de jouer aux révolutionnaires. Cette remarque met en évidence le fait que les policiers sont aussi, au-delà des forces de l’ordre qu’ils incarnent, des travailleurs exploités par leur employeur.

Évidemment, cela n’excuse pas les actes de brutalité policière et l’application arbitraire d’un règlement illégitime qui leur fait toujours perdre davantage de crédibilité aux yeux des manifestants et de la population en général. Mais l’avantage de cette situation de « l’arroseur arrosé » est d’augmenter le degré de dissonance cognitive de la conscience policière, ce qui peut avoir des effets potentiellement répressifs ou émancipateurs : 1) soit un acharnement dans la contradiction qui peut mener à d’autres dérives et davantage de corruption ; 2) soit le dépassement de cette tension, où les policiers ne manifesteront plus en tant que policiers cherchant à défendre leurs intérêts corporatistes, mais remettront en question leur rôle de gardiens de l’ordre et lutteront en tant que travailleurs opposés à un État qui abuse de leur pouvoir pour servir les intérêts de l’élite économique.

C’est pourquoi la critique superficielle de la profession policière en tant qu’« objet de dénonciation » doit mener à son renversement dialectique, c’est-à-dire à la critique de la police en tant que « sujet politique ». Le développement de la conscience de classe de la gent policière est une condition sine qua non d'une révolte populaire, sinon de l’action révolutionnaire. Lorsque la police ne sera plus « contre le peuple contestataire », mais « avec le peuple en mouvement », nous pourrons presque déjà crier victoire. Or, le « presque » est important, car il reste encore le problème manifeste qu’un coup d’État menant à un pouvoir policier temporaire, cette institution étant fortement corrompue dans sa forme actuelle, n’augure rien de bon pour la démocratie à venir. La révolte policière est donc une arme à double tranchant, qui ne laisse pas deviner sa trajectoire historique lorsqu’elle est considérée en elle-même, isolément ; sans une alternative politique démocratique crédible, cohérente et largement partagée, sans des liens étroits avec les groupes subalternes, la situation se retournera en son contraire, la révolution se transformera en dictature comme ce fut trop souvent le cas dans l’Histoire.

Il faut donc « corrompre » la conscience policière par la pensée critique et émancipatrice, afin de l’inciter à vouloir se dépasser dans un monde où elle aura accomplit son rôle, soit lorsqu’elle n’aura plus à assumer la tâche ingrate de gardienne d’un ordre social injuste ; la sécurité ne sera plus une fonction séparée et exercée de l’extérieur sur la société, mais une institution démocratisée au service de la préservation de la paix, ici entendue au sens d’une démocratie véritable ancrée dans une égalité sociale robuste. Nous pouvons alors oser inverser le célèbre proverbe corruptio optimi pessima : la corruption du pire (la police), engendre le meilleur (la révolution).

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